Nick Mulvey : « Aucun obstacle, aucune limite »
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Elodie RedNick Mulvey, auteur-compositeur-interprète folk d'origine britannique, a eu une année chargée. Depuis la sortie de son premier album solo First Mind en mai 2014, il a été nommé au Mercury Prize, joué dans le monde entier et s'est marié au Bhoutan. Il évoque pour nous son départ de Portico Quartet, ses années d'études musicales à Cuba et sa méfiance vis à vis de David Cameron.
cafébabel : Cela fait presque un an que tu as sorti First Mind. Que s'est-il passé depuis ?
Nick Mulvey : Cette année a été extraordinaire et à la fois très chargée. J'ai passé presque tout mon temps en tournée, pour promouvoir l'album en Europe, en Amérique. Le groupe de gens avec qui je travaille s'est agrandi et est devenu une famille. Ma femme, Isadora, joue aussi avec moi. On s'est mariés en janvier - on a pris quelques jours en Thaïlande et on a décidé de se marier spontanèment - puis on a reçu une invitation pour jouer au Bhoutan. Ça a été très rapide. C'était le tout premier festival de musique international à être organisé au Bhoutan. Ils nous ont proposé de participer. Et nous avons eu une cérémonie de mariage traditionnelle bhoutanaise très spéciale.
L'aspect administratif avait été réglé en Thaïlande mais la cérémonie a eu lieu au Bhoutan, c'était très authentique. La cérémonie s'est passée dans un monastère bouddhiste du 15e siècle situé à flanc de montagne près de la capitale, et a été menée par un abbé. Le mode de vie et les coutumes de ce monastère sont les mêmes depuis le Moyen-âge. Nous étions assis au milieu du monastère, tous les deux vêtus de vêtements traditionnels, pendant que tout le monde faisait des offrandes ou des gestes symboliques. Mon père et mon frère étaient là eux aussi.
cafébabel : C'était une grande décision de te lancer en solo. De quoi avais-tu besoin à ce moment-là ?
Nick Mulvey : Ce que je voulais vraiment, c'était vivre ma vérité et affirmer ma créativité. Avec Portico Quartet (son ancien groupe, ndlr), j'avais besoin de changer quelque chose, de grandir, d'essayer de nouvelles choses. D'un autre côté, je voulais aussi rejouer de la guitare. Avec Portico, j'ai joué du hang pendant très longtemps. Je voulais chanter, et m'occuper des paroles aussi car je n'avais pas la main sur ces éléments clés au sein du groupe.
cafébabel : Tu t'ennuyais ?
Nick Mulvey : C'était le moment de changer. Je commençais à être fatigué et à perdre en créativité. Quand j'ai annoncé aux gars que je quittais le groupe, c'était à un moment bien particulier. J'y pensais déjà depuis un moment, peut-être quelques mois, et j'avais commencé à en parler à des amis de confiance. En gros, c'est devenu très clair : je n'étais plus sur la même longueur d'ondes, je partais sur une trajectoire différente. Nous étions dans une station service, sur une autoroute dans le sud de l'Allemagne. Ils parlaient de musique et du prochain album. Quand vous êtes quatre à une table en train de parler de la nouvelle direction à prendre, pour moi c'était clair qu'il fallait que je dise quelque chose. J'ai simplement dit : « Les gars, je ne sais pas si je vais faire partie de tout ça ».
Ils sont passés du choc au soulagement avant de réaliser, et d'accepter ma décision immédiatement parce que nous savions tous au fond de nous que ce n'était pas une décision soudaine mais quelque chose qui était déjà en train de se passer. C'était un mouvement naturel, la vérité.
cafébabel : Ta musique est très différente du jazz de Portico Quartet. Quel est ton but en tant que compositeur ?
Nick Mulvey : Mon objectif en tant qu'artiste est de laisser mon expression vivre, de n'avoir aucun obstacle, aucune limite. En tant qu'auteur, j'essaie toujours de penser « musicalement » au départ, et ensuite viennent les thèmes. J'essaie toujours de communiquer avec le subconscient des gens, leur cerveau droit si tu vois ce que je veux dire. Les concepts, les idées, tout ça vient après. Ensuite, je vois les mots.
cafébabel : Tu as dit une fois « Je veux réchauffer la salle ». Qu'est ce que tu voulais dire ?
Nick Mulvey : Je veux communiquer. Je veux avoir des conversations, je ne veux pas qu'il soit difficile de me comprendre ou d'interpréter ce que je dis. La plupart de mes chansons, comme « Meet me there » sont très ouvertes.
cafébabel : À 18 ans, tu as décidé d'étudier la guitare et les percussions à la Havane. Comment as-tu atterri à Cuba ?
Nick Mulvey : C'était très intéressant et très typique du Cuba moderne. Un de mes amis avait voyagé là-bas et passé un an dans une école de musique et il m'en a parlé. Quand il est revenu, il m'a dit « Nick tu dois aller là-bas ». Quand je dis que c'est très typique, c'est parce que l'école est à moitié cubaine, à moitié internationale. Il y a 2 000 élèves et pour les Cubains c'est très compétitif, pour les étudiants internationaux c'est un bon niveau mais comme on paye, c'est plus facile. Si tu as du niveau, et assez d'argent, tu peux intégrer l'école. Mais le niveau des étudiants cubains était très bon. Ils pouvaient jouer de n'importe quel instrument.
cafébabel : Comment tu t'es habitué à la société cubaine ?
Nick Mulvey : J'ai été un peu secoué. Au début, j'ai essayé de comprendre le pays. Puis j'ai arrêté et tout est devenu beaucoup plus simple. J'ai eu mes propres aventures avec la bureaucratie cubaine et je pourrais te parler des clichés comme ces taxis qui sont tous de vieilles Cadillacs. Mais j'ai eu une expérience très intéressante quand je jouais mes propres chansons avec un jeune musicien cubain. Mes chansons l'intéressaient et il m'a demandé « Oh tu joues tes propres chansons ? » J'ai répondu, « Oui bien sûr ». Et j'ai alors réalisé qu'ils ne jouaient jamais leurs propres chansons. Ils jouaient tous dans un style cubain, très traditionnel, et s'ils composaient leurs propres morceaux, ils le faisaient dans un style cubain. Bref, ils m'ont pris pour un fou et c'est la plus grande différence que j'ai pu observer entre nous.
cafébabel : Tu as l'air très enthousiate à l'idée de découvrir de nouvelles cultures, d'où cela te vient-il ?
Nick Mulvey : C'est un ensemble de choses. Pour commencer, notre génération : on a l'iPod shuffle. On écoute du Radiohead, puis du Biggie Small ou du Queen. C'est naturel pour notre génération d'écouter de tout et toute l'histoire de notre musique se retrouve sur notre téléphone. Par ailleurs, dans ma famille, il y avait de nombreux styles différents, par exemple, on avait un très bel album en français, Le Mystère des Voix Bulgares. Mais c'est principalement en réaction à la musique de mon pays que je me suis intéressé à la musique. La musique me plaisait si elle était d'une autre décennie que la mienne ou venait d'un autre continent. Quand j'étais ado, je ne m'intéressais pas aux Arctic Monkeys ou aux Libertines. Je m'intéressais à la musique d'Afrique ou d'Amérique du Sud. Mais ces dernières années j'ai changé et j'écoute les Arctic Monkeys maintenant, leur premier album. Ces deux dernières années, je me suis beaucoup plus mis à la musique de mon pays.
cafébabel : Tu as dit que ton père avait eu une grande influence sur toi, quelle est la meilleure chose qu'il t'ait appris ?
Nick Mulvey : Il m'a montré mes premiers accords à la guitare. Il jouait tous les soirs avec mon frère et moi avant que nous allions nous coucher. C'est la première vraie influence que j'ai eu. Et la musique a ensuite réglé toute ma vie. Il jouait des chansons des Beatles tout le temps ou des vieilles chansons américaines plutôt spirituelles comme des gospels ou du Simon and Garfunkel. Il a aussi amené beaucoup d'idées nouvelles dans la maison : le bouddhisme et le yoga en particulier, la méditation et la pleine conscience. Il a commencé à s'intéresser à tout ça quand j'étais ado.
cafébabel : Le premier ministre britannique David Cameron a dit qu'il aimait cuisiner en écoutant tes chansons. Tu as répondu que « ça te rendait malade ». Pourquoi ?
Nick Mulvey : Ses propos étaient étranges. Pour être exact, il a dit « J'écoute Nick Mulvey quand je cuisine mais c'est un peu grunge ». On pourrait utiliser n'importe quel adjectif pour parler de ma musique, sauf « grunge ». Ma musique n'est vraiment pas grunge du tout. Je pense qu'on lui avait en fait conseillé de dire quelque chose de cool. N'importe qui peut écouter ma musique bien sûr. Mais le truc, c'est que je ne fais pas confiance à David Cameron, ni à aucun autre homme politique, mais certainement pas lui. C'est un compliment étrange.
cafébabel : Les élections générales approchent. Est-ce que tu t'y intéresses de près ?
Nick Mulvey : Je m'intéresse beaucoup à ce qui se passe dans le monde. Mais je ne pense pas que le système actuel peut se réparer de lui-même. Je pense qu'il nous faut de nouveaux systèmes, alors voter me paraît étrange, tu ne crois pas ? Voter, c'est reproduire le même système. Mais je comprends aussi que nous sommes dans ce système aujourd'hui et qu'il y a quelque chose de plus intéressant à faire, comme utiliser son vote. Je n'ai pas encore décidé ce que j'allais faire à l'heure actuelle parce que je voterais peut être pour que UKIP ne soit pas élu.
De manière générale, je ne suis pas un fan de politique. Je pense que le système est systématiquement corrompu, peu importe qui reprend les rênes - et Obama est un bon exemple de ça - parce que la fonction en elle-même est corrompu. Je vais te dire quelque chose : pour moi la politique est devenue spirituelle car beaucoup de gens pensent que les problèmes à l'échelle mondiale sont insurmontables. Je me demande « Où est-ce que je peux avoir une vraie influence ? ». Et la question des réalités mondiales se ramène alors à ce qui se passe ici et maintenant, dans ma propre vie et ce que cela peut changer dans ma vie. Changer mes attitudes personnelles, mes propres développements. Donc la question de la politique devient plus spirituelle parce que cela s'agit plus de comment j'affronte mes propres expériences, ma cupidité, mes basses ambitions. Je ne pense pas pouvoir avoir un impact sur les choses qui aillent au-delà de ma propre existence.
Nick Mulvey - I Don't Want To Go Home, le dernier single issu du premier album studio, First Mind
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Écouter : First Mind (Fiction Records/2014)
Translated from Nick Mulvey: "Without obstacles, without limitations"