Murdoch, Brooks et la patate chaude
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Pierre GuyotAprès l’audience parlementaire du magnat de la presse, Rupert Murdoch, le 19 juillet, un ami analysait « le petit jeu de la patate chaude entre pères et fils » : « 1, 2, 3, c’est pas moi, c’est toi. 4, 5, 6, vas-y, dénonce les journaux concurrents à la police... » Se « refiler la patate chaude », un concept européen ?
Quelle futile soirée où on a dû écouter les mots tout aussi futiles du baron médiatique australien Rupert Murdoch, de son héritier de fils James, de Rebekah Brooks (l’ancienne directrice générale de la maison-mère News International, qui a démissionné le 15 juillet) et de plusieurs membres de Scotland Yard. Le 19 juillet, ils se sont tous assis devant des parlementaires de la Chambre des Communes, qui ont gentiment remercié l’octogénaire rabougri pour avoir « accepté de mener à bien la session », malgré une tarte à la mousse à raser qu’il a reçu de la part d’un activiste, assis quatre rangs derrière.
La patate chaude s’est arrêtée sur Murdoch Senior, quand la commission parlementaire dédiée à la culture, aux médias et aux sports, affirmait, par la voix d’un un député (conservateur) sourcils arqués : Murdoch est responsable. « To pass the buck » en anglais dans le texte : se débarrasser habilement d’une responsabilité. Dans l’histoire, l’expression a surtout été mise au goût du jour par les présidents américains. La devise d’Harry Truman ? « The buck stops here », inscrit sur une plaque en bois trônant sur son bureau de la Maison-Blanche : la responsabilité ultime, c’était la sienne. Face aux bonus des dirigeants de l’assureur AIG ou à la tentative d’attentat sur un sapin de Noël, Barack Obama affirmait : « The buck stops with me ». Le « buck », en argot méditerranéen, c’est plutôt une « hot potato », terme gastronomique aussi valable en français, alors que la version italienne, encore plus passionnée (assagie par l’expérience Berlusconi, peut-être ?), va jusqu’à faire bouillir la patate :« la patata bollente è nelle sue mani. »
Mais, au fait, qu’est-ce qu’un « buck » ? La politique, c’est un jeu, pas étonnant alors de retrouver l’expression « pass the buck » dans le vocabulaire du poker. Quand les jeux sont faits, le dealer passe son bouton (« buck ») et son tour à la personne à sa gauche. Les Allemands et les Polonais s’inspirent aussi d’un jeu de carte : si vous rencontrez l’image du « schwarzer Peter » ou « czarny Piotruś » (« Pierre le Noir », l’équivalent du Père Fouettard), alors que vous cherchiez à faire des paires, vous avez perdu. En allemand et polonais, la phrase « jemandem den schwarzen Peter zuschieben» ou « podsunąć czarnego piotrusia », exonérerait quelque peu la culpabilité de Murdoch, puisque en français cela donnerait : se retrouver avec tous sur les bras (en anglais, « tout », c’est surtout un bébé : « to be left holding the baby »). Dans tous les cas, au petit jeu du scandale médiatique, celui qui paie les pots cassés, « Pierre le noir », c’est bien Murdoch. Son nom a finalement été terni, maintenant que l’on sait qu’un journal dont il est propriétaire a piraté des téléphones pour obtenir des scoops sur des stars, des soldats qui ont laissé leur vie ou des jeunes filles assassinées – dans cet ordre, on présume.
Photo: (cc) Daniel Catt/ Flickr
Translated from Pass the buck, Murdoch and Brooks