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Minorité russe, une nationalité indéfinie

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Julien Hue

CultureSociété

Membre de l’Union européenne depuis 2004 et tigre économique, l’Estonie est taxée de discriminations à l’égard de sa minorité russophone.

Deux mois après la violente crise du soldat de bronze de Tallin, l’atmosphère semble sereine à l’endroit où s’élevait autrefois cette statue de la discorde, considérée par nombre d’Estoniens comme un symbole de l’occupation soviétique et par la minorité russophone comme témoin de la victoire sur le fascisme durant la Deuxième Guerre Mondiale, déplacé du coeur de la ville déplacée du centre ville vers un cimetière militaire. Quasiment aucune trace des émeutes dans lesquelles a sombré Tallinn ne subsiste, malgrè une brouille diplomatique avec Moscou, des protestations vengeresses, un mort, 135 blessés et 800 arrestations.

Hasard ou coincidences, les vendeurs à la sauvette et chauffeurs de taxis que je croise dans le centre de Tallinn sont presque tous russophones. A côté, les touristes fourmillent à travers les anciennes rues pavées et envahissent une myriade de terrasses de café. Au cours des deux décennies qui ont suivi la ‘perestroika’ et la 'révolution chantante’, l’Estonie est devenue un membre de l’Union européenne prospère et tourné vers l’avenir. Aujourd’hui, le pays est résolument fier de son identité et de son indépendance. Le seul hic, les rapports régulièrement conflictuels avec la minorité russe vivant en Estonie.

Le 3 septembre 2006, le gouvernement a décidé de promouvoir la langue estonienne, rendant obligatoire l'enseignement en estonien d'au moins une matière de l'école secondaire. Une décision qui conduit à s’interroger sur la place accordée à la minorité russe – qui représente près d’un un quart de la population – dans une Estonie indépendante.

Citizen Kane

Aujourd’hui, près de 110 000 citoyens russes vivent de façon permanente en Estonie. Après l’indépendance, de nombreux immigrants de la période soviétique ont effectué les démarches nécessaires pour obtenir la nationalité russe. Cependant, la grande majorité des russophones ont, soit opté pour la citoyenneté estonienne, soit restés des résidents permanents de l’Estonie, conservant une nationalité ‘indéfinie’. Bien qu’il ait vu sa proportion diminuer depuis l’indépendance, ce groupe représente encore 9% de la population.

Cette minorité se considère chez elle dans le pays, ses membres détiennent un passeport estonien, mais ne peuvent bénéficier de la plupart des avantages -tels que la liberté de circulation...- fondamentaux que suppose l’appartenance à l’Union européenne. Mais cette reconnaissance formelle ne suffit pas.

Un choc des cultures – une question d’intégration ?

Car depuis l'obtention de l'indépendance, les tensions entre les deux communautés sont récurrentes. Certains soulignent un refus d’intégration de la minorité russe dans la société estonienne. « Nous sommes en Estonie à présent et eux ne veulent pas s’intégrer », déclarent régulièrement les locaux.

Niché dans une rue adjacante au centre ville, les locaux de l’ONG ‘Union de la Jeunesse’ ont déployé des banderoles anti-racistes . « Nous sommes Russes – de par nos racines, notre héritage, notre littérature, notre histoire. Pourquoi devrions-nous abandonner cela ? », s’interrogent par exemple Igor Ivanov, 31 ans, et Maia Meos, 42 ans.

Pour eux, un sentiment prévaut actuellement au sein de l’importante minorité russe : celui que leur identité est usurpée depuis l’indépendance de l’Estonie en 1991. Ce choc en terme de références culturelles a culminé avec la crise du soldat de Tallin au printemps dernier : un combattant figé dans la pierre, incarnant pour les uns le symbole du combat courageux mené contre les Nazis et représentant, au yeux des autres, les sombres années d’occupation soviétique.

Mais les membres de la minorité russe sont-ils davantage discriminés que les Estoniens dans la vie quotidienne ? Le gouvernement mène par exemple une politique préférentielle pour l’accès aux emplois publics, empêchant ou du moins gênant l’accès de la minorité russophone à l’université et aux professions de cadres.

Autre point noir : le marché de l’emploi. Le chômage des jeunes [entre 15-24 ans] parmi les non-nationaux s’élève à 29,4%, alors que ce taux baisse à 9,5% pour les Estoniens. « Mais il est possible de se tourner vers une institution russophone pour trouver des emplois d’ouvrier », tempère Igor Ivanov. Cet écart contribue un peu plus à « l’exclusion sociale, à la vulnérabilité et aux violations des droits de l’homme. De nombreuses personnes ne peuvent en effet jouir pleinement de leurs droits économiques, sociaux et culturels », soulignait l’ONG ‘Amnesty International’ dans un récent rapport.

Ces inégalités se retrouvent également sur la carte nationale d’identité, où les Estoniens et les non nationaux sont désignés par des lettres différentes. « Si cette discrimination était fondée sur la couleur de peau, elle serait considérée comme inacceptable, ce qui n’est pas le cas de cette discrimination, » regrette un émigré coréen, ancien professeur d’université. « Les russophones en Estonie constituent donc une minorité même si elle est née ici ».

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