Minorité Rom de Belgrade : entassons-les dans des conteneurs
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Céline AlbertIgnorée mais tout de même décriée, impuissante malgré son importance, la minorité Rom est en marge de la société et vit des déchets de celle-ci. Les Roms de la capitale serbe ont été forcés de quitter les rives de la rivière Save, à proximité de l'hôtel de luxe du Nouveau Belgrade, pour s'entasser dans des conteneurs en banlieue. Et le tout pourrait bientôt disparaître.
Rifat sourit et tend les bras. « Bienvenue au zoo ! » La chaleur du soleil de midi est en partie atténuée par un parasol incliné. Nous sommes assis autour d'une table en plastique et nous partageons des verres de limonade couplés de quelques cigarettes. L’endroit n’est pourtant pas une sinécure. Il y a à peine quelques semaines, les très controversées autorités municipales ont expulsé Rifat et des centaines d'autres Roms de Belville, le plus grand camp informel de Roms à Belgrade. Il abritait plus de 1000 personnes, mais il se trouvait sur le chemin d'un projet de route menant à un nouveau pont sur la rivière Save. A présent leur demeure est ici à Jabucki Rit, à 13km de la ville, au beau milieu de la campagne. Le silence y est assourdissant et il n'y a pas un immeuble en vue. Pas un emploi non plus.
Mobil-home ou conteneurs ?
Il y a quelques jours, la chaleur a fait exploser la télévision d'un vieil homme
Les représentants municipaux ont fourni à la minorité Rom des unités de logement mobiles : il s'agit en fait de conteneurs métalliques. Ils ne mesurent pas plus de 6 m², soit moins qu'une cellule de prison moyenne. Pourtant des familles nombreuses doivent s'y entasser. Au toucher, l'extérieur d'un conteneur est aussi brûlant qu'une bouilloire chaude. Il y a quelques jours, la chaleur a fait exploser la télévision d'un vieil homme. En traversant ce Stonehenge métallique, je remarque un mur éclaboussé de peinture blanche. Enver m'explique que le matin du 1er mai, un groupe de jeunes masqués et armés de battes de base-ball sont entrés dans le camp et ont griffonné des slogans racistes et des croix gammées sur ce conteneur. « Certains d'entre nous les ont vus, mais nous n'avons pas tenté de discuter ni de les affronter. Si nous avions riposté, le lendemain c'est toute la ville qui serait venue nous tuer. »
Bien que les conditions sanitaires se soient nettement améliorées, les habitants mènent encore une existence tout à fait insoutenable. Une femme enceinte a récemment dû parcourir 30km pour rejoindre le village le plus proche où une ONG fournit de la nourriture. « Le bus est tombé en panne, il a fallu toute la journée, raconte-t-elle. Nous ne pouvons pas travailler ici, sommes-nous censés manger de l'herbe ? » Pour pouvoir occuper ces résidences métalliques, les habitants sont soumis à de nombreuses conditions, rassemblées dans un contrat complexe. Parmi ces conditions, l'obligation de scolariser les enfants, alors qu'aucun moyen de transport ne permet de se rendre facilement à l'école. Dans la ville, de nombreux Roms gagnent de l'argent grâce à la collecte et au recyclage de cartons et de métaux, mais dans les régions éloignées telles que Jabucki Rit, c'est impossible. En conséquence, ce sont la torpeur et le découragement qui règnent.
« Légalement invisibles »
Pourtant les choses pourraient être pire. Certains Roms ont été envoyés à Dren, à 20 km de Belgrade. Jovana Vukovic du Centre régional pour les minorités, explique : « Ce campement est essentiellement construit sur un marais. Récemment, il a été envahi par les grenouilles ! Elles font tellement de bruit que les gens ne peuvent plus dormir. » On voudrait garder le sens de l'humour, mais on rit jaune. « La ségrégation des Roms dans des campements de conteneurs et leur isolement loin de la ville accroît leurs besoins en aide sociale et contribue ainsi à les rendre plus passifs. » Slavica Denic, secrétaire d’État au Ministère des Droits de l'homme et des minorités a récemment annoncé : « La position des Roms en Serbie s'est considérablement améliorée au cours de la décennie pour l'inclusion des Roms. » Danilo Curcic de l'ONG Praxis réagit : « En 1957, l'Allemagne aurait pu affirmer que les choses allaient mieux que dix ans auparavant, mais cela ne change pas le nœud du problème. A Belgrade, les Roms sont légalement invisibles. Le jour de l'expulsion a coïncidé avec une action de grève au Centre d'Assistance sociale. L'expulsion a donc eu lieu sans surveillance adéquate. »
« J'ai récemment subi une crise cardiaque, je suis sûr qu'elle est due au stress. »
A un monde de là, dans une étude tapissée de livres à l'intérieur d'une maison spacieuse, nous rencontrons Dragoljub Ackovic, le directeur du musée rom à Belgrade. Une statue en onyx noir est placée bien en évidence sur son bureau: « un souvenir de l'Afrique du Sud. » Le musée a été créé en 2009 et les médias ne tarissent pas déloges sur l’établissement. Mais depuis lors, le bâtiment a été saboté et les financements nécessaires font défaut. « C'est une bataille constante avec les autorités de la ville », dit Ackovic. « J'ai récemment subi une crise cardiaque, je suis sûr qu'elle est due au stress. » Apparemment, un grand nombre de problèmes auxquels sont confrontés les Roms sont dus à un manque d'engagement et de représentation politique.
Dragoljub se lance dans un discours nuancé au cours duquel il dénonce ses ennemis politiques et fournit des listes de personnages historiques dont l'héritage rom serait resté secret (William Shakespeare et Bill Clinton, parait-il). « La cohabitation est possible entre les Roms pauvres et les citoyens de Belgrade, mais la transition du socialisme au capitalisme a rendu très difficile la vente de produits traditionnels qui doit maintenant faire face à la concurrence extérieure. Alors beaucoup de Roms travaillent dans l'élimination et le recyclage des déchets, ou ils se sont simplement mis à mendier. J'ai suggéré la création de syndicats de collecteurs de déchets, mais jusqu'à présent la ville n'a rien voulu entendre. » A la fin de l'interview, il me remet un livre volumineux dont il est l'auteur, un livre sur l'histoire et la culture des Roms à Belgrade. J'ouvre une page au hasard et tombe sur cette phrase : «... lorsque la nation tout entière plonge dans la misère, ce sont les marginaux qui en ressentent les premiers symptômes. »
Jungle de béton et Nouveau Belgrade
A Belville, qui se trouve au milieu d'une véritable jungle de béton due au développement rapide du Nouveau Belgrade, certains de ces marginaux portent un œil très critique sur les représentants roms comme Dragoljub. « Les gens comme lui ne représentent les Roms que si c'est lucratif », affirme Boris, l'un des rares résidents restants du camp informel, dont l'avenir est incertain. « Ils nous exploitent à des fins politiques et financières. S'il se soucie de nous, alors pourquoi n'est-il même pas venu visiter Belville une seule fois ? » Parfois les paroles de Borka sont recouvertes par le bruit des trains qui passent au-dessus de nous. Mais elle continue, fâchée: « je ne pourrai jamais vivre dans un conteneur. S'ils essaient de m'y forcer, j'intenterai un procès à la ville. Ou alors je déménagerai en Belgique. »
Je quitte le camp et crapahute à travers le bidonville vers la route principale. Je tombe immédiatement sur ce qui semble être un décor de cinéma abandonné. A travers la clôture, je vois une grande place, un vieux tramway et une voiture d'époque, le tout entouré de représentations de bâtiments, parmi lesquels je reconnais l'Hôtel Moskva. Il s'agit d'une réplique de la place Terazije dans les années 1930. Ils appellent cela « Le Vieux Belgrade dans le Nouveau Belgrade ». Je jette un œil en arrière vers les débris de Belville. On dirait qu'une ville qui loue son passé glorieux mais néglige ses réalités actuelles, est condamnée à être hantée par ses fantômes.
Cet article fait partie d'une série de reportages sur les Balkans réalisée par cafebabel.com entre 2011 et 2012, un projet cofinancé par la Commission européenne avec le soutien de la fondation Allianz Kulturstiftung. Merci à cafebabel.com Belgrade.
Photos : Une (cc) Mathieu Péborde/flickr ; Texte :©Andrew Connelly.
Translated from Belgrade’s Roma minority: pop them in a metal container