Mai Masri : « 3000 Nuits est une histoire universelle sur la justice »
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Elodie Red3000 Nuits raconte l'histoire de Layal (Maisa Abd Elhadi), une Palestinienne qui découvre qu'elle est enceinte alors qu'elle est incarcérée dans une prison israëlienne. Nous avons rencontré la réalisatrice Mai Masri pour parler de l'équilibre entre faits et fiction, le travail avec les enfants et les difficulté de tournage dans une vraie prison...
cafébabel : Jusqu'à maintenant vous avez principalement travaillé sur des documentaires, et 3000 Nuits est votre première oeuvre de fiction - bien qu'il soit inspiré de faits réels. Qu'est ce qui vous a poussée à réaliser quelque chose de plus dramatique au lieu d'un simple documentaire ?
Mai Masri : Le film est inspiré par l'histoire d'une femme que j'ai rencontrée dans les années 80, alors que je tournais dans ma ville natale, Nablus en Cisjordanie. Elle m'a raconté comment elle avait donné naissance à son bébé dans une prison israëlienne, et cela m'a réellement touchée - surtout les conditions dans lesquelles elles vivaient, le fait qu'elle ait accouché enchaînée et élevé son enfant derrière les barreaux. Son histoire est restée ancrée dans mon esprit pendant des années. J'ai commencé à faire des recherches et rencontré d'autres anciennes prisonnières, surtout des mères. Leurs histoires étaient tellement percutantes, dramatiques que j'ai ressenti le besoin de les raconter dans un récit. Je ne voulais pas simplement en parler, je voulais recréer les moments dramatiques et pouvoir prendre la liberté de m'éloigner des faits pour être plus créative. Pour moi c'est une continuation, je ne vois pas de rupture entre ce film et ce que j'ai fait avant. Beaucoup de mes documentaires sont également narratifs en soi.
cafébabel : Layal regroupe donc les histoires de toutes ces femmes ?
Mai Masri : Pour moi c'est une combinaison, un ensemble de toutes les personnes, moi inclus. Je me retrouve moi-même dans Layal, dans le sens où c'est une femme ordinaire qui se retrouve face à des décisions difficiles - la décision d'aider un étranger qui la mène en prison, ce qui aurait pu m'arriver - ainsi que les décisons liées à la maternité. Je me suis beaucoup imaginée à sa place et j'ai tiré parti de ça.
cafébabel : Traditionellement, les « femmes en prison » est plutôt un genre d'exploitation. Dernier exemple en date : Orange is the New Black, qui reste du divertissement. Est-ce que c'est quelque chose que vous aviez à l'esprit quand vous tourniez 3000 Nuits ?
Mai Masri : Pas vraiment. Je l'ai plus fait parce que c'est une histoire qui touche les Palestiniens. C'est une historie qui n'a pas été racontée auparavant et qui résonne beaucoup. La prison est vraiment une métaphore sur la façon dont les Palestiniens ont été traités sous l'occupation. Je n'y ai pas vraiment réfléchi comme un film sur « les femmes en prison ». Ce qui m'intéressait plus c'était l'idée d'un enfant qui grandit derrières les barreaux, c'était ça ma motivation. En même temps, le cinéma se doit d'être interactif !
cafébabel : Il y a beaucoup de scènes qui ressortent à cause de leur caractère cinématographique - particulièrement un plan vers la fin du film qui semble tiré des Évadés. Comment maintient-on l'équilibre entre réalisme et drame ?
Mai Masri : Je pense que ces « moments magiques » sont un vrai plus pour le film, mais ils sont aussi très difficiles à insérer. Il y avait beaucoup de plans auxquels j'étais attachée et qui disent beaucoup sans dialogue. Par exemple, il y a un très gros plan de l'oeil de Layal, et on voit la prison toute entière se refléter dans sa pupille. On voit sa souffrance et tout ce qui l'entoure d'un seul coup d'oeil. Il y a aussi les plans en accéléré des ombres sur les murs qui reviennent tout au long du film - c'est esthétique mais il y a aussi du sens derrière. Le plan de Layal sous la pluie était une référence intentionnelle, je voulais rendre hommage à ce puissant film. Mais la pluie joue aussi un rôle de purification - le film s'ouvre et se termine sous la pluie.
cafébabel : Le film évoque beaucoup l'idée de la « liberté de l'esprit » et le réconfort que les gens y trouvent - même le titre, 3000 Nuits, semble faire référence à Shéhérazade et les 1001 Nuits.
Mai Masri : Il y a de ce sens lyrique du récit - Shéhérazade est une femme forte qui utilise le récit comme acte de survie, et Layal est une femme forte qui survit en prison. Mais il y a aussi un sens plus littéral puisque 3000 nuits représente le temps qu'elle passe en prison (environ huit ans).
cafébabel : Pour en revenir à la prison elle-même... C'est presque comme si elle était l'autre star du film. Pouvez-vous nous parler du processus de tournage dans la prison de Zarqa ?
Mai Masri : J'ai visité la pluaprt des prisons en Palestine, en Cisjordanie, pendant que je faisais mes recherches et explorais des lieux de tournage. Je comptais tourner en Palestine puis j'ai découvert cette ancienne prison militaire en Jordanie. Comme le film a été financé en partie par la Commission royale du cinéma de Jordanie, ils ont pu m'obtenir un permis de tourner dans la prison. Elle est utilisée en ce moment comme base militaire.
C'était important pour les acteurs, cela leur a permis d'oublier qu'ils jouaient. L'expérience était traumatique pour eux dans un sens, avec les murs oppressants, les barres métalliques, mais cela fait toute la différence. Ils ont pu vraiment amener quelque chose de personnel au rôle, et cela est devenu une sorte de thérapie.
cafébabel : Comment cela s'est-il passé avec un enfant dans un tel environnement ?
Mai Masri : C'était un énorme pari - on dit qu'il ne faut pas travailler avec des animaux ou des enfants, j'ai fait les deux dans ce film ! Mais j'ai l'habitude de travailler avec des enfants, il y en a beaucoup dans mes documentaires. C'était difficile mais il faut être patient et comprendre qu'on ne peut pas diriger un enfant de deux ans. Il faut attendre le bon moment et le saisir. Nous avons du recréer des conditions afin de provoquer certaines réactions - quand il sourit ou rit il est vraiment heureux, et quand il pleure, il a peur pour de vrai. Nous avons dû essayer de dissimuler la caméra à certains moments pour ne pas qu'il la regarde directement. C'était tout un exercice - travailler avec des enfants c'est un tout autre niveau, ils sont tellement spontanés et réagissent de manière inattendue. Ça me rend plus créative.
cafébabel : Vous avez dit vous retrouver beaucoup en Layal. Est-ce que son histoire vous fait penser à votre propre expérience en tant que parent ?
Mai Masri : L'expérience de la maternité elle-même, telle qu'elle est présentée dans le film, est quelque chose dont je me sens proche - c'est pour ça qu'il était important pour moi de montrer l'accouchement. Puis, il y a l'idée de toutes ces femmes devenant mères en prison - pour moi c'est un tournant dans le film. Cet enfant change tout pour les personnages, il représente un moment d'espoir. Il y a plus d'humour, des moments plus positifs commencent à apparaître dans l'histoire. Et cela transforme Layal, elle trouve sa force.
Bande Annonce de 3000 Nuits de Mai Masri.
cafébabel : Le film a été choisi pour représenter la Jordanie aux Oscars et la Palestine aux Golden Globes. Qu'est ce que cela fait ?
Mai Masri : Je suis très heureuse - c'est un sujet tellement important pour beaucoup de Palestiniens et je suis fière que le film puisse atteindre un si large public dans les festivals à travers le monde. C'est un rêve devenu réalité.
cafébabel : Le public des festivals peut être très différent du grand public - que voudriez-vous que le public français (et dans le reste de l'Europe) retienne du film ?
Mai Masri : Je veux que les gens ressentent l'humanité et l'espoir, et puissent comprendre ce qu'il se passe un peu mieux. Mais je veux surtout qu'ils soient inspirés par les histoires des Palestiniens qu'ils n'ont pas l'habitude de voir, et se sentent reliés. La Palestine est un peu au second plan en ce moment avec tout ce qu'il se passe dans le monde. Mais il ne s'agit pas que de la Palestine, c'est une histoire universelle sur la justice que tout le monde, peu importe où il soit dans le monde, peut comprendre.
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Voir : 3000 Nuits de Mai Masri (le 4 janvier 2017 en salles)
Translated from Mai Masri: "3000 Nights is a universal story about justice"