L’Europe vire-t-elle à gauche ?
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Véronique MazetLes partis contestataires européens préconisent la protection sociale et rassemblent les « indignés » de tout âge. Avec des leaders charismatiques, capables de transcender les populations, ils promettent de rendre espoir et dignité aux pays démantelés par les plans d’austérité. L’Europe serait-elle en train de virer à gauche ?
Depuis le sommet atteint par la crise économique en 2010, les pays du sud de l’Europe se sont appauvris, criblés de dettes trop élevées pour être honorées. Le taux d’emploi a chuté, et la protection sociale s'est affaiblie. Les jeunes comme les plus âgés ont perdu tout espoir.
L’inégalité et la corruption rampantes au sein des gouvernements respectueux des souhaits des marchés conjuguées à un niveau d’austérité sans précédent, ont conduit les peuples d’Europe du Sud à protester. Éclos en Espagne en 2011, ces mouvements de protestation de masse, connus sous le nom d’Indignés, réclament une alternative. Des partis contestataires ont commencé à voir le jour dans le sud de l'Europe, conduits par des leaders jeunes et éduqués. Ils ont adopté un discours radical selon lequel le peuple doit demander la restitution de ses droits. Cela a contribué à un rajeunissement de la gauche au sein de la politique européenne.
En Grèce, Syriza – la coalition de la gauche radicale – est officiellement devenu un parti en 2012. Avec le slogan « l'espoir est en marche », la formation a obtenu plus de 16% des voix aux élections législatives de la même année et s’est ainsi établie comme le principal parti d’opposition. Syriza est ensuite arrivé en tête avec 26,5% des suffrages aux élections européennes de 2014. Lors des élections anticipées de janvier 2015, le parti est arrivé au pouvoir dans son pays avec 36% des votes, à deux sièges de la majorité.
Syriza nommera des technocrates et des universitaires aux postes ministériels, pendant que son leader, devenu premier ministre, le quarantenaire Alexis Tsipras, promet de restaurer les avantages sociaux à ceux qui en ont le plus besoin, et de renégocier la dette nationale avec une institution plus démocratique qui apportera des résultats viables.
Les partis contestataires européens de tous bords politiques se sont réjouis de la victoire de SYRIZA, la décrivant comme une « claque démocratique ». Ils cherchent aussi à exploiter ce succès pour augmenter leur propre popularité. C’est donc sans surprise qu’une alliance politique de gauche est apparue en Italie. L’altra Europa con Tsipras (L’autre Europe avec Tsipras) a été fondée en 2014, spécialement pour les élections européennes pour lesquelles Tsipras était le candidat de la Gauche.
Au Royaume-Uni, 15 députés travaillistes ont publié une déclaration qui recommande vivement un arrêt des politiques d’austérité, une réduction des dépenses, le retour à la propriété publique de la franchise ferroviaire ainsi que la restauration de la négociation collective et des droits du travail. Les députés Verts ont également salué la victoire de Syriza, déclarant qu’ « elle marque les débuts de citoyens ordinaires qui se lèvent contre un modèle économique discrédité ».
Le parti de gauche le plus important en Europe après Syriza pourrait aujourd’hui être Podemos (Nous pouvons) en Espagne. Fondé en 2014, ce parti populaire de gauche cherche à résoudre les problèmes persistants de l’inégalité, du chômage et du déclin économique, notamment à travers une renégociation des mesures d’austérité et une redéfinition de la souveraineté. Aux élections européennes de 2014, Podemos a obtenu 8% des votes et a gagné cinq sièges au Parlement européen. D’après un récent sondage d'El Pais, Podemos pourrait gagner les élections législatives de cette année avec 27,7% des votes.
Son leader, Pablo Iglesias, 36 ans et ancien professeur de sciences politiques à l’Université Complutense de Madrid, est un jeune orateur qui, comme son allié grec Tsipras, sait comment susciter l'émotion et le soutien de l'opinion publique. En effet, 150 000 personnes se sont rassemblées à la Puerta del Sol à Madrid le 31 janvier 2015. À plusieurs reprises, Iglesias les a appelés à se lever et à rêver à nouveau, pour que son parti rende le pouvoir au peuple.
Huit pays européens se préparent cette année à des élections. Davantage de partis de contre-pouvoir vont saisir l'occasion. Au Portugal, le parti « Socialists » demande la fin de l’ère d’austérité de la zone euro. Par ailleurs, le parti d’opposition de gauche d’Irlande Sinn Féin souhaite qu'une réaction en chaîne émane de la Grèce et stimule l'ascension des partis de gauche.
Néanmoins, alors que la gauche émerge de l’austérité au Sud, le Nord de l’Europe fait face à une montée de l’extrême droite. Le Front National, Alternative pour l'Allemagne, UKIP et le Lega Nord en Italie ont progressé (en particulier aux élections européennes de 2014) avec un programme fondé sur la condamnation de l’austérité, de l’Euro et le refus d’assouplir les engagements de la dette au Sud.
Ainsi, la crise financière en Europe a généré un gouffre entre gauche et droite, écartant la population dans chaque extrême. Cet effondrement du centre risque de causer une déchirure dans la construction de l’Europe à moins qu’un compromis ne soit trouvé.
L’Europe serait-elle alors en train de virer à gauche ? Cela reste à prouver, mais ce qui est sûr, c'est que les partis de gauche gagnent en importance et que leurs voix contre la domination de l’hégémonie néolibérale se font entendre de plus en plus fort.
L’Europe a besoin de l'électrochoc de ces jeunes leaders et de se débarrasser de l’image tout en costard-cravate des institutions. Pour regagner la confiance de ses peuples, l'UE doit voir, penser et agir comme eux et non comme une minorité qui opprime la majorité. Même si cela échoue, donner une chance à la gauche en vaut la peine.
Translated from Is Europe turning to the Left?