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Les Internautes, ces anars du Web

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Julien Hue

CultureSociété

« Je ne peux pas accepter que l’anarchie règne sur Internet et que tout le monde puisse s’y procurer les contenus dont il a envie, sans jamais débourser le moindre centime », a lancé le secrétaire d’état britannique à la culture, Ben Bradshaw, le 20 octobre 2009. Transnational et hors de contrôle, Internet irrite les législateurs.

« Internet est étrange. Il ne rapporte pas d’argent, il est transnational, hors de tout contrôle : le parfait événement anarchiste »

Le 1er septembre 2009, lorsque la compagnie de télécommunications irlandaise Eircom a pris la décision de bloquer l’accès à Pirate Bay, le site de partage le plus populaire au monde basé en Suède, un gloussement retenu, légèrement sardonique, s’est presque fait entendre dans la sphère Internet mondiale. Quand on sait qu’une simple recherche sur Google suffit à fournir la panoplie d’outils nécessaire à contourner le gigantesque « firewall » chinois, le clairon sonné par Eircom sur le thème du contrôle d’Internet sonne pour le moins ridicule. Les fournisseurs d’accès ne sont tout simplement plus aux manettes sur le Web. « Perte de temps », déclare un commentateur sur le forum étudiant irlandais Studentsmart.ie. « Allez sur le site x.com et cliquez sur la mention ‘contourner le blocage Eircom’. Ah ah ah … Vous y êtes ! La seule chose à laquelle ils parviendront sera de rendre cette pratique un peu plus confidentielle… Le nombre de façons de partager des fichiers est tel qu’en réalité, il faudrait purement et simplement fermer Internet pour l’empêcher définitivement. »

Pourquoi payer

La nature profondément anarchique de l’échange de fichiers sur Internet va plus loin que la simple idée de passer entre les mailles des filets des grandes compagnies avides de profits. Car la culture du « tout gratuit » et de l’échange sans fin de fichiers remet en cause l’hégémonie de la propriété privée. Aujourd’hui, il existe une communauté internationale de ressources et de moyens individuels dans laquelle l’argent a été effacé de l’équation. Cette évolution a conduit de nombreuses personnes à s’interroger sur le lien entre culture et économie : pourquoi les multinationales contrôlent-elles les ressources artistiques et l’information ? Les industries du disque et du film ne parviennent pas à justifier le fait que, selon eux, le partage des fichiers est une pratique à bannir (les variations créatives sur le thème du « désormais, nous ne vous volerons plus » n’ont guère convaincues…) Dans les faits, les gens commencent à concevoir Internet comme un outil de participation, plutôt que comme un objet de possession.

(zharth/ flickr.com/photos/zharth/)Mouvement anarchiste et droits de la propriété intellectuelle, le débat faisait déjà rage à l’époque de Léon Tolstoï qui s’élevait contre le principe du droit d’auteur, il y a plus d’un siècle. Aujourd’hui, les groupes de pression hostiles aux droits d’auteur se créent à une vitesse étourdissante. L’association française des « audionautes » a été fondée en 2004 dans le but de fournir une assistance juridique aux personnes mises en cause pour violation du droit d’auteur. Un nombre de plus en plus important de publications électroniques ont recours à la license « copyleft » [« droits de reproduction abandonnés », ndlt], qui protège la liberté de reproduire et de copier un travail plutôt que de la réduire. Des groupes comme Pirate Cinema combinent des pratiques telles que le piratage d’œuvres cinématographiques et des opérations de squattages dans des villes comme Berlin, Helsinki ou Copenhague. 

Des organisations en ligne comme la Free Software Foundation (« Fondation pour le logiciel libre ») se donnent pour mission de libérer tous les logiciels de l’idée même de propriété. « Les entreprises qui sont derrière les logiciels standards vont généralement espionner vos activités et limiter vos possibilités de partager avec d’autres personnes », explique le site Web de la fondation. « Et parce que nos ordinateurs contrôlent une grande partie de nos informations personnelles et de nos activités quotidiennes, le logiciel-propriété constitue un danger inacceptable pour toute société libre. »

Une boîte de Pandore

Le partage de contenus sur Internet a ouvert une sorte de Boîte de Pandore. Jusqu’à aujourd’hui, les efforts répétés des gouvernements de l’Union européenne pour juguler ces échanges n’ont eu pour résultat qu’une croissance exponentielle du phénomène. Les dispositifs anti-piratage successifs concoctés par le Royaume-Uni ont été régulièrement critiqués car inopérants. « Seule une solution technique arrêtera les gens, explique Alex Brown, spécialiste du « droit sur Internet » au quotidien The Guardian. Mais le problème, c’est que nous n’en avons aucune ».

« Aussi mauvaise soit cette loi, la technologie ne s’arrête jamais, et il y a tellement d’autres routes que celle de la loi… »

Pendant ce temps, le quotidien suédois Sydsvenskan rapporte que la majorité des candidats suédois aux élections européennes de cette année partageaient cette opinion que l’Europe était déjà allée trop loin sur ce sujet. « Les lois de l’UE sont fondées sur une campagne de lobbying impulsée depuis Hollywood, avec une foi aveugle dans la surveillance totale d’Internet », estime le député écologiste Carl Schlyter dans un article publié par le journal The Local, « ce qui n’est ni possible ni souhaitable »

Même lors des débats autour de la directive européenne controversée « sur le renforcement des droits internationaux de la propriété intellectuelle », les contours du profil du pirate du Net moyen n’ont pas semblé clairement identifiés. Un commentaire sur le site Web de The Local résume bien l’attitude de cette nouvelle communauté de gens qui partagent des fichiers, mettant en regard les formes traditionnelles d’autorité avec l’innovation galopante : « Aussi mauvaise soit cette loi, la technologie ne s’arrête jamais, et il y a tellement d’autres routes que celle de la loi… » William Gibson, l’auteur de science-fiction américano-canadien qui inventa l’expression « cyberespace » ne disait-il pas, déjà, en 1984, « Internet est étrange. Il ne rapporte pas d’argent, il est transnational, hors de tout contrôle : le parfait événement anarchiste » ?

Translated from Internet: 'the great anarchist event' no longer ours to 'control'