Les inséminations artificielles : quel mal à ça ?
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Manon LeonhartChaque année, l’indignation publique d’une célébrité contre les formes d’insémination artificielle provoque un nouveau remue-ménage. Les débats houleux à ce propos montrent surtout une chose : une profonde inquiétude sociale face aux nouvelles formes de société.
L’an dernier, c’est la détentrice du Prix Georg-Büchner Sibylle Lewitscharoff qui se chargea avec son discours à Dresde de créer le scandale dans la presse allemande. Elle désignait les enfants nés par insémination artificielle de « demis êtres » et qualifiait cette pratique médicale « d’absolument répugnante. »
Puis en mars 2015, c’était au tour des designers Dolce & Gabbana de faire des vagues dans ce système de nouvelles formes de reproduction et de parenté encore inconnues des profanes et surtout très peu définies. Le duo de designers s’énervait à cause de faits que nous pouvons peut-être déjà nommer mais pour lesquels nous n’avons pas encore trouvé de manières de les traiter dans la société. Les mères porteuses, les dons de sperme ou d’ovocytes ainsi que l’insémination artificielle furent qualifiés d’aberrants et la reproduction naturelle, non chimique et se basant sur l’amour fut revendiquée. Tous les autres enfants seraient d’après les papes de la mode « synthétiques ». Elton John qui, avec son compagnon David Furnish, élève deux enfants nés grâce aux dons de sperme et à des mères porteuses, qualifia la façon de pensée des designers italiens « d’archaïque » et appela au boycott international de la marque. En dehors du fait que tous les enfants ne sont pas conçus par amour, mais qu’un nombre non négligeable d’enfants naît aussi suite à des viols, par habitude dans le mariage ou par envie d’aventure dans des armoires à balai (la fille de Boris Becker en est la preuve), ces nouvelles indignations face à des techniques de reproduction modernes expriment avant tout une chose : une grande inquiétude sociale. La seule famille, comme le proclamait Domenico Dolce, serait pour lui la traditionnelle.
Mais c'est quoi au juste, la famille traditionnelle ?
On peut observer que les indignations, aussi bien dans le cas de la détentrice du prix littéraire que dans celui des deux fashionistas, trouvent leurs origines dans des recoins plutôt conservateurs, voire très catholiques. L’ethnologue Jack Goody a présenté cela de manière très claire dans son livre La famille en Europe : ce que nous définissons en général aujourd’hui comme la « famille », autrement dit Maman et Papa qui s’aiment et qui, par pur altruisme, font des enfants – le mariage d’amour, donc – est une institution sociale relativement nouvelle et avant tout encouragée par le christianisme. L’église catholique a avant tout fondé sa richesse sur le fait qu’elle proclamait le mariage d’amour (« jusqu’à ce que la mort vous sépare ») et que les parts de biens superflus devenaient la propriété de l’église. La famille sacrée a donc été commercialisée de façon rentable.
Tout n’est donc que de la poudre aux yeux ? L’église catholique rejette jusqu’à aujourd’hui toute forme d’insémination artificielle, c’est stipulé dans le « Donum Vitae » du Vatican datant de 1987. De la même manière, toutes sortes d’objets « artificiels » tels que des préservatifs n’ont pas le droit de se glisser dans l’acte d’amour entre un homme et une femme.
Les familles recomposées ont besoin de règles recomposées
La soi-disant famille nucléaire traditionnelle est à notre époque de toute façon un modèle qui disparaît, et ce pas seulement en raison des nouvelles techniques de reproduction, mais avant tout à cause du taux important de divorces. Ce ne sont donc pas uniquement les familles homoparentales, comme celle d’Elton John, qui bouleversent notre société, mais aussi et surtout le fait que presque un enfant sur deux ne grandit pas chez son père et sa mère.
Le nombre croissant de familles recomposées ne bénéficie cependant de presque aucun cadre juridique. En France par exemple, ces familles ne peuvent que depuis peu demander la carte famille nombreuse de la SCNF qui permet non seulement d’obtenir des réductions pour les voyages en train mais aussi pour l’entrée des musées. Financièrement, ce sont justement ces modèles de famille qui sont défavorisés puisque celles-ci ne disposent pas d’un cadre juridique précis, et ça commence déjà par les impôts. Certes, les beaux-parents doivent payer pour les enfants vivant dans le ménage, mais ils n’ont aucun droit en ce qui concerne la participation à leur éducation.
En Allemagne, les beaux-parents sont autant privés de droits qu’en France. Et puisque même le statut des beaux-parents n’est pas juridiquement réglé dans les États européens, comment celui des mères porteuses, des donneuses d’ovocytes et des donneurs de sperme pourrait-il l’être ? Les mères porteuses sont illégales dans de nombreux pays européens, les donneurs et donneuses de sperme et d’ovocytes ne sont accessibles que sous certaines conditions médicales (les couples homosexuels en sont la plupart du temps exclus). Cela créé un marché illégal, un « tourisme reproductif » qui s’étend dans toute l’Europe et au-delà de ses frontières.
Une fois procréé(e)s ou mis(es) au monde, les obligations et interdictions sont elles aussi mises devant le fait accompli. C’est ce qu’a montré le cas de la Berlinoise de 65 ans qui, suite à un don d’ovocytes et de sperme, est enceinte de quadruplés. Cette mère n’est pas seulement déjà mère de treize enfants, mais elle les élève aussi seule. De nombreuses voix effarées s'élevent aujourd’hui. Mais serait-il possible, que les vieilles mamans d’aujourd’hui deviennent les jeunes mères de demain ? Quoi qu’il en soit, de plus en plus de jeunes femmes laissent congeler leurs ovocytes, se le font en partie financer par leur employeur, et par là elles agissent sûrement exactement comme il le faut si dans leur vie elles souhaitent concilier le fait d’avoir des enfants et de faire carrière.
Le tourisme de reproduction consumériste
D’après Bernard H. qui travaille en tant que gynécologue à Paris, ce serait une perspective d’avenir pour de nombreuses femmes carriéristes : « Elles congèlent leurs ovocytes à la mi-trentaine alors qu’elles sont célibataires pour les féconder des années plus tard avec le sperme de leur futur mari et mener à terme une grossesse. » Pour le gynécologue qui dirige un cabinet d’assistance médicale à la procréation rencontrant beaucoup de succès, le problème repose avant tout dans le caractère contradictoire de l’espace européen. « Il n’existe pas de contrôle homogène, déplore-t-il. La congélation embryonnaire est autorisée en France, mais pas en Allemagne. En Belgique, les couples homosexuels ont accès à l’insémination artificielle, alors qu’en France et en Allemagne non. Ces couples doivent alors dépenser beaucoup d’argent à l’étranger pour avoir des enfants. »
L’envie d’avoir des enfants est par ailleurs conçue comme étant un besoin élémentaire des êtres humains. À travers cette jungle juridique contradictoire et en partie très stricte en Europe, ce besoin se réduit à devenir du tourisme reproductif caractérisé par la consommation. Et au final, les gens seront, dans ce désordre, constamment mis devant le fait accompli. « Si les femmes tombent un jour enceintes, explique Bernard H. concernant les couples homosexuels, je les traiterai aussi. » Ainsi, il ne se heurte pas toujours qu’à la bienveillance des ses patientes hétérogènes : « Je suis sans cesse interpellé à ce sujet, quand des lesbiennes sont assises dans la salle d’attente et se tiennent la main. Je dis au gens : ce sont des femmes enceintes tout à fait normales et je les accoucherai aussi. »
Simone est pacsée depuis 4 ans avec sa concubine, chacune d’entre elle a eu un enfant suite une insémination artificielle. « Ma petite sœur s’est fait rembourser son insémination artificielle parce que son mari, gros fumeur, n’avait plus de sperme. Ma compagne et moi avons dû utiliser toutes nos économies pour ça », raconte-t-elle amèrement. Pour elle il s’agit de discrimination pure.
En ce qui concerne les mères porteuses, la législation est encore plus compliquée. En Belgique, seuls les Belges peuvent recourir à cette aide, en Allemagne et en France, c’est interdit. « Les Indiennes sont très actives dans ce domaine, explique Bernard H. Et elles payent souvent de leurs vies pour ça parce qu’elles mettent à terme une grossesse après l’autre pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Elles sont beaucoup trop mal payées pour ça, c’est de l’exploitation pure et simple. » Ne serait-il pas mieux de créer des lois homogènes qui correspondraient aux besoins modernes des citoyens européens ? « Bien sûr que si. Mais pour cela, il faudrait d’abord réussir à se mettre d’accord. Le Parlement européen a laissé passer de nombreuses chances », pense l’expert.
Vivre autrement
Dans tous les cas, avec 1,41 enfants par femme en Allemagne en 2014, le taux de natalité n’augmente pas de manière particulièrement significative, par contre les mères deviennent de plus en plus vieilles. Notre façon de vivre change, et la politique devrait prendre cela en compte. Ainsi les protestataires conservateurs de droite s’habitueraient aussi petit à petit aux nouvelles situations familiales. Au lieu de passer notre temps à montrer du doigt ceux qui quittent les sentiers battus et de pester contre des « évolutions déviantes », nous ferions mieux d’unir nos forces et de participer à la conception de nouvelles formes sociales et de règlementations qui définiraient ces nouvelles façons de vivre.
Dans son livre Le Môme en conserve de 1985, Christine Nöstlinger critiquait surtout le perfectionnisme des « enfants artificiels » dans l’histoire. À la fin, le petit Frédéric devient quand même, grâce a une bonne (ré)éducation, un enfant « normal ». Nous devrions nous en tenir à cette leçon issue de la littérature pour enfants. Il n’y a rien de mal aux enfants en conserve. Seulement, nous ne devons pas espérer la perfection, et ne devons pas établir de contrôle génétique absolu.
Translated from Konservenkinder sind ok