Les Français dans l'ombre de l'ancien régime
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Prune AntoineCe 28 mars, la France est au cœur d’une autre journée de grèves et de manifestations contre la nouvelle législation sur le travail des jeunes. Des protestations qui révèlent le malaise profond de la société française.
D’un côté, les étudiants manifestent contre le Contrat Premier Embauche (CPE), une disposition qui implique pour l’employeur la possibilité de licencier son employé de moins de 26 ans durant une période de deux ans, sans justification. Ces jeunes s’élèvent contre la précarité à venir. De l’autre côté, des casseurs, qui, furieux contre une société dont ils sont systématiquement exclus, n’ont pas hésité à se mêler aux cortèges du 24 mars dernier, semant la zizanie et la violence. Parqués dans des tours de béton dans les banlieue de villes où le chômage peut atteindre 50%, ils veulent eux s’attaquer à une société qui les laisse à l’écart. Et ce que ces deux franges de la population ont en commun va bien au-delà du CPE.
Le navire coule
Le CPE a été introduit en réponse aux émeutes de novembre 2005 dans les banlieues. Mais il ne fait qu’appliquer un simple pansement là où de la chirurgie lourde serait nécessaire. Parce qu’il ne concerne que les jeunes, le CPE menace d’approfondir le fossé entre ceux qui ont déjà un travail stable et les autres, hors système. Ce nouveau dispositif est en outre peu susceptible de fonctionner dans la mesure où il ajoute des contraintes administratives à un code du travail déjà complexe.
Règles opaques
Cela ne signifie pas que les arguments des protestataires soient mieux fondés. Les syndicats se sont engagés à protéger la sécurité de ceux qui sont déjà largement avantagés par l’Etat français, laissant de côté les revendications des plus vulnérables : les jeunes et les sans emplois. La comparaison avec Mai 1968 est ainsi déplacée. Les soixante-huitards rêvaient de changer le monde et de bousculer l'ordre établi. Aujourd’hui la jeunesse française se bat contre l’Etat afin de conserver la société. Selon les résultats d’une récente enquête, ce que souhaite la majorité des jeunes dans l’Hexagone est un travail stable au sein de la fonction publique.
Le problème : l’Etat n’est plus aujourd’hui en mesure d’assumer cette responsabilité. Le taux de chômage est de plus en plus élevé et la création d’emplois contrariée par une législation restrictive. Plutôt que d’assurer à ses citoyens une sécurité basée sur l’Etat, le Royaume-Uni considère que la meilleure assurance contre la précarité est la certitude de savoir qu’un autre job est disponible. Au lieu d’imaginer une manière de vivre dans un marché du travail plus flexible, la gauche française se cramponne à ses anciens avantages acquis. Le retrait du CPE ne changera rien aux problèmes de la France.
Invalides
Malheureusement, ce n’est pas seulement la législation du travail qu’il faut modifier. Le mouvement anti-CPE n’est pas seulement à propos du contrat première embauche : la contestation pointe du doigt un malaise plus profond de la société française. En face d’un Etat incapable d’offrir à ses immigrés le moindre espoir d’intégration et qui est de moins en moins apte à procurer des gages de sécurité à ceux qui sont déjà intégrés, la réponse a été jusqu’à présent été le silence. En novembre dernier dans les banlieues, le discours était celui des voitures brûlées et non celui de possibles solutions. C’est cette incertitude à propos de ce qu’il convient de faire qui unit les étudiants et les banlieues. Celle d’une société qui n’a pas de langage en commun pour parler de ses problèmes.
Jacques Marseille, professeur à la Sorbonne a récemment affirmé dans un entretien au quotidien Le Monde que « la rupture a toujours été partie intégrante de notre histoire. » Dans ce sens, la France n’a jamais progressé graduellement mais a besoin de crises pour avancer. Le blocage actuel représenterait donc une opportunité. La pire chose serait peut-être que de Villepin retire cette loi et que la France sombre à nouveau.
Translated from French workers in the shadow of the old order