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Les euro-trotters

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SociétéPolitique

Le concept de mobilité professionnelle a beaucoup changé en un demi-siècle : deux générations expliquent pourquoi elles ont quitté leur pays natal. Troisième volet de notre série 'Portraits croisés' pour les 50 ans de l'UE.

La bougeotte a toujours été l’une des caractéristiques de la vie en Europe. Le 1er janvier 1993 marque l'institution du marché unique, qui consacre les quatre grandes 'libertés' de l’espace communautaire : libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. Coup de projecteur sur deux trajectoires à cinquante ans d’intervalle, qui illustrent cette mobilité professionnelle ou personnelle à travers le Vieux continent.

De la Sicile au pays de la Marmite

« Les Anglais n'ont pas le caractère ouvert et confiant des Siciliens, même s'ils sont toujours agréables et polis à leur façon, » juge Concetta, visiblement enthousiaste au sujet de ses 23 années passées en Angleterre. C’est dans les années 50 que cette native de Sicile a émigré vers la Grande-Bretagne [qui n'a adhéré à l'UE qu'en 1973], accompagnée de son petit garçon de 5 ans. L’objectif : rejoindre son mari installé depuis quelques mois déjà outre-Manche.

C'était le premier voyage de Concetta hors de son île. Par l’intermédiaire de son frère, prisonnier pendant la Seconde Guerre Mondiale, les membres de sa famille s’étaient ainsi vus offrir à l’issue du conflit des emplois dans une ferme de la région des Cotswolds.

L'économie italienne de l’époque est alors en piteux état. « Les seuls emplois étaient à la campagne. Même à cette époque, aucun jour de repos n'était octroyé et les horaires étaient très lourds. Alors qu'en Angleterre, vous pouviez vous en sortir en travaillant un nombre d'heures raisonnable, avec à la clef un salaire décent, des congés et une retraite », se souvient Concetta.

Au départ, cette dernière pense rester seulement quelques années sur l'île britannique, le temps de gagner suffisamment d'argent à envoyer à la maison. Mais « ma fille est née, mon fils se débrouillait bien à l'école, nous n'avons pas voulu les perturber », glisse aujourd’hui Concetta pour justifier son séjour de plus de deux décennies. Avant reconnaître que la vie était dure. « Le climat était si froid. Tout le monde me manquait. Je ne parlais pas un traître mot d'anglais quand je suis arrivée ; et je ne maîtrisais toujours pas la langue de Shakespeare quand je suis repartie ! ».

En outre, il est inimaginable à l’époque d'effectuer régulièrement le long trajet en train de deux jours pour rallier la Sicile. « Cela coûtait beaucoup d'argent de rentrer à la maison, en fin de compte, nous avons fait le voyage tous les quatre ans ». Rien à voir avec les week-ends ‘dernière minute’ que l'on peut réserver aujourd'hui. Mais c'était le lot de nombreux Italiens. « Presque toute ma famille et mes amis faisaient de même, c'était la seule chance de survie », affirme Concetta.

Pour autant, le fait de pouvoir s'installer en Angleterre a été globalement perçu comme une chance [‘fortuna’] pour les candidats au départ. « Je ne peux pas imaginer ce qu'aurait été ma vie autrement. Mon fils n'aurait pas pu suivre ses études, je n'aurais pas eu les moyens d'acheter ma maison en Sicile ».

Concetta regrette seulement que sa famille soit désormais divisée géographiquement. Elle est retournée en Italie après la mort de son mari à la fin des années 70, sa fille est aussi rentrée au pays pour se marier, mais son fils qui a craqué pour le charme british est resté outre-Manche.

Entre les bourses d'étude, Erasmus and l'euro

« Mes parents nous ont toujours encouragé à voyager et à découvrir de nouvelles cultures ». Jessica, née au Luxembourg en 1983, possède la double nationalité anglo-française. « Dans ma famille, tout le monde parle plusieurs langues. Mes parents ne sont pas non plus Luxembourgeois, et mes grands-parents ont émigré du Royaume-Uni vers l'Irlande ».

Les stages de Jessica entre l’Europe et l’Amérique du Sud, ses études à Edimbourg et Dublin ou ses deux emplois à Bruxelles, sont à mille lieues du parcours de Concetta.

« Si j'étais restée au Luxembourg, je pense que je serais une toute autre personne aujourd'hui, certainement moins ouverte. Les voyages m'ont permis d'exprimer le meilleur de moi-même ». Actuellement en poste au Burkina Faso au sein d’une délégation de la Commission européenne, Jessica se sent très impliquée dans son activité d'aide au développement.

L'adaptation à l’Afrique a été facile. « J'ai d'abord vécu à l'hôtel puis chez une collègue, avant d'avoir mon propre logement. Tout était si nouveau au début. Mais les gens ici sont tellement chaleureux, ils vous accueillent par un concert de 'Bonne arrivée!' ». A l'opposé de Concetta, Jessica n'a pas eu à surmonter de barrière linguistique, le français étant la langue officielle du Burkina Faso, cohabitant avec une soixantaine de dialectes ethniques.

Les projets de Jessica pour l'avenir sont encore flous. 50 ans plus tôt, le cruel manque de travail et de nourriture en Italie aurait probablement pesé sur ses perspectives. « Dans deux ans, je retournerai en Europe, ou bien en Amérique du Sud ou en Asie, » explique t-elle. « En matière d'aide au développement, vous allez là où vous porte le travail, et il conduit naturellement à l'étranger. Je veux voyager et voir le monde tant que je suis jeune. J'aurai tout le temps de m'installer quand je serai plus âgée ! ». Pour Jessica, la seule ombre au tableau est ce virus de la bougeotte récurrente. « Après quelques années, je ressens le besoin de bouger et de vivre quelque chose de nouveau. C'est parfois un peu gênant ! ».

Translated from Working abroad - necessity or Easyjet pleasure?