Les Eboy, la ville sauvage en plein écran
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philippe-alexandre saulnierLondres, Cologne, Berlin ou Venise : un trio de designers berlinois surnommé Eboy pixélise à tour d’écrans, et donne une vision très personnelle des villes européennes.
Un jazz-band. Voilà comment se définissent les trois acolytes. Solidement construites, leurs créations sont aussi le fruit d’une improvisation ludique. Et ils le revendiquent. Depuis la fondation de Eboy en 1997, Kai Vermehr, 43 ans, Stefen Sauersteig et Svend Smital, tout deux 41 ans, réalisent à partir de simples pixels de bien drôles de posters. Ils dessinent la ville, toutes les villes, sous forme d’illustrations pour la presse ou de motifs de tissu destinés à des stylistes aussi renommés que Paul Smith.
Par une froide et humide matinée berlinoise, nos trois pixeleros qui affectionnent particulièrement le chat par webcam, m’ont accordé cet entretien depuis leurs trois bureaux respectifs d’où ils se partagent le boulot. Ces trois là sont du genre à ne jamais avoir mis au placard leurs caisses de Legos.
(Photo: Louisa Reichstetter)
Comment travaillez-vous au quotidien ? Utilisez-vous Photoshop ? Concevez- vous vous mêmes vos programmes ?
Notre matériau de construction, ce sont les pixels. Nous travaillons effectivement avec Photoshop mais aussi avec le Pen tool. C’est un outil simple qui fonctionne comme un crayon. Ainsi, nous nous constituons des éléments de bases sous forme d’arbres, de maisons, d’êtres humains que nous mémorisons dans une banque de données. Nous en extrayons ensuite de grandes images que nous triturons avant de les compresser dans notre bibliothèque pour les fusionner et les articuler entre elles.
Toutes les bases de montage sont traitées avec Photoshop, ce qui nous permet aussi de modifier l’aspect et les couleurs de nos images. Et puis, nous pouvons toujours revenir sur des détails afin de les transformer.
Portrait de Berlin (Photo: ©eboy)
Combien de temps vous faut-il pour réaliser le portrait d’une ville ?
C’est variable. Mais, il faut au minimum compter un ou deux mois. Cela peut quand même durer une année parce qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à ajouter.
Vous inspirez-vous des images de vos voyages ou de la vie urbaine au quotidien ?
D’abord, nous cherchons les traits les plus caractéristiques d’une ville. Bien-sûr, il y a beaucoup d’aspects subjectifs dans nos réalisations qui nous viennent de la perception des lieux où nous avons vécu. Il arrive que nous nous inspirions de la réalité, mais ce n’est pas prémédité. C’est plus souvent une question de jeu et de fantaisie.
A une époque où la technologie numérique permet de meilleures définitions, votre design n’est-il pas un peu rudimentaire ? Tournez-vous le dos aux tendances esthétiques actuelles ?
Nous dessinons depuis longtemps. L’écran pour nous, ça ne date pas d’hier. Eboy existe depuis 1997, alors que Google n’était pas encore né ! (Tous les trois éclatent de rire). A l’époque, nous concevions nos premières images sur disquettes, puis nous les échangions avec des amis et des connaissances à qui nous disions : si cela vous plaît, faites passer la disquette à vos copains. C’est ainsi qu’on s’est fait connaître. Jusqu’aujourd’hui, bidouiller les pixels est resté pour nous un plaisir. Nous ne craignons ni la haute définition, ni le risque d’être classés parmi les « has-been ».
Avec leurs couleurs sauvagement bariolées,
vos constructions urbaines paraissent peu… organiques. La verdure se fait rare, les animaux en sont souvent absents et, l’humanité, sauf en latex, semble en être exclue. De plus, on y voit déambuler beaucoup de monstres. D’après vous, cette vision hostile de l’existence traduit-elle l’avenir des villes ?
Nous ne voyons pas les choses de cette façon. Nous pourrions tout aussi bien représenter une jungle. D’ailleurs, ce n’est pas une mauvaise idée. Il va falloir y songer ! En fait, l’objet pixélisé a la particularité d’être d’une apparence plus rigide qu’un trait de crayon sur du papier … C’est un obstacle technique qu’il faut surmonter. Cela n’a rien à voir avec une quelconque hostilité envers la vie, ni une méfiance vis-à-vis du futur. C’est seulement le résultat d’une contrainte imposée par le maniement de notre outil.
Portrait de Londres(Photo: ©eboy)
Avez-vous une conception particulière de l’espace urbain ?
Aucune. (Rires). Non, vraiment. Dans nos créations, il n’y a aucun message théorique. Aucune revendication. On peut y lire ce que l’on veut. Par conséquent, mettre en scène des monstres qui se dressent au premier carrefour venu nous importe plus que je ne sais quel concept urbanistique. N’oubliez pas qu’Eboy se conçoit comme un groupe de jazz. Nous improvisons !
Quelle perception avez-vous de l’Europe ?
Une masse d’impressions divergentes. Par exemple, notre poster berlinois contient tout ce qui est en train de changer en Europe. L’Est et l’Ouest s’y transforment ensemble. Il se passe beaucoup de choses ici. Berlin est jeune et sauvage.
Dans quelle mesure l’histoire d’un lieu figure-t-elle dans vos images ?
Ce que nous aimons avant tout, ce sont les belles choses, la vie en soi. Pour cette raison, nous préférons nous lâcher dans nos images. Toutefois, quand on s’emballe sur une thématique qui nous plait, cela peut être à cause d’un bout d’histoire. Par exemple, nous avons été fascinés par les très anciens jardins de Tokyo.
Votre travail ressemble à celui de James Rizzi, en êtes-vous conscients ?
Nous ne le connaissons pas trop. Attends, je vais le googliser ! (KAI) Avant, je préférais Ali Mitgutsch, surtout pour ses illustrations. Mais, s’il y a des similitudes entre nos travaux, ce n’est que pure coïncidence.
Quelle réaction ont les femmes quand elles voient la manière dont vous les modélisez ?
Elles sont très compréhensives ! (Après un court instant de silence, ils pouffent tous les trois de rire). Au fil des années, on a reçu pas mal de méchants mails expédiés par des femmes. Nous étions jeunes et nous construisions pixel par pixel une femme nue.
Qui achète vos figurines de plastique ?
Des gens comme nous ! Par exemple, notre voisin, qui dirige un grand hôpital, est un vrai amateur de nos figurines. Il y aussi des gens qui en achètent pour leurs enfants parce qu’elles sont aussi grandes que des Playmobiles et, en plus, parce qu’elles représentent des pièces de design à collectionner.
Vos trois bureaux sont dispersés dans Berlin. Avez-vous besoin de cet éloignement pour pouvoir travailler ensemble ?
C’est surtout dans un but très pragmatique. (Steffen) Depuis que j’habite à Zehlendorf, je n’ai tout simplement plus envie de traverser chaque jour toute la ville uniquement pour aller me mettre devant un ordinateur. (Kai) Moi, quand je partageais un bureau avec les autres, tout ce que je faisais c’était jacasser du matin au soir …
Translated from Eboy: Urbanes Bauchgefühl aus Berlin