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Les cyborgs : les humains de demain 

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Style de vie

Installé à Berlin, Stefan Greiner est un expert spécialisé dans les cyborgs. Il est co-fondateur de Cyborgs e.V., plateforme de débats scientifiques, et également connu pour son « hacktivisme ». Le garçon a étudié et hacké son propre corps et ses fonctions émotionnelles. Entretien au sujet de l'Homme, des cyborgs et de l'avenir. 

cafébabel : Pourrait-on dire que le futur est déjà là ?

Stefan Greiner : 90% des personnes que nous croisons dans le métro ont les yeux rivés sur l'écran de leur smartphone - il s'agit d'un phénomène tout à fait courant. Nous avons l'impression que nous sommes, pour la plupart, complètement dominés par les technologies. Je pense qu'il s'agit juste d'une phase de transition vers une époque où nous utiliserons les technologies de manière beaucoup plus coopérative - comparable à la façon dont nous remuons des parties de nos membres - nous n'oublions pas l'essentiel en bougeant notre corps lorsque nous discutons. Nous ressentons les émotions corporelles, et que nous soyons constitués de substances biologiques ou technologiques importe peu. Grâce aux extensions technologiques, nous élargirons l'étendue de notre expérience émotionnelle. 

cafébabel : Vous avez déclaré que les cyborgs sont des humains qui améliorent leurs capacités physiques et mentales au moyen des technologies. Les téléphones portables en sont-ils un exemple ? 

Stefan Greiner : Oui, ils en sont un bon exemple. C'est à différents niveaux que nous externalisons divers aspects de nous-mêmes vers ces appareils. Il existe des tâches d'externalisation toutes « simples » de la mémoire - il se peut que vous connaissiez par coeur un ou deux numéros de téléphone, et le reste se trouve sur la carte mémoire externe de votre appareil, etc. Il ne s'agit pas seulement de la mémoire locale. 

L'accès permanent à Internet et aux services de localisation donne aux usagers de smartphones une sorte d'exosquelette de contrôle mental avec toute un éventail de capacités faisant pleinement partie de votre vie quotidienne. Comme ces appareils deviennent moins lourds et qu'il est plus facile de les emmener avec soi, je pense qu'à l'avenir, nous donnerons de plus en plus d'importance aux informations externes et traitées nous concernant. Ainsi, nous échangerons en permanence des informations au sujet des parties biologiques et technologiques de nos corps - il s'agit d'une organisation cybernétique, (ou du cyborg, pour faire plus court). 

cafébabel : Parlons maintenant de la relation, et des enjeux majeurs de cette dernière, entre les êtres humains et des ordinateurs.  Comment envisagez-vous l'avenir ? 

Stefan Greiner : Notre relation avec les technologies - comme le fait de rester assis devant notre ordinateur - est, disons, très inappropriée. Appuyer sur les touches d'un clavier, lire de petites lettres sur de grands écrans, voilà ce qui caractérise le plus notre relation avec les ordinateurs actuellement. Il s'agit surtout de tout ce qui est visuel et auditif, ce qui demande du temps et des moyens. 

À l'avenir, je ne voudrais pas emmener tous mes appareils jusqu'au parc pour y travailler. Je serais content de voir ces fonctionnalités au moins partiellement intégrées dans ma tenue vestimentaire. Cela me permettrait de comprendre de façon subtile qu'il n'est pas uniquement question du visuel ni de l'auditif, mais également, par exemple, de l'haptique (c'est-à-dire, de ce qui est tactile) et de la thermique. Et justement, j'espère découvrir de petites lentilles que je pourrai mettre sur mes yeux et qui me permettront d'avoir une vue d'ensemble sur mon environnement, de sorte que je n'aurai plus besoin d'utiliser ces grands écrans.

Comme pour toute interaction, les futures relations entre les humains et les ordinateurs seront bien plus qu'un simple dialogue, et non pas une relation maître/esclave. Il s'agit d'associer le meilleur des capacités biologiques et technologiques, de manière discrète et « égale ».   

cafébabel : Pensez-vous que les évolutions technologiques peuvent changer les gens en entourant leur vie ? 

Stefan Greiner : Je pense que le terme « co-évolution » des technologies et des humains convient mieux pour définir les événements qui se sont passés depuis que nous avons commencé à nous définir nous-mêmes en tant qu'« humains ». En fait, l'une des capacités de chaque être humain est l'intégration, dans chaque personnalité, de relations complexes avec des constructions non-biologiques. Je partage entièrement l'idée d'Andy Clark (professeur en sciences cognitives, auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, ndlr) au sujet du « cyborg naturel » :  en tant qu'humains, nous sommes faits pour nous adapter en permanence aux outils non-biologiques pour nous diriger vers un autre environnement. Il n'existe ni dualisme, ni rivalité entre les évolutions technologiques et humaine - ces dernières vont de pair. Et la plasticité cérébrale remodèle constamment notre structure cérébrale - même si nous n'en sommes pas conscients.

cafébabel : Quel rôle l'éthique joue-t-elle ? 

Stefan Greiner : Il existe un dilemme général - l'éthique est basée sur les conventions morales d'une certaine époque, sur la conception courante de l'Homme. La pensée éthique actuelle qui, conservant ces principes, s'oppose à l'évolution rapide des procédés technologiques et co-évolutifs entre les humains et les machines, ne peut pas vraiment suivre le rythme de notre époque. 

Dans de nombreux débats autour de l'éthique, l'on retrouve encore l'image de l'être humain qui est autonome, qui s'autocontrôle entièrement et est assez indépendant des objets et des autres formes de vie existant tout autour de nous. Selon moi, il s'agit là d'une idée très dangereuse et fausse - elle a ses racines dans les philosophies chrétienne et kantienne. Nous ne faisons pas que contrôler tous ensemble la technosphère (le monde des technologies), nous partageons aussi notre identité avec l'environnement et la nature qui nous entourent. En tant que cyborgs, nous ne sommes aussi, pour ainsi dire, qu'un sous-système d'un système plus grand, à savoir notre planète et l'univers dans son ensemble. 

Nous sommes en relation permanente avec tout cela, par conséquent nous sommes nous-mêmes toujours des hommes partiellement libres. Je pense que nous diriger vers ce nouveau processus d'autoréflexion cyborgienne fait partie des enjeux majeurs de l'éthique, afin de faire émerger de nouveaux points de vue en faveur d'un avenir dans lequel les humains ne seront pas considérés comme des êtres biologiquement autonomes mais contrôleront les choses avec toutes sortes d'autres protagonistes, en étant tout aussi responsables que ces derniers. 

cafébabel: Selon vous, quels changements se produiront dans le domaine de la médecine ? 

Stefan Greiner : L'utilisation d'implants technologiques pour des applications sanitaires est socialement acceptée depuis longtemps. Personne ne remettrait en cause l'utilisation d'un stimulateur cardiaque, de membres ou d'organes artificiels. Beaucoup d'applications qui sortent actuellement rendent flous les principes de ce que l'on appelle la médecine. Les portables qui traquent nos valeurs physiologiques en prédisant des maladies permettent de découvrir tout un éventail de nouvelles applications pour la médecine prédictive en réorganisant notre système de santé - pour faire de nous des patients indépendants. 

De mon point de vue, l'avenir des soins de santé est profondément associé à diverses formes de système d'assistance technique. Il existe déjà ce que l'on appelle des biostamps, ces tatouages électroniques qui, par exemple, détectent certaines variations dans votre système biologique et peuvent vous prévenir au cas où vous souffririez de carences en minéraux spécifiques ou en vitamines.

cafébabel : Vous affirmez que les hommes et les machines ont déjà fusionné. Quels sont les points positifs et négatifs de ce phénomène ? 

Stefan Greiner : Le processus coévolutif entre les humains et les technologiques n'a rien de positif ni de négatif. Le fait d'avoir la possibilité de développer une vision globale de ce qui nous entoure et de comprendre la nature d'une autre façon ainsi que les nouvelles approches en matière de santé sont des points positifs. Les points négatifs sont clairement liés à notre système capitaliste actuel. Certaines parties de nous-mêmes ne possèdent pas uniquement de façon intrinsèque cette logique capitaliste visant à établir de nouvelles hiérarchies et instaurer de la compétition dans une société qui est non seulement dominée par le principe de réussite, mais également possédée par les sociétés. Notre corps peut littéralement être en faillite, comme les sociétés de ce système. Cela est contraire à l'idée d'une société cyborg qui serait inclusive, et dans laquelle tous ceux qui le souhaiteraient devraient avoir accès aux prochaines capacités technologiques.

cafébabel : Concernant cette relation, imaginez-vous un avenir que se partageraient les riches, « contents » d'avoir ces provisions, et les pauvres ?

Stefan Greiner : Si nous suivons les chemins et les normes sociales actuels, je serais tout à fait d'accord pour dire que cette future symbiose entre les humains et les appareils élargira le fossé entre les riches et les pauvres. Cela ressemble à ce que nous connaissons au sujet de l'accès à l'éducation - ceux qui ont de l'argent peuvent bénéficier d'une meilleure éducation. 

Les technologies en elles-mêmes consituent non seulement un moyen pour chacun d'accéder à l'éducation du futur, mais aussi de développer sa personnalité et sa perception de l'environnement - par conséquent, l'accès (ou non) aux technologies aura un profond impact sur notre vie et nos droits démocratiques.

Translated from Cyborgs, technology and the human being of the future