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Les catholiques irlandais entre avortement et traité de Lisbonne

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Julien Hue

Société

Alors que l’Irlande se prépare à un second référendum sur le traité de Lisbonne, une campagne visant à reconnaître l’accès à l’avortement comme un droit fondamental provoque les foudres des conservateurs. Aperçu de la cohorte catholique et fondamentaliste irlandaise.

Un article paru dans le quotidien The Irish Times, en février, avait marqué les premiers signes de cet émoi dans les milieux conservateurs. Publié sous la forme d’une tribune d’opinion, son titre était formulé de manière à capter l’attention : « Voter oui au traité de Lisbonne pourrait ouvrir la voie à l’avortement ». L’article dénonçait une « propagande politique » menée au nom du gouvernement, soutenant que la campagne d’information publique « malhonnête » conduite dans cette période précédant le référendum « devrait être déclarée illégale ». L’auteur de cette tribune était un dénommé Richard Greene.

« Voter oui au traité de Lisbonne pourrait ouvrir la voie à l’avortement »

(Image: ©informatique/ Flickr)La seconde banderille a été plantée en juillet, cette fois sous la forme d’une lettre adressée au rédacteur en chef, signée du même Richard Greene. Le titre, « Le traité de Lisbonne et l’avortement », établissait à nouveau un lien entre deux sujets dont le Conseil européen s’est pourtant efforcé de réaffirmer qu’ils étaient étrangers l’un à l’autre. La cible de l’auteur : la campagne « Faites-vous entendre pour la liberté de choix », lancée par la parlementaire suédoise Birgitta Olson. Celle-ci a en effet commencé à réunir les signatures en faveur d’une pétition demandant à l’Union européenne de reconnaître comme un droit fondamental le libre accès à l’avortement. Elle nie toutefois s’être donné pour objectif de contraindre l’Irlande à autoriser l’avortement. « Nous ne cherchons pas à modifier la loi irlandaise », a-t-elle déclaré au journal The Local. « Nous ne sommes pas en train de promouvoir une loi européenne sur la question. La Commission européenne devrait utilement soulever ce débat, mais ils ne sont pas en mesure d’obliger les Etats à faire quoi que ce soit. » Birgitta Olson espère collecter à terme un million de signatures, 4 320 ayant d’ores et déjà été enregistrées. La lettre rédigée par Richard Greene affirmait qu’il s’agissait là d’un mouvement qui aurait pour conséquence l’introduction de l’avortement sur le sol irlandais.

L’auteur a de bonnes raisons de partager son opinion auprès du public irlandais. Richard Greene est en effet le porte-parole d’une organisation nommée Cóir, un groupe de pression catholique conservateur qui a fait campagne pour le rejet du traité de Lisbonne depuis 2008. Ce groupe a progressivement émergé comme l’une des composantes les plus visibles du camp « anti-Lisbonne », bien qu’il représente les tendances les plus extrémistes sur l’éventail des opinions politiques irlandaises. Rares sont ceux qui n’ont pas encore remarqué leur affiche de campagne, barrée du slogan « un salaire minimum de 1,84 euro après Lisbonne ? » Mais rares également sont les personnes bien informées de leurs activités comme groupe de pression.

« Une forme de coopération dans le mal »

(Image: ©informatique/ Flickr)La campagne orchestrée par Cóir tient pour acquis qu’une intégration approfondie avec l’Europe représentera une menace pour la préservation des valeurs catholiques irlandaises, critiquant « la lourde insistance déployée par l’Union européenne pour que les croyances immorales de certains Etats membres soit imposées par la force à tous les autres Etats membres. » Cóir est à l’initiative de la publication en 2008 du Guide de l’Electeur Catholique, un livret qui accuse l’Union européenne de s’être doté d’un « programme anti-chrétien ». Il s’en prend également à ce qu’il dénonce comme la « résolution féministe radicale » de l’UE, et soutient que les politiques développées par celle-ci ont « propulsé vers l’avant les objectifs politiques des activistes homosexuels ». « Un grand nombre d’Etats membres de l’UE ont accepté des lois immorales qui autorisent l’avortement, la recherche sur les embryons et d’autres maux encore », poursuit le guide, « et le traité de Lisbonne réduit de façon considérable le droit de l’Irlande de garder ses distances et de protéger ses valeurs catholiques ». Ce guide publié par Cóir à l’attention des électeurs se montre cependant bien candide dans sa réflexion politique, notamment lorsqu’il cite une note, envoyée par celui qui n’était alors que le Cardinal Ratzinger, aux évêques catholiques américains, destinée à les conseiller sur la façon appropriée pour un catholique de s’engager dans la vie politique. Voter pour un quelconque candidat ou une législation susceptible de conduire directement ou non à l’adoption de pratiques condamnées par l’Eglise constitue une « forme de coopération dans le mal ».

«Un grand nombre d’Etats membres de l’UE ont accepté des lois immorales qui autorisent l’avortement »

Fonder une argumentation politique sur les propos des Papes Benoit XVI et Jean Paul II peut paraître inhabituel aux observateurs non initiés. Cóir opère pourtant dans un environnement bienveillant. Selon l’enquête la plus récente, réalisée en 2006, 87 % des Irlandais se considèrent comme des catholiques romains. Un chiffre qui atteint une étonnante proportion de 99 % dans certaines régions rurales. L’assiduité sur les bancs des églises a cependant souffert ces dernières années, en particulier après les récents scandales liés aux abus sexuels sur des enfants. Reste à mesurer combien considéreront les diatribes de Cóir sur le fait que les demandes du Pape Benoit XVI (sur la reconnaissance de Dieu dans la constitution européenne) aient été « purement ignorées » comme une base solide pour rejeter le traité de Lisbonne. 

La cohorte de Capel Street

La campagne menée par Cóir n’est que l’élément d’un réseau enchevêtré de groupes de pression catholiques conservateurs, qui opèrent tous leurs activités depuis la même adresse dans le centre de Dublin, dans la Capel Street. Ils sont pilotés par le groupe Youth Defense (défense de la jeunesse), qui s’est joint à des groupes extrémistes aux Etats-Unis pour manifester et occuper des cliniques du planning familial. Youth Defense avait également été au cœur de la célèbre affaire de « Miss C » en 1998, lorsqu’ils avaient porté devant les tribunaux une jeune victime de viol, âgée de 13 ans, pour l’empêcher de se rendre en Angleterre afin d’y subir une IVG. Les leaders de Youth Defense avaient été invités à rencontrer Jean Paul II en 1995, et celui-ci leur avait recommandé de « poursuivre dans leur apostolat et de se montrer courageux ».

La base de Capel Street a donné le jour, au fil des années, à une myriade de groupes qui représentent fondamentalement les mêmes intérêts mais qui agissent sous différents noms. Ils vont de « la campagne mère et enfant », jusqu’à « L’Irlande pour la vie », en passant par « Télé-vérité ». La campagne de Cóir en est le dernier avatar, mais elle a dans un certain sens accompli beaucoup plus qu’aucun de ses prédécesseurs. A l’image de « Non à Nice », le groupe de Capel Street qui avait prôné le rejet du traité de Nice en 2001, Cóir a réussi à dépasser son étroite base fondamentaliste et à se redéfinir comme un groupe de contestation relativement commun pour devenir ainsi un leader dans la campagne pour un second « non ».

Translated from Brussels or Rome? Irish catholics, abortion and Lisbon treaty