Le voyage s'arrête ici : une famille de réfugiés témoigne
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Alexia BartoliniLe 1er novembre 2015, dans un petit appartement d’un camp de réfugiés à Munich, j’ai rencontré les Saada, une famille arrivée en Allemagne il y a plus d’un an. Lors de notre interview, les Saada m’ont fait part de leurs expériences à la fois positives et négatives, de leur départ de Libye - où ils vivaient depuis 24 ans - jusqu’à leur intégration en Allemagne.
Le départ de Libye
« Mon mari craignait pour notre sécurité et nous a dit de se préparer à partir, explique Mme Saada. Nous avons donc vendu ce qui pouvait l’être, pris l’argent, et sommes partis ensemble. Tout a commencé un vendredi et nous n’étions plus là le samedi d’après, et ce en plein Ramadan. »
M. Saada émet un petit rire et pousse un soupir de bonheur en se penchant sur une photo de la famille prise à son arrivée en Italie. Plusieurs personnes attendaient à l’endroit même où les réfugiés avaient débarqué, et leur proposaient de les conduire à destination contre la coquette somme de 2 000 euros.
Elle poursuit : « Nous n’avions pas assez d’argent ; on nous a donc dit de prendre le train et d’en descendre lorsqu’il s’arrêterait. Il s’est arrêté ici, en Allemagne ».
Avant de quitter la Libye, on a dit aux Saada que le bateau sur lequel ils voyageraient était sûr, que peu de gens seraient à bord, et qu’ils auraient des gilets de sauvetage. A la place, les Saada ont embarqué sur un canot pneumatique avec 270 autres passagers - canot dont la capacité maximale était de 200 personnes.
« Les gens couraient pour monter à bord, explique Mme Saada. Nous n’avions pratiquement nulle part où nous asseoir. Les gens dormaient et de nombreuses personnes étaient l’une sur l’autre. Il faisait tellement froid, c’était très difficile. »
La famille partage avec moi des photos de leur périple. La famille Saada est restée à bord pendant 12 heures tandis qu’un homme a passé l’intégralité de la traversée debout, faute de place. Les Saada ont ensuite changé d’embarcation pour un navire de la marine italienne, en direction de l’Italie. Ils ont passé 3 jours en mer sur 2 bateaux différents, sans rien à boire et presque rien à manger.
L'arrivée en Allemagne
L’un des aspects positifs de la vie en Allemagne est que la famille Saada peut y pratiquer son culte. Mme Saada, âgée de 43 ans, est musulmane. Elle raconte : « Quand je vais à la mosquée, ici à Munich, je peux prier, lire l’arabe et le Coran ». En ville, elle voit des femmes qui portent le hijab, autrement dit le voile.
Comme l’affirme Hadeel, 15 ans et aînée des deux filles, le fait qu’elle et ses frères et sœurs puissent aller à l’école est un autre point positif. Elle apprécie ses professeurs, ce qui n’était pas forcément le cas dans certaines écoles libyennes.
De leur côté, M. et Mme Saada apprennent la langue du pays. Mme Saada, ingénieur électricienne, doit atteindre le niveau d’allemand B2 afin de trouver un emploi. Pour le moment, elle suit des cours de niveau B1 tandis que M. Saada commence au niveau A1.
Diplômé en science politique et marketing pharmaceutique, M. Saada a travaillé en Libye en tant que directeur général d’une société de distribution de médicaments. Il a bon espoir de pouvoir reprendre son activité après avoir appris l’allemand et suivi une « Ausbildung » - ou formation - en pharmacie à Munich.
Le bon comme le mauvais
L’expérience de la famille Saada quant à son intégration en Allemagne l’a également menée à subir quelques désagréments. Jusqu’à présent, ils n’ont passé que le premier des deux ou trois entretiens prévus avec les autorités, la finalité étant de savoir si le permis de séjour permanent leur sera accordé ou non.
« Nous sommes inquiets pour l’avenir de notre famille, confie Mme Saada. Allons-nous retourner en Palestine ? En Libye ? » Elle a récemment écrit une lettre au Secrétaire de la Cour où elle précise depuis combien de temps elle et sa famille sont en Allemagne et demande ce qu’il adviendra d’eux. En guise de réponse, on lui a prié de ne pas envoyer de lettre - écrire une telle lettre est proscrit - et de simplement attendre, du fait que beaucoup de réfugiés syriens et afghans soient entrés dans le pays.
De plus, la famille n’a pas d’assurance maladie couvrant les frais médicaux mais ils doivent tout de même se rendre à l’hôpital en cas d’urgence. Suite à une chute, M. Saada a subi 2 opérations du poignet à Munich. Inversement, Hadeel s’est rendue chez le dentiste mais n’a pas été soignée, ce dernier ne l’ayant tout simplement pas cru.
Certaines mauvaises expériences avec la population munichoise ont également compliqué leur intégration. « Parfois, les gens ne sont pas très agréables. Ils parlent avec haine » raconte M. Saada.
Les enjeux actuels
Dans l’ensemble, vivre dans un camp de réfugiés a été difficile pour la famille Saada : des familles, des jeunes livrés à eux-mêmes et beaucoup d’hommes célibataires boivent souvent et causent des problèmes.
« Il y a beaucoup de problèmes, déclare Mme Saada. Il est très difficile de vivre ici du fait que différentes cultures cohabitent. La police est toujours là. » Elle a peur que certaines personnes aient une mauvaise influence sur ses enfants, tout particulièrement sur celui de 9 ans. L’immeuble dispose de 5 cuisines pour 300 réfugiés, celles-ci n’étant plus accessibles après 18 heures. Et dans le petit appartement des Saada, il n’y a qu’une seule prise électrique.
Un autre aspect négatif de leur intégration est d’avoir à accepter l’argent du gouvernement. Mme Saada, qui a travaillé pendant 20 ans, me confie au bord des larmes : « Les réfugiés ne viennent pas ici pour toucher l’argent des services sociaux. Il nous est tellement difficile, à mon mari et moi, de s'y rendre et de leur réclamer de l’argent ». Mme Saada raconte qu’en Lybie, elle avait réussi professionnellement, mais que maintenant elle est au même niveau que la plupart des autres réfugiés qui vivent dans le camp. Sa voix faiblit alors, et elle éclate en sanglots.
Translated from The Train Stopped Here: A Refugee Family’s Story