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Le rôle clef de la Cour de Justice des Communautés dans l’intégration européenne

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Default profile picture delphine menjaud

En réponse à l’article d’Andrea di Caccamo paru dans cette même revue, je voudrais récapituler aussi bien le rôle qu’a joué la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) dans la construction européenne qu’une partie du débat sur sa fonction et sa légitimité, et ce pour affirmer que c’est l’une de ces rares choses qui fonctionnent dans l’Union Européenne

Avant d’éclaircir les raisons de mon désaccord avec les propos d’Andrea, je voudrais la remercier d’avoir lancé ce débat autour du rôle de la Cour de Justice, institution dont on parle rarement alors même qu’elle représente probablement l’élément qui fait l’originalité de cet « objet politique non identifié » (J.Delors) que nous appelons depuis quelques années Union Européenne (UE), et qu’il fait sa force.

Je suis également en accord avec ce qui, je crois, préoccupe Andrea au fond : l’importance acquise par la CJCE reflète en fait les carences alarmantes de l’UE en termes politiques. Si la construction strictement politique avançait, la facette juridique de l’Union perdrait de son importance, et avec elle la Cour. Ceci est exactement ce que moi-même et sans aucun doute Andrea souhaitons.

Un acteur clef de l’intégration

Mais comme on dit en France « il faut bien faire avec ». Si la construction politique n’avance pas, c’est de la responsabilité des Etats, aussi, si l’Union est arrivée à être ce qu’elle est, et ce malgré les réticences des gouvernements attachés à leur souveraineté, c’est en bonne partie grâce à la CJCE.

Qu’est ce que l’Union Européenne ? Je regrette d’avoir à répondre : une organisation internationale, c’est-à-dire une association entre Etats avec quelques objectifs déterminés et strictement limitée par le cadre créé par un Traité. Dans ce cas précis ce sont trois Traités qui se partagent les mêmes organes, mais l’originalité de l’Union réside dans le fait que les chefs d’Etat se réunissent régulièrement et modifient ces Traités ; les Traités d’Amsterdam, de Maastricht ou de Nice ne sont que des modifications des Traités initiaux. Le fait que le futur de l’UE dépende de la volonté de 5 millions d’Irlandais, montre clairement l’absurdité de la situation actuelle, due à la dépendance vis-à-vis de Traités dont les modifications sont soumises à l’accord de tous.

Mais heureusement les Traités sont sources de droit et en droit il n’y a pas de marche arrière possible. Dans n’importe quelle organisation internationale, un Etat peut s’engager à faire quelque chose et passer outre cet engagement quelques mois plus tard, sans que personne ne puisse rien lui dire, simplement parce qu’un Etat est souverain un point c’est tout. Au sein de l’UE, il n’en est pas ainsi. Dans notre Europe, il existe quelque chose qu’on ne retrouve pas dans l’ONU, ni dans aucune autre organisation de ce type : c’est une Cour aux pouvoirs correctifs avec la capacité de condamner et sanctionner durement les Etats Membres. Si un Etat s’engage à faire quelque chose, il a pour obligation de s’y tenir sinon d’en assumer les conséquences. Un certain nombre de chefs d’Etat européens auraient aimé se défaire de ce qui fut signé par leurs prédécesseurs ou eux mêmes et ils ne le purent car ils avaient au dessus de leur tête cette épée de Damoclès qu’est la CJCE.

Sans la menace de sanctions, la Commission ne serait pas beaucoup plus qu’un organe de gestion courante que tous traiteraient avec une sympathie condescendante et, de ce fait elle a du recourir au procès à de nombreuses occasions pour que les Etats honorent leurs engagements. Sans un Cour doté des pouvoirs qu’on lui connaît, il n’y aurait pas d’intégration, chacun faisant ce qui lui plait.

Une lecture extensive

De plus, les juges de la CJCE ont la sainte manie de donner au droit communautaire une lecture très ouverte en faveur d’une plus grande intégration. Grâce à la CJCE, les Etats se sont engagés parfois plus loin que ce qu’ils croyaient et ont vu comment les citoyens de leur propre pays pouvaient se retourner contre eux par la voie d’un organe communautaire. En effet, chacun peut dénoncer son propre pays pour manquement au droit communautaire, et ceci est une réalité qui n’apparaissait pas dans les Traités mais que le Cour a déduit à partir d’une lecture extensive de ceux-ci.

Les jugements successifs de la CJCE sont ceux qui ont réellement obligé les Etats à accepter que la seule intégration économique est impossible, que la liberté de circulation nécessaire au Marché Unique implique une série de droits et de garanties, ce qui a conduit à une lente construction de la citoyenneté européenne. C’est le cas célèbre d’un député européen qui refusa de montrer son passeport à une douane en invoquant que le droit communautaire le lui permettait. Son Excellence finit en prison pour résistance aux autorités mais en sortant il dénonça l’Etat en question et obtint une réparation économique. N’importe quel agriculteur peut dénoncer son pays, la Commission, ou le Conseil s’il considère qu’on a porté atteinte à ses intérêts en violation du droit communautaire. Et la liste des avantages que nous procure l’évolution de la jurisprudence de la CJCE, serait encore longue à dresser.

Je vois l’Union européenne comme quelque chose que les Etats croyaient pouvoir contrôler totalement mais la CJCE les a rappelé à leurs responsabilités et ce fût ce qui réellement donna une vie autonome aux Communautés Européennes.

Mettre les points sur les « i »

A côté de ces questions de fond, il y a plusieurs choses dans l’article d’Andrea que je conteste totalement. En premier lieu, le TJCE n’est pas source de loi. La loi est émise à la base par le Conseil et plus récemment par le Parlement mais dans des cas circonscrits. La CJCE se limite à l’interprétation de la loi comme n’importe quel juge d’un pays démocratique. Mais, la Cour se prononce elle sur la base des Traités et des actes communautaires et non sur celle des lois des Etats. Or, les actes communautaires sont parfois (et de plus en plus) volontairement incomplets afin que les Etats aient une marge de manoeuvre pour adapter leur législation nationale. Ceci provient d’une plainte des Parlements Nationaux qui se considéraient dépossédés de leur pouvoir législatif à cause de la précision des textes communautaires. Revendication légitime selon moi et pour cela je ne crois pas qu’il faille déplorer que les textes ne soient « parfaitement clairs et précis » et par ailleurs, aucun texte législatif ni juridique n’est jamais parfaitement clair et précis, sinon les juges ne seraient plus nécessaires, les machines suffiraient !

En second lieu, il me paraît incroyable que quelqu’un puisse dénoncer le défaut de légitimité démocratique des juges qui ne sont pas détenteurs de charges électives. Imaginons, dans une Europe envahie par le populisme raciste, que les juges soient élus par le suffrage universel ! Je ne serai jamais disposé à accepter que la légitimité d’un juge passe par le vote, ce qui serait laisser la porte ouverte à la démagogie et aux abus, c’est d’ailleurs la réalité des Etats-Unis où de nombreux juges sont élus et dont la popularité se mesure parfois au nombre de peines de mort prononcées.

On se doit donc de parler du rôle du TJCE au sein de l’Europe qui se dessine, et si il y a une institution communautaire que personnellement je ne changerais pas, c’est bien la CJCE.

Translated from Recordar el papel clave del Tribunal de Justicia en la integración europea.