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Le nuage biélorusse

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Default profile picture Delphine Leang

Vingt ans après la catastrophe, les fantômes de Tchernobyl continuent de hanter la Biélorussie. Le président réelu Aleksander Loukachenko, son gouvernement et l’opposition se servent de la catastrophe comme d’un instrument politique.

La nouvelle confrontation entre le gouvernement et l’opposition biélorusse a été déclenchée par la parution en septembre 2005 d’un rapport de l’ONU appelant à encourager le développement économique dans la région de Tchernobyl. Le Président depuis 12 ans, Aleksander Loukachenko s’est servi de cette publication pour réaffirmer son ambition de redonner vie et activité économique aux zones affectées, représentant environ un quart du territoire biélorusse. La stratégie du nouveau gouvernement repose sur un plan de redynamisation de la région grâce à des investissements massifs et des avantages financiers.

L’optimisme de Loukachenko quant à l’avenir de la zone affectée contraste avec la dimension réelle de la catastrophe. Selon les chiffres officiels du gouvernement, 11 242 personnes sont atteintes d’une infirmité liée à l'explosion de la centrale de Tchernobyl et plus de 115 000 ont été déplacées. Le gouvernement évalue à 235 milliards de dollars le montant total des dégâts causés par la tragédie. Loukachenko ne désire pas repeupler la région et installer plus d’entreprises par pure motivation humanitaire. Economiquement, ce schéma lui offre davantage de ressources et de capitaux. D’un point de vue politique, Tchernobyl lui donne l’occasion de dénoncer l'injustice de l’Ouest et de l’opposition pro-occidentale.

Pire à l’Ouest

L’enjeu est d’autant plus important pour Loukachenko depuis sa réélection controversée. L’UE a décidé récemment d’imposer une interdiction de visa à ses plus proches collaborateurs. En instrumentalisant la catastrophe de Tchernobyl, Loukachenko pourrait prétendre regagner un peu de la crédibilité politique qu’il a perdue sur la scène internationale.

Dans le même temps, les autorités biélorusses ont intensifié les appels à une plus grande coopération avec l’Ouest en matière de prise en charge des répercussions de la catastrophe. Laissant une chance à Loukachenko de montrer du doigt la duplicité de l’Ouest : « quand la Biélorussie a le plus besoin de votre aide, vous décidez de nous sanctionner et de vous éloigner au lieu de nous aider à sortir de Tchernobyl », affirme t-il. Cette critique lui sert finalement à discréditer totalement les partis opposés au régime : « l’opposition a insisté sur le fait que l’Ouest nous aiderait mais l’Ouest n’a rien fait», a récemment déclaré Loukachenko. Cette diffamation permet ainsi au Président biélorusse de se positionner comme l’unique sauveur du pays.

Les enfants de Tchernobyl

Les luttes politiques affectent aussi les traitements médicaux donnés aux enfants ayant souffert de la catastrophe. Dans le passé, la plupart d’entre eux suivaient une thérapie à l’étranger aux frais d’associations caritatives et d’églises occidentales. Ce n’est que très récemment que Loukachenko a compris que la longévité de son pouvoir était menacée par une nouvelle génération d’électeurs, influencés par les valeurs occidentales. Il a ouvertement condamné les soins, affirmant qu’ils étaient la partie émergée de programmes d’endoctrinement, s’attaquant à l’esprit des jeunes Biélorusses. Ces jeunes devraient donc rester chez eux à vivre avec un handicap physique plutôt que de passer un été en Angleterre ou en Italie.

Mais c’est Loukachenko lui-même qui empêche l’Ouest d’apporter son aide. Beaucoup d’associations caritatives étrangères trouvent que les lois draconiennes et les lourds impôts du pays ont créé un système au sein duquel il est impossible de travailler. Ayant déjà développé une certaine expertise dans le domaine des traitements thérapeutiques, l’Ouest aurait pu d’autant plus offrir son aide. Mais dans son désir de laver les cerveaux des enfants biélorusses des idées occidentales, Loukachenko a imposé tant de conditions restrictives que seuls ceux atteints de lésions extrêmement graves peuvent espérer être soignés à l’étranger.

Jour de deuil ou de protestation ?

Tchernobyl est par ailleurs largement exploitée par l’opposition. Dès le départ, la plupart des partis d’opposition se sont dressés contre le projet présidentiel de repopulation des zones touchées. Cette initiative est devenue l’un des majeurs points de discorde entre l’opposition et le maître de Minsk. Mais il est presque impossible d’attaquer Loukachenko sur le plan économique. En effet, pour un Etat autoritaire à l’économie étatisée, la Biélorussie affiche de remarquables résultats, avec une croissance annuelle supérieure à 9% en 2005. L’opposition cherche à utiliser Tchernobyl à tort et à travers, en lui enlevant sa dimension sociale et écologique. « La Biélorussie a été frappée par deux malheurs : Loukachenko et Tchernobyl. Les deux sont liés. Nous pouvons dire qu’il y a eu un Tchernobyl nucléaire et un Tchernobyl politique », déclare même Anatoly Lebedko, chef de file de l’opposition biélorusse. Qu’importe la signification. Comparer Loukachenko à Tchernobyl est audacieux politiquement : la métaphore, bien que maladroite, résonne dans le cœur des gens.

Le 26 avril, jour de commémoration de Tchernobyl, est devenu une date traditionnelle pour le plus grand ralliement national de l’opposition biélorusse. Ce rassemblement appelé « Marche de Tchernobyl » marque l’apogée du mouvement de protestation en Biélorussie. Cette année, la manifestation bénéficiera du dynamisme accumulé par l’opposition pendant les élections présidentielles de mars. L’événement sera une réflexion sur la possibilité de démocratiser le pays plutôt qu’un moment de recueillement sur la tragédie. Cependant, si l’opposition veut vraiment réussir, critiquer les projets de Loukachenko ne suffira pas. Il lui faudra élaborer des stratégies pour permettre à la Biélorussie de vivre avec Tchernobyl. Si elle ne le fait pas, elle commettra la même erreur que Loukachenko, c’est-à-dire sortir la tragédie de son contexte pour en faire un instrument de campagne politique.

Translated from Chernobyl's ghost in Belarus