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Le Brexit : une histoire d'inégalités 

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Marie Charbonnier

PolitiqueBrexit : la possibilité d'une île

Accuser les électeurs plus âgés d'avoir volé le futur des jeunes est à la fois cynique et naïf. Cela insinue que le futur du Royaume-Uni serait entre les mains d'une autorité morale supérieure. Il est plus juste d'envisager la question du Brexit, et son dénouement dramatique, dans un contexte d'inégalités sociales et de lutte des classes. Attention, article d'opinion.

Selon les premières analyses, le fossé générationnel au sein des électeurs expliquerait les résultats : les plus âgés voulaient la sortie de l’Union européenne, les plus jeunes, le statu quo. Pourtant, cette interprétation est bien trop simple, et - comme le souligne un article du Guardian - la relation entre âge et choix électoral ne constitue qu’une maigre explication. En revanche, il existe un lien bien plus fort entre un vote pour le « Leave », le niveau d’éducation et le niveau de vie. Fondamentalement, le Brexit n’est qu’une histoire de classes et d’inégalités : les classes ouvrières des régions ont voté pour partir, alors que leurs voisins mieux nantis et plus mobiles ont voté pour rester.

La montée des inégalités

Au cours des trente ou quarante dernières années, le paysage politique britannique est devenu terre propice aux politiques néo-libérales. Les gouvernements successifs se sont rangés du côté de la classe supérieure, au détriment des classes moyennes et ouvrières. L’Union européenne, privilégiant privatisation et compétition, n'a rien fait pour résoudre le problème, au Royaume-Uni comme partout en Europe. Les mesures d'austérité introduites après la crise de 2008 n'ont fait qu'exacerber le sentiment d'inégalité, déjà bien ancré au Royaume-Uni, alimenter les divisions sociales et accroître la méfiance envers le « haut de la pyramide » : les élites, les politiciens, les nantis. Le 1 %.

L'UE n'a pas eu d'impact positif sur la vie quotidienne des travailleurs. À la place, elle a exercé son pouvoir en punissant les pays les plus vulnérables de la zone euro et, par la même occasion, leurs habitants en situation précaire. Considérant l'image que l'UE renvoie, au service d'une élite lointaine et peu méritante, on peut dire qu'elle s'est auto-infligé une une grande partie de l'euroscepticisme qu'elle subit.

Il ne faut pourtant pas confondre cette sortie de l'UE avec une victoire contre les élites. Même si ce dénouement met en lumière les diktats d'une Union européenne peu démocratique, il n'en reste pas moins que le Royaume-Uni possède une démocratie imparfaite et fragile avec, d'un côté, une Assemblée qui ne rend de comptes à personne et, de l'autre, une élite politique qui ne sert que les intérêts de la classe supérieure.

Le déclin des petites villes

La mondialisation a imposé de gros changements dans la vie quotidienne des gens et les petites villes post-industrielles ont tout naturellement subi d'énormes transformations. D'ailleurs, la quasi-totalité de ces régions a voté pour quitter l'UE. Ces villes ont souvent ressenti une négligence et un abandon de la part des politiques nationale et européenne.

Les petits commerces indépendants ont été remplacés par une pléthore de chaînes internationales qui accaparent une part de profits démesurée. Il est désormais fréquent de retrouver boutiques de bienfaisance, guichets de paris et commerces à l'abandon dans la plupart des centres-villes. L'âme de ces villes disparaît.

La classe populaire des régions se sent comme la laissée-pour-compte d'une mondialisation croissante qui ne sert que les intérêts des communautés aisées de Londres. Ces régions ouvrières ont été les premières à être touchées par l'austérité et demeurent affaiblies. C'est ce coeur de l'électorat travailliste qui a largement voté pour quitter l'UE.

Le pub est souvent le bon endroit pour prendre le pouls de l'opinion publique. Aucun de mes potes n'a mis le pied dans un bureau de vote. Et, d'après les jeunes que j'ai rencontrés, c'est tout ce qu'il y a d'ordinaire pour notre génération.

Le référendum a affiché le plus fort taux de participation depuis les années 90. Pourtant, 28 % de l'électorat ne s'est pas présenté au bureau de vote. Ce sont 13 millions de personnes qui n'ont pas choisi le destin de la Grande-Bretagne, ou qui se sentent en décalage par rapport à l'élite politique.

Le casse-tête de l'immigration

Le fait de pouvoir circuler librement est au coeur des valeurs de l'UE. Au Royaume-Uni, le sentiment de méfiance envers les immigrants n'a cessé d'augmenter, notamment sous l'influence de Nigel Farage et de son Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Les régions en difficulté sont souvent des terres d'accueil pour les travailleurs immigrés qui, encore plus exploités que les citoyens britanniques, ne touchent même pas le salaire minimum. Les conséquences ? Une compression des salaires pour les travailleurs au bas de l'échelle et un renforcement des sentiments d'hostilité et de xénophobie.

Cette réalité est dérangeante pour les gens de gauche qui encouragent l'immigration, mais qui passent généralement sous silence les répercussions qu'elle peut avoir sur certaines régions. L'UE a également besoin de se pencher sur les effets néfastes que peut engendrer la liberté de circulation.

Bien qu'un débat rationnel sur la question de l'immigration soit nécessaire au Royaume-Uni, il est essentiel d'analyser les raisons profondes d'une opinion publique si négative. L'une des causes principales se trouve dans le manque de logements abordables, et il devient très compliqué pour les gens de devenir propriétaire. Autant d'éléments qui poussent irrémédiablement les citoyens britanniques à penser qu'il y a trop d'immigrés en Grande-Bretagne.

Je ne veux pas voir l'Union européenne s'effondrer, mais elle est aujourd'hui dans une situation de fragilité inédite. J'espère qu'elle saura apprendre de ses échecs et utiliser son influence pour améliorer la qualité de vie des Européens qui ont actuellement le sentiment d'être les parents pauvres de la mondialisation et de l'intégration européenne. Seulement alors réaliseront-ils qu'il est possible de travailler ensemble pour le bien commun et pour de meilleures relations. Si l'UE continue à négliger les inquiétudes de la classe ouvrière, l'euroscepticisme continuera de diviser notre continent.

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Cet article a été rédigé par la rédaction de cafébabel Aarhus. Toute appellation d'origine contrôlée.

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Les Britanniques ont tranché. En votant à 52% en faveur du Brexit, le Royaume-(dés)Uni est en train d’emprunter le chemin tortueux d’une sortie définitive de l’UE. Alors, comment tout cela va-t-il se passer ? Est-ce vraiment une Indépendance ? La livre va-t-elle s’écrouler ? Franchement, on n’en sait rien. En revanche, quelques articles de notre dossier spécial devraient vous aider à y voir plus clair…

Translated from Brexit: A story of inequality and class divide