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Le bâtard européen

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Simon Loubris

Ces temps-ci, les fidèles de Viktor Iouchtchenko regardent l'Europe, pleins d'espoir. Mais ils seront vite déçus : l'entrée de l’Ukraine dans l’UE n’est pas à l’ordre du jour.

L’Union européenne s'est trop longtemps tenue à l’écart des élections présidentielles ukrainiennes. Pendant que Bush, en prévision du ballottage, s'était préoccupé d'envoyer un ambassadeur spécial en Ukraine, il n'y avait pas trace de quelque haut représentant de l'UE dans le pays, pour appuyer symboliquement la société civile naissante. Le soutien aux forces démocratiques s’est limité à une résolution du Parlement européen du 28 octobre 2004 qui soulignait la préoccupation de l’assemblée à l’égard du déroulement du premier tour des élections présidentielles et demandait un ballottage sans interférences.

On avait l'impression qu'on ne voulait pas trop élever la voix en faveur d'une libre décision des citoyens ukrainiens, pour ne pas ennuyer l’allié russe. Influencer le vote en faveur du candidat préféré de l’UE, Iouchtchenko, n'aurait été ni utile, ni souhaitable : les Ukrainiens n'ont pas besoin d'une autre puissance mondiale pour leur dire comment ils doivent se comporter, mais d'un partenaire européen qui appuie et renforce leur désir d’une démocratie mûre et d'insertion dans le système européen.

Fine du rapprochement ?

L'intérêt de l'Ukraine pour l'entrée dans l'Union européenne est connu depuis longtemps. Il fut le premier des nouveaux états indépendants à sceller un accord d'alliance et de coopération avec l'Union, en 1994, après l'écroulement de l'Union soviétique. La doctrine militaire du pays intégrait le projet d’adhésion à l'UE, jusqu’à ce que le Premier ministre Ianoukovitch rejette cette disposition à la veille des élections. Le désir d'un rapprochement majeur qui aille au-delà d’un simple partenariat avec l’Europe est mis en avant par Iouchtchenko et les élites pro-occidentales. L'UE a cependant tracé des frontières bien précises, sans réfléchir à des possibilités ultérieures. Lors du sommet entre l’UE et l’Ukraine qui s'est tenu à Yalta le 7 octobre 2003, la volonté d’intégrer l’Ukraine dans le marché commun était là, mais pas l’hypothèse de négociations d’adhésion.

Le pont entre Bruxelles et Moscou

L'UE semble oublier une chose : une Ukraine stable et démocratique est fondamentale même pour l'Europe, puisque le pays se trouve en un lieu stratégique, entre Russie et Europe. Une Ukraine démocratique ne peut cependant advenir que si les nouvelles élites démocratiques réunies autour de Iouchtchenko réussissent à s’imposer sur les vieux et autoritaires Koutchma et Ianoukovitch.

Pour ne pas décevoir la confiance que la nouvelle équipe nourrit à l’égard de l’Europe et de ses valeurs, il faut concéder à l'Ukraine la perspective d'une intégration dans l'UE : l’option de l’ouverture de négociations d'adhésion doit être maintenue ouverte. Le pays est certes très loin d’être mûr pour l'adhésion ; toutefois, alors que l’on discute de l'adhésion de la Turquie et des Etats balkaniques, et pendant que les citoyens ukrainiens manifestent pour lutter pacifiquement en faveur d’un futur démocratique et européen pour leur terre, l'UE devrait commencer à réfléchir ouvertement sur ses rapports futurs avec l'Ukraine. L'Europe ne doit pas craindre les conflits potentiels avec la Russie qui ont émergés pendant le sommet UE-Russie de La Haye du 25 Novembre dernier. Une Ukraine pleinement intégrée à l’Union ne se révolterait pas contre la Russie ; au contraire, elle deviendrait un important maillon entre les deux grandes puissances, avec lesquelles elle partage histoire et culture. Pour cette raison l'UE, doit faire preuve d’encore plus de détermination dans l’évocation de sanctions au cas où le nouveau scrutin ne respecterait pas les standards de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe [qui a envoyé ses observateurs ). En qualité de principale bailleuse de fond, avec plus d’un milliard d’euros versés en aides économiques depuis 1991, elle peut le faire, et sur un mode tout à fait crédible.

L’UE a effectivement exigé que le résultat des élections soit vérifié, mais un peu tard, le 24 novembre. Le traitement bâtard réservé à l'Ukraine montre que l’UE n'a pas encore compris combien les temps ont changé. Les efforts de Solana à Kiev ont contribué à ramener les deux factions au dialogue, mais la volte-face de Koutchma et de Ianoukovitch qui a permis la tenue de nouvelles élections ne peut pas leur être attribuée. Il est temps que l’UE se réveille et offre à l'Ukraine une alternative valide à l'autoritarisme et à la dépendance à l’égard de Moscou.

Translated from Europas Stiefkind