Participate Translate Blank profile picture
Image for L'avenir des jeunes européens est-il un «e-mail sans objet» ?

L'avenir des jeunes européens est-il un «e-mail sans objet» ?

Published on

Société

Face à un avenir incertain, la jeune génération européenne, en mal de buts et d'aspirations, semble traumatisée par le vide. Conseillère auprès d'une organisation de jeunesse et fraîchement diplômée en psychologie, une jeune roumaine ne trouve pas de meilleure métaphore pour décrire ce sentiment de vacuité que l'image d'un e-mail sans objet. Et vous, vous auriez fait le même constat alarmiste ?

Les données de l'Eurobaromètre 2007 nous apprennent que le manque de débouchés professionnels constitue pour 38% des jeunes européens le principal obstacle à la recherche d'un emploi au sein de l'Etat dont ils sont ressortissants. Mais, en va-t-il de même chez leurs voisins ? Quoiqu'il en soit, selon Dana, une étudiante roumaine en médecine âgée de 24 ans, à ce palmarès si morose, sa patrie incarne sûrement ce qu'il y a de pire. A Bucarest, capitale d'une nation qui s'apprête à recevoir un prêt de 20 milliards d'euros du FMI et de l'UE, un futur docteur devra se contenter d'un salaire n'excédant pas les 250 euros mensuels. « Je suis donc déterminée à aller chercher du travail à l'étranger une fois que j'aurais terminé mes études », déclare la jeune femme.

Au Sud-Est de l'Europe, le phénomène migratoire des jeunes se manifeste déjà pleinement. A 22ans, le Bulgare Aleksander, désireux de décrocher son master se dit « lessivé » : il n'a pas vu ses proches depuis un an. « Si je poursuis mon cursus au Royaume-Uni, ma famille et ma petite amie me manqueront et je leur manquerai. » Se posant les mêmes questions que d'autres jeunes dans des situations semblables, il tente lui aussi, tant bien que mal, d'y répondre : devrais-je aller étudier à l'étranger ? Pourrais-je espérer obtenir un meilleur boulot si je travaillais plus ? Ai-je même vraiment besoin d'un doctorat en philosophie ? Comment décrocher un job si je ne poursuis pas plus longtemps mes études ?

Anxiété, drogue et jeux vidéos

Le pire dans toute cette histoire, c'est que les jeunes ne sont pas encore bien adaptés à la réalité. Convaincu qu'une formation universitaire est une impasse, Mark, un jeune Allemand de 19 ans ne craint pas de parler ouvertement de son addiction aux jeux vidéos... Afin de fuir le monde décevant dans lequel il est contraint de vivre, il en tire un échappatoire imaginaire, virtuel et artificiel : « Jouer m'aide à oublier les études, mes parents et la vie en général. Je sens bien que je ne devrais pas passer autant de temps devant l'écran de mon ordinateur, mais que pourrais-je faire d'autre ? »

Il est reconnu qu'en Europe, les femmes souffrent plus de troubles liés à l'anxiété. De leur côté, les hommes fuient par d'autres moyens : l'alcool ou les jeux vidéos. Dans les cas extrêmes, le manque de débouchés pousse les jeunes gens à abuser de substances toxiques, remède coloré à une existence si blêmes. C'est le cas d'Ina, 22 ans, originaire de Roumanie : « Ma vie fait le plein d'énergie et de rayonnement quand je suis défoncée ! » Elle a laissé tomber ses études il y a 4 ans en espérant trouver un job bien rémunéré. Mais, entre-temps, la crise est passée par là. Environ 100 000 postes ont été supprimés dans son pays. Pour le moment, elle reste sans emploi. Cette situation ne se limite pourtant pas à la seule Roumanie. Dans le reste de l'Union, le chômage a atteint les 9,3% de la population active de l'UE, son niveau le plus haut. Il dépasse même les 20% chez les moins de 25 ans. Ina ne peut que se lamenter : « Je mène une existence misérable dans un monde misérable. » Et le fait de savoir (d'après les données fournies par l'Eurobaromètre 2010) que son pays partage le sort de l'Estonie , de la Lettonie ou de la Grèce en matière de détérioration du système de santé et d'amenuisement des prestations sociales ne la rend pas plus euphorique pour autant.

Addictions en rafale

En entendant parler d'addiction à Internet ou au consumérisme, de tendance au stakhanovisme ou à d'autres dérives tels que la boulimie (trouble reconnu depuis 1979), l'anorexie (syndrome identifié dès la fin du 19ème siècle), le stress, les crises de panique et toute la myriade des formes de dépressions actuelles, les « anciens » peuvent bien se gausser. Jadis, les palliatifs à de semblables carences était dévolus à d'autres institutions nommés Eglise, système éducatif ou famille (quand c'était encore une institution !) Toutefois, si l'on en croit l'Institut Millward Brown, la jeunesse sondée dans 12 pays de l'Union européenne ne semble plus accordée un très grand crédit à des valeurs tel que le mariage, les convictions religieuses ou les conseils de leurs aînés. 

Génération « sans objet » ?

Au final, malgré la hausse du niveau de vie, les progrès technologiques, le droit au travail, l'accès aux études pour tous, la possibilité de voyager ou de se marier quand ça vous chante, les jeunes d'aujourd'hui sont plus souvent en demande de soutien psychologique que leurs parents ne le furent. Par ailleurs, en s'adressant directement à un spécialiste, le patient en retour ne doit rien à personne (en dépit des sommes non négligeables qu'il lui verse... Or, on sait depuis longtemps déjà que l'argent ne fait pas le bonheur !)

Comparée à ses aînés, la génération actuelle, celle du « on a presque tout » pourrait donc bien être aussi la plus malheureuse de toutes. Afin de conjurer les angoisses au fil des décennies écoulées, il était possible de donner un nom aux événements internationaux : l'après-guerre, le baby-boom, l'immigration... Obnubilée par le manque de perspectives et d'opportunités, la génération actuelle ne semble traumatisée que par une seule obsession : le vide ! Quelle meilleure métaphore pour décrire ce sentiment de vacuité que l'image d'un e-mail sans objet ? « Je ne veux pas passer le reste de mon existence dans la pauvreté », ajoute Dana la Roumaine qui a déjà planifié son départ vers d'autres rivages.

« Génération sans objet » pourrait bien être finalement l'expression la plus appropriée pour désigner tous ces jeunes qui ne réussissent pas à donner un sens au monde contemporain mu par le progrès technologique illimité.

Photo : Une (cc) Michelle Brea (busy-away)/ michellebrea.com; dans le texte : (cc) Lomo-Cam/flickr

Translated from Psychology of Europe's youth: generation ‘no subject’