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L'art contemporain au Kosovo : apolitique, précaire et foisonnant

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Elise Compagnon

CultureStyle de vie

Un film par an, c'est tout ce que permet le financement du Centre cinématographique du Kosovo. Pas de quoi faire abandonner les jeunes créateurs kosovars, qui multiplient les festivals sur le septième art. Les autres art ont eux aussi leur place dans un pays où la pénurie ne nuit pas à l'envie.

Une journaliste du Monténégro est allé découvrir les jeunes talents du pays voisin où elle n'avait encore jamais mis les pieds.

Les jeunes générations de Kosovar Albanais ne parlent pas le serbe, pourtant proche de ma langue maternelle, le monténégrin. C’est donc en anglais que je me suis entretenue autour d’un café avec Rron Ismajli. Le monument NEWBORN, symbole de l’indépendance du Kosovo, n’est pas loin du bar où nous nous retrouvons, le Living Room. Le lieu est loin des rues bondées où la foule célèbre le troisième anniversaire de la plus jeune république balkanique.

Sans festivals, pas de cinéma

Cet étudiant de 21 ans fréquente l’Academy of Film and Multimedia Marubi de Tirana, la première école privée de cinéma et d’audiovisuel albanaise créée en 1999. Rron est actuellement en train d’écrire un court métrage documentaire sur la production de livres. Il se dit satisfait des aides que les jeunes artistes du Kosovo reçoivent de différentes organisations. « Les gens veulent aider et investir dans les talents émergents », explique-t-il. Il arrive à financer ses projets lui-même en travaillant freelance comme directeur de la photographie pour des spots publicitaires ou des clips vidéo. Il insiste là-dessus : « tu peux trouver un job si tu le veux et si tu le cherches ». Avec des collègues Albanais, Rron prévoit de participer à la neuvième édition du Dokufest en 2011. « Le seul moyen d’y arriver, c’est de se créer un réseau au travers des festivals et des universités. C’est un des meilleurs festivals du film européens », continue-t-il.

Le festival de cinéma le plus grand du Kosovo offre également des expositions, concerts et un camping pour les visiteurs

La politique ? M'intéresse pas

Veton Nurkollari, co-organisateur du Dokufest, est bien entendu du même avis. « Dokufest a un rôle essentiel pour sensibiliser les gens aux films documentaires mais aussi pour attirer l’attention sur des sujets qui y sont liés, comme les droits de l’homme et les questions environnementales. » L’évolution de la société au travers de la vision artistique prime chez les jeunes Kosovars sur le goût de la politique : « Les artistes ne veulent pas faire de politique, explique Charlotte Bohl, jeune française de 26 ans, coordinatrice du Rolling Film Festival qui en est à sa seconde édition. « Ici la politique est synonyme de conflits et de guerres. Elle n’est pas vue comme un instrument en faveur du changement. » Dans leur bureau, au cœur de Pristina, l’équipe visionne les vidéos de promotion du festival. Du 2 au 5 mars, le Rolling Film Festival a présenté plus de 30 films réalisés par et sur les Roms du monde entier. Quatre jours de projection à Pristina, qui ont été suivis par un voyage de huit jours, du 21 au 30 mars, à travers le Kosovo afin de visiter des écoles, d’y projeter les films et de discuter avec les élèves. « Le festival coûte 28.000 €. Ce n’est pas aussi cher que cela le serait en France ou en Espagne, car ici les salaires sont beaucoup plus bas. Là bas, le même projet reviendrait cinq à six fois plus cher », explique l’équipe. Il reçoit des subventions, entre autre, de la Kosovo foundation for open society, des ambassades Suisse et Française.

Roms, portraits de femmes et noms de rues

« Ca a commencé quand j’ai réalisé que je ne pouvais pas réaliser suffisamment de films pour représenter la culture et le mode de vie Roms », nous dit Sami Mustafa, directeur artistique lui-même Rom Kosovar. Avec deux personnes de son équipe, nous nous rendons dans le petit village serbe de Lepina pour rendre visite à Farija Mehmeti, un peintre Rom. Les peintures sur les murs de leur pauvre maison, dont des portraits de femmes de tout âge, rendent compte du talent de cette femme et de son frère qui s’inspirent de la vie quotidienne du village. La dernière exposition de ces deux trentenaires remonte à 2004. De Lepina, nous nous rendons au nord de Mitrovica pour assister à une pièce de théâtre de marionnettes et suivre des cours de step dance. L'école qui accueille ces évènement s'est appuyée sur Balkan sunflower, une organisation fondée en 1999 pour aider les réfugiés Kosovars. Durant le week-end, des enfants jeunes Serbes et Kosovars se retrouvent et jouent ensemble afin de préparer le spectacle qu’ils présenteront dans trois semaines.

Cet artiste visuel observe le cours des choses à travers le nom des rues de PristinaDe retour à Pristina, je rejoins l'artiste visuel Alban Muja. En 2009, il a réalisé le documentaire, Blue wall, red doors, qui traite de la confusion géographique dans les rues de la capitale. Beaucoup d’habitants, chauffeurs de taxi et postiers compris, ont en effet beaucoup de mal à connaître le nom des rues. « Il y a beaucoup de nouveaux immeubles et les gens perdent leur orientation avec le nom des rues. Depuis 1989, ils n'arrêtent pas de changer. » De l'ère yougoslave au régime de Milosevic en passant par la guerre (1991-1995), le gouvernement intérimaire sous surveillance de l’ONU et à présent le Kosovo indépendant, le nom des rues est un moyen de se pencher sur l'instabilité contemporaine de ce petit pays des Balkans. Vingt ans d’histoire de cette partie des Balkans montre une évolution marquée par la confusion et le manque de tolérance. Ce diplômé des Beaux-Arts a été peintre, photographe, réalisateur de films et de documentaires. Il considère ces média comme des passerelles complémentaires pour transmettre ses idées. « Si je pouvais un jour ouvrir une école d’art, je voudrais enseigner aux étudiants les différentes formes d’art, leur donner la chance de les explorer et de trouver celle avec laquelle ils ont plus d’affinités ». Malgré les changements de support successifs, Alban est toujours resté constant dans ces recherches sur les sites, les noms et les envisage comme un tout. « Si tu travailles sur des éléments locaux, tu risques que seul les personnes qui y résident de comprennent. Un artiste qui crée quelque chose au niveau local est voué à l'échec ».

Fidèle à son discours, Alban revient juste de New York et il s’apprête à partir pour Berlin pour le Festival du film, où il a travaillé avec un artiste suédois afin d’encourager de nouvelles réflexions. A travers le travail de Rron, l’équipe du Dokufest ou les promoteurs de la culture Rom du Rolling Festival, les acteurs de la scène culturelle contemporaine au Kosovo puisent leurs nouvelles idées dans les expériences passées du Kosovo. Voilà la photographie que l’on peut faire de ce pays : un grand besoin de changement, et de plus en plus de gens prêts à en être les acteurs, peu importe la langue et la discipline.

Cet article fait partie d’Orient Express Reporter 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans les Balkans. Pour en savoir plus sur Orient Express Reporter.

Photo : Une : © Rolling Film festival; DokuFest 2010 © Jetmir Idrizi/ DokuFest sur facebook; portrait d'Alban Muja : © Alban Muja

Translated from Small money, big things: four film and art initiatives in Kosovo