La Turquie sur le pas de la porte
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juliette lemerleOpinions publiques réticentes, conflits sur la question chypriote et méfiance politique n’y changeront rien. Les négociations sur l’entrée d'Ankara dans l’UE débuteront la semaine prochaine.
L’année a été riche en rebondissements depuis que la Commission européenne a décidé d’ouvrir les discussions avec la Turquie sur son entrée dans l’Union. A quelques jours de leur commencement, de nombreuses menaces pèsent sur ces négociations, notamment la question de la non-reconnaissance de Chypre de la part du gouvernement turc, la montée en puissance de la démocrate-chrétienne Angela Merkel en Allemagne et le « non » français et néerlandais à la Constitution européenne. L’échéance du 3 octobre approchant, le moment est venu de faire le point sur ces questions.
Un sujet délicat
Chypre, membre de l’Union depuis mai 2004, a toujours représenté un mauvais point pour la Turquie. Le gouvernement turc refuse en effet de reconnaître les autorités gréco-chypriotes de la partie nord de l’île, peuplée de Chypriotes turcs. La Turquie a toutefois récemment fait un geste en signant le fameux protocole d’Ankara, qui prévoit l’extension de l’union douanière aux 10 nouveaux États membres, et par conséquent à Chypre.
Cette signature ressemblait à un pas en avant mais le gouvernement turc l’a accompagné d’une déclaration de non-reconnaissance de Chypre. Nicosie et Paris en particulier, ont prévenu que sans une telle reconnaissance, les négociations avec la Turquie pourraient ne pas débuter. Après un débat féroce entre les 25, une « contre déclaration » a été rédigée le 19 septembre - en attente d’une approbation par le conseil des Ministres-. L’Union y affirme que les négociations sur l’adhésion de la Turquie se poursuivront seulement si celle-ci reconnaît officiellement la République de Chypre, et ce, avant la date de son adhésion. La question est donc aujourd’hui de savoir à quel moment du processus la Turquie procédera à cette reconnaissance.
Un « partenariat privilégié » sur la table
Si, pour l’UE, le chemin vers l’adhésion de la Turquie semble déjà tracé, ce n’est pas l’avis de tous les politiciens. Angela Merkel, candidate de la droite conservatrice allemande aux dernières législatives du 18 septembre, est fermement opposée à l’entrée de la Turquie dans l’UE et a bâti son programme électoral sur la promesse de ne jamais l’accepter. Côté français, cette opinion se voit partagée par Nicolas Sarkozy, qui aspire lui aussi au siège de Président. Cependant, ce n’est pas la tenue de négociations qu’ils remettent en cause, mais plutôt leur nature. Ils proposent qu’elles se fassent non pas sur le principe d’une adhésion complète mais plutôt sur la base d’un « partenariat privilégié » , qui n’accorderait pas à la Turquie les mêmes droits qu’un membre de l’Union. La Turquie rejette cette proposition, et c’est elle qui risque de se retirer de la table des négociations, et non plus Bruxelles. Heureusement pour la Turquie, la proposition d’un partenariat privilégié n’apparaît pas dans la version finale de la contre déclaration de l’Union européenne.
Autre bonne nouvelle pour Ankara : avec le cyclone Katrina et la flambée concomittante des prix du pétrole, l’Union européenne doit aujourd’hui affronter une crise énergétique grave. Or, l’une des raisons qui l’a toujours poussé à encourager l’adhésion turque était son excellente situation géographique, qui facilite le passage des sources d’énergie vers l’Europe. Au mois de mai dernier a été inauguré l’oléoduc «Bakou-ceylan », qui acheminera des millions de tonnes de pétrole depuis l’Azerbaïdjan jusqu’au port turc de Ceyhan. L’UE a donc plus que jamais besoin de la Turquie, et cela pourrait bien aider à lever tous les obstacles qui se sont dressés contre l’ouverture des négociations avec la Turquie le 3 octobre prochain.
Scepticisme en Europe
Mis à part la date du début des négociations, l’UE devra affronter un autre défi : gagner le soutien de l’opinion publique à l’entrée de la Turquie. Techniquement, le « non » hollandais et français à la Constitution n’a pas de relation directe avec le débat sur l’adhésion d’Ankara dans la famille européenne, puisque la question n’était pas mentionnée dans le texte. La nature du rejet a néanmoins suscité de nombreuses interrogations. Ce « non » pourrait répondre, dans une certaine mesure, à l’aversion des électeurs à l’égard d’une intégration turque.
Pourtant, selon les sondages, parmi les électeurs qui ont voté « non », seulement 6 % des Français et 3 % des Hollandais citent la question turque parmi les raisons qui les ont poussés à rejeter le traité constitutionnel. De toute façon, il est toutefois évident que le thème est loin d’être populaire parmi les électeurs européens. Un sondage plus récent, mené par le Fonds Marshall allemand, montre que 22 % des citoyens européens soutiennent la demande d’adhésion de la Turquie alors que 39 % ne sont pas convaincus. Par ailleurs, au sein même de la Turquie, le soutien à l’adhésion est passé de 73 % à 63 % en un an.
Parler turc
La Commission européenne, consciente de ce manque de soutien de la part de l’opinion publique, a annoncé qu’elle allait lancer un «dialogue civil » entre les citoyens européens et la Turquie. Concrétement, cela signifie que l’UE a prévu un budget non négligeable pour convaincre les Européens que l’entrée de la Turquie n’est pas une si mauvaise idée au fond. Des critiques s’élèvent contre ce projet : selon certains, dépenser l’argent du contribuable européen pour tenter de gagner l’opinion risquerait d’aboutir au résultat opposé. Cela prouve en tout cas que, pour la Commission, le manque de soutien de l’opinion n’est pas une raison suffisante pour retarder le début des négociations.
De nombreux événements peuvent encore faire échouer les pourparlers, notamment après le 3 octobre. Une seule chose est sûre : une fois ouvertes, les discussions prendront beaucoup de temps et rencontreront de nombreux obstacles. Les observateurs turcs ne devraient pas baisser la garde si tôt.
Translated from Turkey, poised to join?