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La Tchétchénie crie justice

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Default profile picture ole solvang

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Default profile picture mireille vachaumard

L'été 2006 verra les premiers procès sur les disparitions forcées en Tchétchénie. L'occasion, pour la Cour européenne des droits de l'homme, de jouer (enfin) son rôle.

«Tuez-le putain ! C’est votre mission. Envoyez-le de l’autre côté, tirez ! » Fatima Bazorkina regardait les informations télévisées du soir quand elle a entendu la voix d’un militaire russe prononcer ces ordres. Le gradé veillait à l’exécution d’un jeune homme qui venait d’être arrêté par les forces russes. Fatima a reconnu le visage de son fils sur l’écran.

Crimes contre l’humanité

Fatima n'est pas la seule dans ce cas. De graves abus sont commis tous les jours en matière de droits de l'homme depuis qu'a débuté la seconde guerre tchétchène en 1999. Après une série d'explosions en Russie et une brève incursion dans la République voisine du Daghestan, les forces fédérales russes ont lancé une campagne militaire pour rétablir leur contrôle sur le territoire tchétchène, lequel jouissait d'une indépendance significative depuis la signature de l'accord de paix marquant la fin du premier conflit en 1996. Dès le début, l'offensive armée a été entachée par de graves violations des droits de l'homme.

Les disparitions forcées sont l'un des problèmes majeurs de la Tchétchénie. Des civils sont régulièrement capturés dans leurs maisons en pleine nuit par des hommes en uniforme, portant armes et masques. Parfois, les personnes détenues réapparaissent dans des centres de détention tandis que d'autres sont retrouvées dans des charniers. La plupart disparaissent sans laisser de trace. Selon le Centre des droits de l'homme ‘Mémorial’, l'une des organisations russes les plus respectées, entre trois et cinq mille personnes auraient disparu depuis 1999. L’ONG Human Rights Watch n’hésite pas à considérer ces disparitions systématiques comme des crimes contre l'Humanité.

La grande majorité de ces disparitions sont l'oeuvre d'agents de Moscou. D'ailleurs, les procureurs locaux et fédéraux ont refusé d'effectuer des enquêtes en bonne et due forme. Dans le cas de Fatima, il a été rapidement établi que le responsable ayant donné l'ordre d'exécution était le Général Baranov. Toutefois, lorsque les autorités russes ont appris que Fatima avait porté plainte auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), aucune mesure d'investigation significative n'a été prise.

La Cour de l'espoir

Pour la plupart des victimes, le seul espoir consiste à faire appel à cette juridiction européenne, compétente en matière de violations des droits de l'homme en Russie depuis 1998, date à laquelle la Douma, chambre basse du Parlement russe, a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Parmi les milliers d'affaires soumises par des citoyens russes à la CEDH, 200 seulement concernent de graves violations des droits de l'homme en Tchétchénie.

Pourquoi l'une des crises majeures des droits de l'homme en Europe donne-t-elle lieu à si peu de procès ? Tout d'abord, l'introduction d'une requête devant la Cour est un acte dangereux quand on pense que beaucoup de requérants font l'objet de menaces et d'intimidations en tous genres. Certains plaignants ont même été enlevés. Ensuite, nombres de Tchétchènes ignorent l'existence de la Cour et de ce qu'elle peut leur proposer. Enfin, le dépôt d'une requête est un processus lent et parfois décourageant : la Cour met en moyenne entre quatre à sept ans avant de rendre une décision.

Un impact potentiel

Jusqu'à présent, la Cour n'a jugé que six affaires impliquant la Tchétchénie. Il s'agissait de cas de torture, d'utilisation de la force non justifiée et du massacre de civils au cours d'opérations militaires. Dans tous les cas, les autorités russes ont été jugées responsables de la mort des proches des requérants et condamnées à verser des indemnités. La Cour européenne des droits de l'hommes est pourtant en mesure d'offrir bien plus que des indemnités aux victimes. Car lorsqu'elle juge qu'un pays a violé la CEDH, celui-ci est contraint de prendre des mesures pour éviter que de tels manquement ne se produisent à nouveau. Le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, composé de représentants de tous les Etats membres, est l'organe chargé de développer et d'appliquer ces mesures.

Ces premiers procès devraient inciter la Russie à prendre des mesures tangibles pour mettre fin aux violations des droits de l'homme en Tchétchénie. Chaque Etat membre du Conseil de l'Europe est chargé de s'assurer que les mesures adoptées sont efficaces et dûment mises en œuvre. L'ONG Stichting Russian Justice Initiative veille aussi à ce que ces dispositions soient mises en place. Toutefois, les pays devraient non seulement aborder ce problème en Comité des Ministres mais également lors des réunions bilatérales et multilatérales.

Enfin, une justice ?

Fatima a passé ces six dernières années à écrire des centaines de lettres aux autorités russes. Elle a traversé la Tchétchénie de long en large, à la recherche de son fils dans les multiples charniers du pays. Elle n'a toujours pas obtenu d'information sur ce qui est arrivé à son fils après l'ordre d'exécution du Général Baranov. La diffusion par la télévision d'images du militaire russe en pleine exécution sommaire ne l'a pas empêché d'avoir été élevé au rang de héros national russe et de se retrouver à la tête des forces militaires au Caucase Nord. Cet été, la Cour européenne rendra son verdict dans le procès opposant Fatima à la Russie.

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Translated from A European justice for Chechnya's victims