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La Serbie, l'Europe, et l'obsession de l'Histoire

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Pauline Cellard

CultureSociété

Le rêve d’une Serbie fière et indépendante n'est pas compromis dans une UE où la crise et le manque de perspective se manifeste par le retour à des nationalismes fermés. Chez les autres, les radicaux citent l’immigration ou l’économie comme cause de leur problème. En Serbie, c'est l'Histoire.

Pour un pays considéré par beaucoup comme obnubilé par sa propre histoire, les équipements pour le musée historique de Serbie (IMUS) dans le centre de Belgrade semblent manquer. « Prenez l’ascenseur pour le quatrième étage. Ensuite, il vous suffit de sortir et de monter à pied jusqu’au cinquième », nous conseille le concierge quand on lui demande où trouver le conservateur Nebojsa Damnjanovic. Les portes froides et rouillées en métal de l'ascenseur fermées, nous optons au final pour l'escalier.

Je suis sûr qu’ils ont des ascenseurs plus modernes au Parlement européen de Strasbourg, où les diplomates européens évaluent l'avenir des relations entre la Serbie et l’UE en votant l'accord de stabilisation et d'association (ASA) entre la Serbie et l'UE. La validation de ce document le 19 janvier ouvre le commerce entre la Serbie et les 27 pays membres de l’UE et donne à la Serbie l'accès à des fonds de pré-adhésion. Alors que l’éventualité d’une adhésion à l’UE pour la Serbie renvoie encore à plusieurs années, ce processus représente un important pas en avant, même si d’autres réformes et accords avec le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie sont encore attendus de la nation balkanique.

Fierté nationale

La Serbie n’a pas toujours eu l’approbation de ses homologues occidentaux. Lors des dernières décennies, le pays a lutté pour arracher son étiquette de paria parmi les parias dans les Balkans. Certains observateurs étrangers voient la Serbie comme un pays campé sur le fantasme d’un passé glorifié, refusant d’accepter la réalité moderne des politiques européennes et des structures du pouvoir. Les Serbes ont donc vu leurs voisins au Nord, au Sud, à l’Est et à l’Ouest les doubler sur la route vers l’Europe. L'opinion de Nebojsa Damnjanovic au sujet de l’histoire serbe atteste l’importance de l’indépendance par rapport aux programmes étrangers. « L’idée d’un Etat proprement serbe, au sens strict du terme, a toujours été très importante, rappelle-t-il. C’est pour cela que notre position en tant que premier pays d’Europe de l’Est à avoir acquis notre indépendance face aux Ottomans est capitale dans notre histoire. »

Une histoire européenne

Cependant Nebojsa Damnjanovic explique clairement le fait que l’histoire de la Serbie est une histoire européenne, et que le pays appartient à l’Europe. « Pendant le soulèvement de la Serbie au XIXè siècle, les Serbes se sont vus comme une nation européenne et ont considéré ces soulèvements comme la preuve d'un lien avec l'Europe ». Il exhibe une fierté non-feinte en évoquant le retour de la Serbie en Europe après le cloisonnement ottoman. A l’époque, la Serbie se tourna vers l'Europe. Idem aujourd’hui. L’UE a confiance dans le pays pour faire taire les mouvements nationalistes et intolérants qui sévissent dans ses marges. L’histoire sanglante de l’Europe ne sera dépassée que par le progrès et la coopération démocratique mutuelle. C’est à travers cette conception que l’adhésion à l’UE pourra dissimuler des questions aussi dérangeantes et susceptibles de semer le désordre que le problème du Kosovo. Avaler cette perte risque de prendre du temps pour la majorité des Serbes, mais la progression de l'adhésion, symbolisée par l’accord de stabilisation et d’association, va peu à peu atténuer la polémique autour du Kosovo.

Le fardeau du mythe du Kosovo

« La Serbie doit rendre son économie stable, enrayer le chômage et exporter plus », confie Valentina, une étudiante de Serbie du sud. Cette liste semble assez similaire à celle que pourrait faire n'importe quel étudiant d’un Etat membre de l’UE. Valentina ne mentionne pas le Kosovo comme un problème clef... Ce qui ne l'empêche pas d'être présent dans toutes les discussions concernant le passé, le présent et le futur de la Serbie. « Le fardeau du mythe du Kosovo a touché toutes les générations jusqu’à aujourd’hui », regrette Sladana Bojkovic, membre du corps des conservateurs au musée.

de Adam Stefanović (1870)

À la fin du mois de janvier, le rapporteur du Parlement européen pour le Kosovo, Ulrike Lunacek, a publiquement annoncé que la Serbie devait reconnaître l’indépendance de son ancienne province avant de songer sérieusement à rejoindre l’UE. Ce petit territoire discuté qui fait partie des plus pauvres de toute l’Europe a longtemps tenu le progrès matériel de la Serbie en otage. Il y eut tout d’abord 1389 – un chiffre et un concept fermement ancré dans l'imaginaire de toutes les générations de Serbes. Cette date rappelle la bataille qui a marqué la chute physique du royaume serbe médiéval en faveur de son règne spirituel.

Le Prince Stefan Lazar décida de combattre les Ottomans à Kosovo Polje (champs du Kosovo), à côté de l’actuelle Pristina. Il fut défait et l’espoir d'un futur paradisiaque pour la Serbie sombra avec lui. Les buts parfois opposés du progrès matériel et de l’idéalisme historique n’ont jamais été résolus. Aujourd’hui, la Serbie pourrait indubitablement faciliter son passage vers la stabilité et le progrès en acceptant l’opinion internationale sur le Kosovo. Mais, au cours des siècles, le poids du mythe du Kosovo a échappé tant aux règles étrangères, à la renaissance serbe et au communisme. Le Kosovo a constitué une des premières failles du concept de « Confrérie et Unité » développé par Tito dans les années 80. Il était aussi là quand Milosevic et le violent nationalisme serbe ont émergé et provoqué la colère mondiale. Après les pluies de bombardements et l'échange d'atrocités, la Serbie a subi la défaite, et l’Histoire est devenue le présent.

La parenthèse historique peut-elle se refermer ?

Cercle vicieux

« L’histoire serbe s’est toujours répétée. Les Serbes ont subi des mêmes ennemis et l’Eglise (orthodoxe serbe) a toujours préservé la nation », expliquent Damnjanovic et Nojkovic. Aujourd’hui, la question du Kosovo complique le désir mutuel de l’UE d’accepter la Serbie, et de la Serbie d’accepter l’UE. Du point de vue serbe, l’histoire se répète. Les deux compères ne sont pas les seuls à penser que Serbie indépendante et UE ne sont pas seulement compatibles, mais représentent le futur. Cependant, ce rêve européen pour la Serbie ne remplace pas l'héritage historique serbe. Le fardeau de son histoire redondante ne disparaîtra pas en signant des documents préparés à Bruxelles. « Quand on n’est pas bons pour soi-même, on ne peut l’être pour personne d’autre », sermonne Valentina.

La discussion chaleureuse et amicale sur l’histoire serbe est suivie par un verre de rakija local fièrement servi par Bojkovic. À des centaines de kilomètres, dans un bureau de Bruxelles, des diplomates discutent rationnellement de l'accord de stabilisation et d'association de la Serbie. Son approbation indiquera des progrès positifs pour l’UE et la Serbie. Mais en Serbie, le passé, comme la rakija, est fort et corsé. Assis ici au centre de Belgrade, je ne peux pas en dire autant des accords et des processus de l’UE. Est-ce que cela sera suffisant pour que la Serbie renonce au cercle vicieux de histoire qui se répète, comme le conseille la député autrichienne Ulrike Lunacek ? Est-ce que l’UE est assez forte pour résoudre le dilemme entre les progrès mondiaux et le legs historique ? Mon hôte, comme moi-même, n'a pas l'air plus anxieux que ça sur le sujet. On est content là où on est.

Cet article fait partie d’Orient Express Reporter 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans les Balkans. Pour en savoir plus sur Orient Express Reporter.

Photo : Une (cc)Hannanik/flickr ; Fuck Yu : (cc)Arianit/flickr

Translated from View from Belgrade's historical museum: Serbia, Europe and obsessions with history