La Macédoine et Skopje 2014: folies, passéisme et salades de fruits
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emmanuelle.mLe projet urbain en cours résonne comme si la capitale macédonienne se préparait à accueillir les prochains Jeux Olympiques.
En réalité, cela concerne les origines classiques: Skopje sera rénovée dans un style néo-classique dans le but de renforcer l’identité nationale, attirant des touristes étrangers et, selon certains, provoquant davantage la Grèce, au nom du conflit qui a commencé lorsque la Macédoine est devenue indépendante en 1991.
Je n’ai pas encore atterri correctement à Skopje et je peux déjà le voir : un hommage au néon à l’une des plus grandes figures antiques du monde, dont les origines contestées sont devenues un emblème du conflit grec-macédonien. En haut de l’aéroport minuscule et glauque (plus évocateur du communisme que de l'’Antiquité) il est là, étincelant dans les lettres du néon. L’impression générale est soulignée par la dernière lettre échouant à s’allumer : Skopje « Alexandre le Grand » Aéroport.
La Macédoine: berceau des civilisations ?
Le nouveau nom de l’aéroport coïncide avec l’arrivée du nouveau gouvernement nationaliste en 2006. Il symbolise le début du phénomène « d’antiquisation » de la Macédoine, comme les critiques appellent cette nouvelle obsession du pays pour ses racines classiques. Pour un Occidental qui ne connaît rien de ce pays, la vue d’une annonce à l’extérieur de l’aéroport indiquant « Bienvenue dans le berceau des civilisations » apparaît un peu contradictoire.
La vue d’une annonce à l’extérieur de l’aéroport indiquant « Bienvenue dans le berceau des civilisations » apparaît un peu contradictoire
Je suis arrivé par avion de l’Italie, où le premier lien avec le mot « Macédoine » est « salade de fruits » plutôt qu’un ancien pays yougoslave. Les dictionnaires d’étymologie déclarent que les mots italiens et français (en France, la salade Macédoine est composée de légumes, non de fruits, ndlr) pour la salade de fruits dérivent de la diversité ethnique de l’empire d’Alexandre le Grand, auxquelles les traces macédoniennes des temps modernes le relient. La carte de l’ancien empire macédonien comprend en effet le territoire actuel de l’ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine), bien que les Grecs prétendent que la Macédoine actuelle n’a aucun rapport avec celle d’Alexandre Magnus.
Skopje 2014
Dans le centre-ville de Skopje, la construction de bâtiments, monuments, statues et fontaines louant les racines antiques présumées de la Macédoine d’aujourd’hui se rassemblent autour de la figure centrale du projet : une statue de 28 mètres de haut d’Alexandre le Grand. Le mystérieusement nommé « guerrier équestre », appelé ainsi pour éviter de contrarier les Grecs, fut érigé en juin…
Même les critiques les plus dures admettent que la vitesse à laquelle ces constructions ont été exécutées est impressionnante, et reconnaissent que Skopje 2014 est le premier investissement significatif du pays dans la culture et l’architecture durant ces trois dernières décennies. Cependant, ce qui irrite beaucoup d’habitants, c’est que cet argent est nécessaire ailleurs. « Les gens n’ont pas de pain et ils versent des millions dans des statues », dit Bojan, un chauffeur de taxi de 36 ans. Milos, un ingénieur de 32 ans, acquiesce. « Il y a un million de trous dans les routes de Macédoine.Au lieu de les réparer, le gouvernement gaspille de l’argent sur une connerie d’ego national pour gagner des points politiques bon marché », dit-il, ajoutant que les autres partis locaux ne sont pas mieux. « C’est pourquoi lors des trois dernières élections, j’ai voté Chuck Norris », ajoute Milos, qui a aussi un diplôme de sciences politiques. Pendant les élections de 2009, il y avait apparemment un groupe Facebook « Vote pour Chuck Norris », avec des milliers de fans. « Vous devriez voir l’état de l’hôpital de Skopje pour comprendre où ces millions devraient aller », dit Rob, un Irlandais de 26 ans marié à une Macédonienne.
Selon Svetlana, un membre d'Arhi-brigada, une organisation informelle de guérilleros étudiants en architecture à Skopje, Skopje 2014 est « une parade kitsch » qui ressemble « à un parc à thème » plus qu’à ce qui fait le nouveau cœur de la ville. « Nous obtiendrons même notre propre roue du millénaire modelée sur l'œil de Londres », dit-elle, méprisant les ambitions gouvernementales pour attirer l’admiration des touristes étrangers à travers ce qu’elle appelle l’architecture « populiste », « turbo-folk » et « just do it ».
Effet ping-pong
Après avoir vu à quel point Skopje 2014 semble pompeux et cher, je suppose qu’obtenir des entretiens avec les autorités sera simple. Cela s’avère loin d’être vrai: peu importe l'administration publique que je contacte (la municipalité, le ministère de la Culture, le cabinet du Premier ministre ...), je suis renvoyée vers une autre institution avec une excuse inlassable « nous exécutons seulement le projet », tandis que le gouvernement clame que « nous payons seulement pour le projet. » L’entretien le plus proche des autorités est un appel accidentel lorsque l’assistant de l’ancien maire de Skopje, Trifun Kostovski, me rappelle, pour seulement découvrir qu’il avait composé mon numéro par erreur, et raccroche, pour ne plus jamais me rappeler ! Les journalistes locaux confirment plus tard mes doutes: le gouvernement ne tient pas à parler aux médias en raison des craintes d'une campagne médiatique négative, et essaie aussi d’éviter de révéler le coût du projet. « Il a été annoncé à l’origine que le coût serait de 80 millions d’euros, mais selon les estimations actuelles, le coût réel est de plus de 200 millions », explique un journaliste de Skopje, quand je demande pourquoi aucun document détaillé décrivant le projet n'est disponible. Apparemment, aucune participation citoyenne ni aucune consultations expertes n’ont été prévues dans la procédure d’approbation du projet.
Cependant, un artiste local qui a travaillé sur l’une des statues a une vision positive de ce projet, prétendant que beaucoup de statues étaient des objets d'art de qualité. Il demande à rester anonyme puisqu’il ne veut pas faire de publicité comme « un supporter du gouvernement ». « Skopje 2014 nous aidera à commémorer des parties de l’histoire que nous avons oubliée en raison des 500 années de ‘siècles sombres’ causés par la loi turque », dit-il. Nous sommes assis dans la « Turska » ou « stara carsija » (« la ville turque », ou « vieille ville »), le plus ancien et le plus pittoresque quartier de Skopje, dominé par une mosquée.
Quelques pas plus loin, je trouve de vieux magasins artisanaux avec les portraits de Tito sur les murs, leurs propriétaires se rappelant, nostalgiques, aussi bien la Yougoslavie communiste que leurs racines slaves. En soirée, rock, jazz et musique house des bars locaux se mélangent au chant de l’imam, dégageant la forte impression que « l’âme » de cette ville est beaucoup plus proche de la simplicité colorée « carsija » que des brillantes constructions de Skopje 2014. Un peu comme cette dernière lettre du néon échouant à s’allumer.
Cet article fait partie d’Orient Express Reporter 2010-2011, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans les Balkans. Pour en savoir plus sur Orient Express Reporter.
Photos: Une (cc) Mamzel*D/ Flickr; Texte © Nela Lazarevic/ Flickr
Translated from Macedonia the Great: historical obsessions and Skopje 2014