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La Hongrie de la corruption 

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Default profile picture Catherine Combes

La corruption est aussi néfaste que répandue en Hongrie, et on la retrouve à tous les niveaux, en politique comme dans la vie de tous les jours. Elle affecte les relations du pays avec l'Union Européenne, les Etats-Unis et la Russie. Mais pourquoi est-elle si florissante? Quel est la place de la corruption dans la Hongrie de Viktor Orbán?

La corruption, ou “mutyi”- un terme récemment rendu populaire par les médias hongrois - n'est plus considérée comme un phénomène marginal en Hongrie. Avec l'accord tacite de la société hongroise, la corruption s'est infiltrée dans le quotidien pendant la dictature "douce" de Kádár, et les gens paient encore des dessous de table pour recevoir de meilleurs soins dans les hôpitaux ou être servis plus rapidement dans les administrations. Apres la chute du communisme en Europe de l'Est, la corruption s'est tant enracinée dans la vie politique hongroise qu'une étude récente a montré que le premier mot qui vient à l'esprit des jeunes hongrois quand on leur parle de politique est celui de "corruption". La situation s'est dégradée récemment: la Hongrie est très mal notée sur l'échelle de perception de la corruption établie par Transparency International, même en comparaison avec ses voisins d'Europe de l'Est.

Quelles sont les causes principales de ce phénomène? Pourquoi la corruption a-t-elle tant progressé depuis 2010, sous le gouvernement d'Orbán? La différence saute aux yeux si l'on considère certains scandales de plus près. Prenons par exemple le cas de Miklós Hagyó, l'ancien adjoint au maire de Budapest et responsable des transports en commun de la ville sous le gouvernement social-démocrate MSZP, avant que Viktor Orbán n'entre en fonction. Il a été accusé d'avoir reçu plusieurs millions de forints, qu'on lui aurait transmis dans des boîtes de téléphones portables Nokia. Il a été poursuivi en justice puis reconnu coupable en janvier.  

Orbán et son parti, Fidesz, ont fait campagne contre le MSZP en se servant du scandale des "boîtes de téléphone Nokia", mais aujourd'hui, on n'engagerait même pas de poursuites contre un membre de Fidesz qui serait suspecté de telles malversations - depuis 2010,  le parquet est sous la direction de Péter Polt, un membre de Fidesz. Et de telles malversations sont monnaie courante: en 2012, dans le cadre du nouveau système de bureaux de tabac, la plupart des concessions ont été attribuées à des individus qui avaient des relations au sein du parti au pouvoir. Les membres de Fidesz et leurs familles peuvent acheter ou louer à l'Etat des terrains immenses pour des sommes très basses.

Les appels d'offre pour attirer des investissements de l'Etat - qui sont souvent en partie financés  par l'Union Européenne -  contiennent certaines clauses que seules des entreprises qui entretiennent de bonnes relations avec Viktor Orbán pourraient remplir, par exemple Lőrinc Mészáros, le maire de Felcsút, le village natal d'Orbán. Ces investissements sont presque toujours surévalués, jusqu'à 140-320%, selon les estimations du Centre de Recherche sur la Corruption de Budapest. Avec des fraudes de cette ampleur, c'est un pourcentage énorme des fonds structurels de l'Union Européenne, financés par les contribuables d'Europe de l'Ouest, qui se retrouve dans les caisses d'oligarques hongrois. Ce n'est pas une coïncidence si Mészáros, un simple monteur d'installations au gaz, est devenu riche et puissant en l'espace de quelques années. En 2011, une loi a été passée qui autorise l'Etat à convier certaines entreprises à faire des investissements sans passer par un appel d'offres public. Dernière affaire en date, le gouverneur de la Banque Nationale de Hongrie et ancien ministre de l'économie, György Matolcsy, a apporté un soutien financier à des fondations dont certaines sont en relation avec Fidesz. Cet apport financier était souvent trop élevé, et il était tiré directement du profit de la Banque Nationale. La liste de ces donations n'a été rendue publique qu'après un jugement de la Cour Constitutionnelle. 

Mais hormis l'inaction suspecte du parquet et de l'Administration Nationale des Impôts et des Douanes (NAV) , y-a-t'il vraiment une différence en matière de corruption de la vie politique avant et après 2010 en Hongrie? Je dirais que oui. Certes, la corruption était chose courante avant 2010, même pendant le premier mandat d'Orbán (1998-2002), mais ce n'était qu'un problème secondaire auquel on aurait pu apporter une solution sans pour autant devoir radicalement transformer tout le système. Mettre fin à la corruption est une tâche ardue à laquelle les pays d'Europe de l'Est comme la Hongrie doivent faire face depuis 1989. Dans ces pays où les institutions démocratiques n'étaient pas profondément enracinées dans une tradition historique, et les dirigeants n'étaient pas tenus responsables de leurs actions, certains notables ont conservé leur influence même après la fin de ce système. 

 Tout a changé après 2010: le Fidesz a remporté la majorité de deux-tiers des sièges du Parlement, et Orbán a remodelé la Hongrie à son image. La corruption n'est pas qu'un effet secondaire du régime d'Orbán, mais bien sa fondation. Il me semble que Fidesz a perdu de vue ses principes idéologiques. Ce n'est plus un parti conservateur pour les électeurs de classe moyenne comme il l'était en 1998, mais un parti populaire sans véritable idéologie. Gábor G. Fodor, le conseiller d'Orbán, est clair: "le concept d'une Hongrie civique n'était qu'un artifice de politicien". C'est l'argent, et plus l'idéologie, qui motive les gens. De nombreux membres du parti, surtout ceux de la deuxième génération, à l'image d'Antal Rogán ou de János Lázár, semblent n'avoir qu'un objectif en tête: faire de la capitale politique un centre économique.

C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec les hommes politiques et journalistes libéraux de gauche, hongrois et étrangers, qui affirment que le régime d'Orbán est - ou est en train de devenir - un système étatique autoritaire d'extrême-droite, porté par une idéologie claire. Cela pourrait être le cas, mais une telle dictature se verrait vite écartée de l'Union Européenne, ce qui priverait Orbán d'une de ses principales sources de financement. Il est plus rentable pour lui de rester à l'intérieur du système et de n'avoir recours à une rhétorique anti-européenne que pour séduire l'électorat hongrois. Les procureurs, les cours de justice et une partie des médias subissent une pression de la part du monde politique, et de ce fait, les oligarques peuvent poursuivre leurs sombres affaires en toute impunité. 

Malgré tout, Orbán est impliqué dans de nombreux conflits avec Bruxelles, ce qui pourrait tôt ou tard coûter à la Hongrie une partie des fonds que lui alloue l'Union Européenne. C'est tout du moins l'opinion de Benedek Jávor, un membre de l'opposition au Parlement Européen. La logique calculatrice de l'élite au pouvoir les conduirait à se tourner vers l'autre source de soutien financier du pays en Europe: la Russie de Poutine, avec laquelle Orbán entretient déjà de bonnes relations. Si la Hongrie se tournait entièrement vers Poutine, cela constituerait un véritable danger pour sa démocratie déjà bien entamée, puisque le gouvernement n'aurait plus à se soucier des recommandations de Bruxelles ou à respecter les valeurs démocratiques fondamentales. Les Hongrois se rendraient compte que la corruption interne du régime a des conséquences sur les affaires étrangères du pays. Des citoyens hongrois, parmi lesquels Ildikó Vida, ancien président de la NAV, ont été expulsés des Etats-Unis en 2014, par exemple, par ce qu'ils étaient impliqués dans des affaires de corruption- la cause officielle avancée par les Américains.

L'autre danger vient du nombre croissant d'électeurs du parti xénophobe d'extrême-droite, Jobbik, dont la propagande repose en grande partie sur la dénonciation de l'establishment et de la corruption des élites. Les signes avant-coureurs sont déjà bien visibles: Jobbik est le parti qui attire le plus l'électorat jeune, même ceux qui étudient à l'université. 

Translated from Corruption in Hungary