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La démocratie antilibérale et infâme de Viktor Orban

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Véronique Mazet

Politique

Dans un discours prononcé le 26 juillet à Tusvanyos, en Roumanie, le premier ministre hongrois a déclaré qu’il était prêt à faire de son pays un monde nouveau, basé sur le travail et la communauté. Vigilante, la presse internationale, a relevé ses mots outrageux. En somme, rien de nouveau sous le soleil d’Orbanistan.

J’aimerais écrire au sujet du succès des nouvelles entreprises hongroises dans le monde, des films primés et des écrivains du  génial Sziget Festival – mais notre politique semble provoquer plus de remous que les sujets mentionnés. Cela n’est pas nouveau pour moi, puisque cela fait quatre ans que le gouvernement de mon pays se dirige vers l’autocratie.

PREMIER MINISTRE ET GUIDE VERS LA TYRANNIE

Je me souviens que cela a débuté tout doucement après la victoire aux élections de 2010 du parti de Viktor Orban qui avait alors obtenu une majorité de 2/3 au Parlement. Par la suite, j’ai réalisé que la section d’infos de la radio d’État que j’écoutais commençait à citer le Premier ministre à tout moment et quelque soit le sujet. Je me demandais alors comment un seul homme pouvait être un expert de tous les sujets.

Ensuite est arrivée la loi contre la liberté des medias en 2011, la loi sur la retraite anticipée des juges et le changement des modes de scrutin en 2012, la nouvelle Constitution en 2013, controversée et qui est allée de pair avec l’insertion des alliés du parti du gouvernement dans la cour constitutionnelle. Pendant ce temps le ministre des Finances transformait son bureau en direction de la Banque Nationale de Hongrie et le gouvernement s'affairait à centraliser le système d’éducation du cercle des éditeurs des manuels élémentaires à celui des dirigeants universitaires.

La liste continue. En janvier 2014, Orban signait un contrat avec la Russie sur la construction de réacteurs nucléaires, révélé au public seulement après la signature, évitant le travail du Parlement et des experts sur sa nécessité et son utilité. Je l'ai appris dans les médias une semaine après mon déménagement en France, et j’ai décidé de rester à l’écart de la politique hongroise pendant un moment, alors qu'elle s'engouffrait dans une spirale infernale.

Les élections législatives hongroises se sont tenues en avril 2014, et le parti du gouvernement, le FIDESZ [Union civique hongroise, ndlr], a été réélu, conservant la majorité de 2/3 au Parlement. Cela suppose que la Hongrie est satisfaite de sa nouvelle direction et qu'elle se tient prête à continuer avec elle. Comme une bonne citoyenne j’ai replongé dans la politique avant les élections et ai étudié les programmes de chaque parti afin de faire le choix le plus responsable. Il se trouve que le FIDESZ, le parti de Viktor Orban, n’avait pas de programme. Il disait simplement qu'il allait poursuivre le travail qu'il avait entamé en 2010. Ceci dit, M.Orban nous a tout de même dévoilé ses intentions dans son infâme discours de Tusvanyos prononcé le 26 juillet.

Une question évidente apparaît aux lecteurs : pourquoi le Premier ministre parle-t-il de ses intentions politiques en Roumanie plutôt qu’en Hongrie ? Une leçon d'histoire est nécessaire.

DERRIÈRE LES FRONTIÉRES

Après la première guerre mondiale la Hongrie a perdu les 2/3 de son territoire qui sont allés aux pays voisins, laissant des minorités ethniques dans chaque pays, la plus grande étant située en Roumanie. Tusvanyos est un festival annuel organisé à Tusnadfürdo, où les jeunes et les plus âgés se rassemblent pour défendre notre précieuse identité hongroise. Outre les concerts, les tables rondes et les discours sociaux-politiques font partie intégrante du programme. Orban lui-même est là chaque année depuis ses débuts en politique qui remontent à 1990.

L’année dernière j’ai assisté à ce festival, et je me suis sentie différente en tant que Hongroise venant de Hongrie. Malgré le fait que nous avions tous la même identité nationale, certains jeunes m’appelaient « la fille hongroise » et certaines personnes âgées ont fait preuve de méfiance envers moi. J’ai senti que notre héritage culturel et politique a malheureusement créé un écart entre nous, même si nous partageons la même langue maternelle.

La situation de certaines minorités favorise le développement d'idées politiques nationalistes. Cela est vrai pour les Hongrois qui vivent en Roumanie : en effet, une grande majorité d’entre eux soutiennent le FIDESZ. Ce n’est donc pas étonnant qu’Orban préfère parler de sa vision politique dans cette atmosphère amicale. En bonus, il peut faire campagne à cette occasion, et ce depuis que les Hongrois possédant une double nationalité et résidant en dehors du pays  sont autorisés à voter aux élections parlementaires, décision prise en 2011.

UNE DÉMOCRATIE ANTILIBÉRALE

Dans son discours, Orban affirme que la compétitivité d’un pays est basée sur la forme de l’État plutôt que sur sa politique économique, citant en exemples de prospérité Singapour, la Chine, l’Inde, la Russie et la Turquie, et suggérant que le succès de ces pays est basé sur les valeurs de leurs sociétés.

Orban prétend que le modèle européen de démocratie libérale ne fonctionne pas, et qu’il a ainsi l’intention de réformer la Hongrie en la transformant en « démocratie antilibérale ». Dans ce modèle, le principe qui organise la société n’est pas la liberté de l’individu mais le besoin de la communauté. Le premier ministre affirme également que le modèle de l’État providence a prouvé son inefficacité, et que pour l'Europe, la solution se trouve dans le modèle « du travail obligatoire ».

Quel est donc le problème de la liberté selon M.Orban ? Ce dernier affirme que la liberté n’a pas de limites dans les États libéraux – comme s’il n’avait  jamais entendu parler des droits fondamentaux ou qu’il ne pensait pas que le système légal fonctionnait. Plutôt que de réformer ces institutions qu'il juge insatisfaisantes,  il souhaite étendre le rôle de l’État. Cela ne traverse même pas son esprit que l'implication de la société civile dans la vie publique pourrait être bénéfique pour notre pays. Il préfère affirmer que les organisations non-gouvernementales regroupent des militants politiques qui sont à la botte des intérêts de groupes étrangers.

LA PAUVRE HONGRIE FACE AU DIABLE EUROPÉEN

Je me demande si Orban considère également l’Union européenne comme un groupe aux intérêts étrangers. On dirait bien vu la façon dont il en parle en Hongrie. Les « bureaucrates de Bruxelles » est en effet devenue l’expression standard de ses discours lorsqu’il se réfère aux forces dirigées contre la Hongrie et qui menacent notre liberté.

À Tusvanyos, Orban a affirmé ne pas être contre l’Union européenne – c'est juste qu'il s’en fiche complètement. Il pense que les décisions de Bruxelles portent préjudice à notre pays, sinon il ne dirait pas que les fonds de l’Union européenne devraient - et seront - gérés par des employés officiels de l’État hongrois au lieu de l’Union européenne.

Orban est insatisfait certes, cependant la Hongrie semble assez bien se porter grâce à Bruxelles. 97% des investissements publics ont notamment été financés par l’Union européenne entre 2009 et 2011. La Lituanie arrive en second dans la course « vivre de l’argent de l’UE » avec 80%, alors que la moyenne s'élève à 10% - comme cela a été publié dans un journal hongrois l’année dernière. La tendance se poursuit en 2014, et la Hongrie sera l'un des gagnants de la grande course aux financements de l’Union européenne pour la période de 2014 à 2020.

Le spectacle peut donc continuer – nous prenons l’argent de Bruxelles, le dépensons dans des investissements spectaculaires, et nous clamons que c’est grâce à notre bon gouvernement. Tout le monde est content et pendant ce temps, Orban reste au pouvoir. Heureusement, l’Union européenne est encore un système démocratique. C'est pourquoi elle refuse d'envoyer les fonds validés pour 2014-2020 pour la Hongrie, parce qu’elle s’inquiète du nouveau cadre institutionnel qui les manipule.

Cela ne semble pas perturber M.Orban qui préfère parler de sa démocratie antilibérale au lieu de réformer notre système. La raison de cette confiance pourrait venir de notre nouvelle amitié avec la Russie, datant de la signature de notre contrat de construction de réacteurs nucléaires. Ce contrat rend la Hongrie dépendante de l’énergie russe et causera à long terme un sérieux endettement envers la Russie. Pour que le spectacle continue, il faut de l’argent, peu importe d’où il vient. Apparemment Viktor Orban ne craint pas que « les bureaucrates de Moscou » menacent un jour notre liberté.

« NOTRE TEMPS VIENDRA »

Orban termine son discours par ceci : « A l'avenir, tout peut arriver, et il est difficile de définir ce tout. Cela peut arriver facilement, ou tout peut arriver, notre temps viendra. »

Il devrait parler de « son temps » à lui et non de « notre temps », puisqu’il décide de tout, sans débat ni discussion. La démocratie, qu'elle soit libérale ou non, n'existe pas dans un pays où le parti politique au pouvoir refuse de débattre avec ses rivaux avant les élections. Tout comme il n’y a rien de démocratique chez une personne qui annule une visite d'une université parce que le discours qu'elle y fera ne peut qu'être suivi d'un débat ouvert. En effet la démocratie individuelle n’est rien d'autre que la bonne volonté d’être questionné sur ses opinions et accepter celles des autres.

Si nous les Hongrois voulons vivre dans une démocratie et rester au sein de l'Union européeene, il faut se rappeler qu'il n’y a pas de « notre temps » avec Viktor Orban. Mais, si nous préférons abandonner notre libre arbitre pour suivre la vision d’une personne dans l’espoir de vivre heureux pour toujours, nous pouvons nous joindre à lui, encore et encore, et laisser son temps à lui arriver.

Avec ce discours, Orban décrit explicitement sa vision du monde. Maintenant, il incombe aux citoyens de faire leur choix.

Translated from The Infamous Illiberal Democracy of Viktor Orbán