La cuisine néerlandaise : une histoire qui manque de goût
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Louis DumauxPourquoi la nourriture néerlandaise est-elle si insipide ? Le stamppot, le kroket, et même le tristement célèbre kapsalon s'avèrent révélateurs d'un aspect de la culture des Pays-Bas : son aversion pour la prétention, qu'on peut faire remonter à l'époque de Calvin.
À moins d'avoir passé un temps considérable aux Pays-Bas, il y a peu de chance que vous connaissiez la cuisine néerlandaise, et sans doute à juste titre. Avouons-le : des pommes de terre et des légumes bouillis et réduits en purée, avec éventuellement un peu de sel et de poivre pour l'assaisonnement – la composition de base du stamppot, plat ultra-néerlandais – ne vendent pas des masses de livres de cuisine et ne poussent certainement pas à faire la queue devant les restaurants.
Du snert (soupe aux pois) et boerenkoll (du chou kale avant qu'il soit cool) aux sandwichs composés d'une unique tranche de fromage (franchement, qui a besoin d'autres garnitures ?), la cuisine néerlandaise traditionnelle est insipide – et je pèse mes mots. Et le plus étrange, c'est qu'on ne comprend pas vraiment pourquoi. À l'époque du développement des cuisines nationales (les traditions culinaires française et italienne trouvent par exemple leurs origines aux XVIe et XVIIe siècles), les Pays-Bas étaient non seulement l'un des États les plus riches et connectés d'Europe, mais en plus ils s'employaient à la construction d'un immense empire commerçant basé essentiellement sur le commerce des épices. Mais comment un pays qui a autrefois tenté de coloniser la moitié de la planète pour se procurer piments, cardamone et clous de girofle a-t-il pu finir avec ça :
Ou ça ?
Pour répondre à la question, il faut se pencher plus avant sur l'histoire du pays. Et il s'avère que les repas copieux d'antan que beaucoup de Néerlandais considèreraient aujourd'hui, non sans nostalgie, comme « typiquement traditionnels », ne sont arrivés sur le devant de la scène qu'assez récemment, popularisés tout au long des XIXe et XXe siècles.
Au cours du XIXe siècle, les Pays-Bas ont progressivement perdu leur statut de force navale et commerciale majeure. Ce faisant, leur économie a forcément beaucoup souffert. C'est aux alentours de cette époque qu'un nouveau livre de cuisine intitulé Aaltje : La Cuisinière sensée et économe (traduction non-officielle, ndlr) a connu un succès retentissant. Contrairement à ses prédécesseurs dont les pages détaillaient de fastueux repas que seuls les riches pouvaient se permettre, Aaltje se démarquait par ses recettes simples et abordables. Mais surtout, ce livre a introduit les éléments qui formeront par la suite la combinaison incontournable de la cuisine néerlandaise : légumes, viande et pommes de terre.
Pendant la révolution industrielle, des femmes de la classe moyenne lancent un mouvement qui promeut alors des habitudes alimentaires saines et à bas prix à destination des classes ouvrières. En conséquence, une cuisine sobre et sans prétention se propage dans toutes les couches de la société par le biais des huishoudscholen – les écoles d'arts ménagers. Au début du XXe siècle, un événement surprenant se produit : les huishoudscholen, qui s'étaient appropriées cette nouvelle façon de cuisiner, deviennent extrêmement populaires auprès des filles des classes moyennes, et bientôt, presque tout le pays se met à faire de la purée de chou rouge et de patates, baignée dans une sauce basique.
Pourtant, les premiers signes d'amour des Néerlandais pour la cuisine simple se manifestent bien avant le XIXe siècle. Tandis que les chefs français élaborent les nouveaux délices qui se retrouvent vite au centre des préoccupations de l'aristocratie, la cuisine néerlandaise conserve encore de nombreuses techniques médiévales bien après le début du XVIIe siècle. Et bien que, parmi l'élite, nombreux soient ceux à imiter la mode française, les Néerlandais sont beaucoup à s'enorgueillir de la relative simplicité de leurs plats. Les poètes font l'éloge de leur nature saine et de leur sobriété par rapport à l'extravagance française, et comparent fièrement la vertueuse « rudesse » néerlandaise au raffinement et à l'artifice français.
Un poème de Jacob Westerbaen illustre la façon dont la nourriture simple et rustique a été associée à l'honnêteté du travailleur néerlandais, et les délices onéreux à l'oisiveté aristocratique. Ce poème raconte l'histoire d'un Néerlandais ordinaire du nom de Kees, qui travaille dur et qui mange avec joie son pain au fromage après une journée de labeur. Le plaisir simple de Kees est mis en contraste avec l'apathie du riche Tijs, qui mange des perdrix goûtues mais qui n'en tire aucune joie parce qu'il n'a jamais faim.
« Rester simple, c'est bien assez fou »
Si vous demandez à un Néerlandais pourquoi il aime les plaisirs simples, il se peut qu'il en attribue la raison au calvinisme. Cette forme stricte du protestantisme, qui a longtemps dominé aux Pays-Bas, nous a supposément rendus avares et méfiants envers toute forme de plaisir excessif, perçu comme la voie du péché. Mais, à vrai dire, cela n'est pas tout à fait vrai. Quiconque aura déjà traversé la mer orange de fêtards alcoolisés le jour du Roi (fête nationale du royaume des Pays-Bas, ndlr) ou contemplé les noceurs aux joues rosées des peintures de l'âge d'or néerlandais sait que le plaisir, le confort et la jouissance sont loin d'être tabous aux Pays-Bas. On boit. On mange. On festoie. C'est juste que, ce faisant, on se fiche un peu de paraître sophistiqués.
Calvin le dit lui-même : « Que chacun vive selon sa situation respective, que ce soit pauvrement, moyennement, ou généreusement » (traduction non officielle), a-t-il écrit dans Institution de la religion chrestienne (1536). Le péché ne résidait pas dans la jouissance du luxe, mais dans le fait de vivre dans une position plus haute que la vie ne nous avait attribuée, et prétendre que nous valions plus que nous n'étions.
Pour le Néerlandais protestant et – à l'écrasante majorité – issu de la classe moyenne, c'était précisément ce que ces snobinard d'aristocrates français faisaient, avec leurs mets extravagants et artificiels. Cette aversion pour la prétention semble être restée. Évidemment, les palais des Néerlandais ne sont peut-être plus aussi insensibles qu'auparavant – les kebabs au sambal ont depuis longtemps détrôné le stamppot en popularité – et nous pourrions même apprécier quelques innovations culinaires de-ci de-là, même si c'est du kapsalon (un mélange de kebab, frites, fromage et sauce à l'ail de 1500 calories, avec un peu de laitue pour le côté diététique).
Mais notre amour pour la simplicité, en opposition à l'élaboré, reste inchangé. Comme le dit l'adage néerlandais : « Doe maar gewoon, dan doe je al gek genoeg ». Restez simple, c'est bien assez fou.
Et mangez un bitterbal.
Translated from The under-seasoned riddle of Dutch cuisine