La « coca-colonisation » de la culture européenne
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marie hugonL’hégémonie de la culture américaine en Europe suscite une certaine rancœur à l’encontre de l’Amérique. Pourquoi le vieux continent continue-t-il à importer des produits américains ?
Dans un roman de 1881, Portrait of a Lady, Henry James, écrivain américain expatrié, développe une analyse des différences culturelles de son époque entre l’Europe et les Etats-Unis. L’Europe est incarnée par Gilbert Osmond, un américain qui a grandi en Europe, corrompu par l’argent et la noblesse du vieux continent. L’Amérique naissante est, par contraste, incarnée dans le personnage principal féminin, Isabel Archer, un être fier, indépendant et néanmoins assujetti aux excès de cette vieille Europe. Les relations entre les deux personnages ne sont pas bonnes largement du fait de leurs différences culturelles.
Cent vingt ans plus tard, l’Amérique est le partenaire dominant de ce mariage géographique. Cett supériorité explique-t-il la rancœur manifeste exprimée dans sentiment anti-américain des Européens du XXIème siècle ?
Echange de rôles
A l’époque du roman d’Henry James, l’Amérique considérée comme une terre d’opportunités, se trouvait toujours sous l’influence de la culture européenne. Aujourd’hui l’équilibre des pouvoirs est inversé : c’est la « Vieille » Europe qui se trouve culturellement « dénaturée » par son jeune – et plus puissant - cousin. Depuis le boom industriel des années 1920 et la poursuite du rêve américain, « l’ american way of life » ne s’est pas seulement exportée en Europe. Elle domine aussi le monde entier. La raison en est simple : l’argent.
Les Etats-Unis ne sont pas seulement les plus gros consommateurs du monde, ce sont aussi les plus gros producteurs. Ils hébergent donc les sièges des entreprises les plus puissantes. Les statistiques sont impressionnantes. Des compagnies automobiles comme Ford ou General Motors génèrent des bénéfices plus importants que l’ensemble des Produits Nationaux Bruts (PNB) de tous les pays d’Afrique sub-saharienne réunis*. Ces bénéfices sont réinvestis dans la conquête de nouveaux marchés. Et par conséquent, les produits américains, et les symboles qui leurs sont associés s’enracinent dans le quotidiens des personnes vivant hors des Etats-Unis.
Une logique flagrante en Europe. En se promenant dans la rue, nous sommes entourés de marques américaines : de la Visa de notre portefeuille au Big Mac dans notre main. Une grande part des émissions de télévision, des disques, des vêtements ou des logiciels que nous consommons sont importés des Etats-Unis, de même qu’un grand nombre de slogans publicitaires. Les langues adoptent de plus en plus d’américanismes : on achète un « cheeseburger » à Paris ou on «< i> dricka en Milkshake » à Stockholm. Malgré les tentatives de l’Académie française pour freiner cette invasion culturelle, préférant « baladeur » à « walkman< /i> » ou «Mercatique » pour « Marketing », ou l’action du gouvernement français pour imposer un quota de chansons de langue française à la radio, il est impossible de lutter contre la toute puissante civilisation de l’Oncle Tom.
Pouvoir et Insularité
L’omniprésence de la culture américaine en Europe n’est pas la seule raison de l’antipathie que ressentent les Européens à l’encontre des produits et de l’idéologie américaine. Car ces importations enrichissent aussi notre vie quotidienne. L’anti-américanisme proviendrait plutôt du fait que l’échange n’est pas réciproque. La culture américaine envahit notre univers, mais du fait de leur puissance, les Etats-Unis se suffisent à eux-même et n’ont aucun besoin de la culture européenne. L’Histoire nous enseigne de quelle manière la domination peut susciter le ressentiment, comme le démontrent les sentiments passés à l’égard des Empire romain , napoléonien, ou plus récemment du colonialisme britannique. L’hégémonie culturelle américaine ou la « coca-colonisation » de la culture européenne par le biais du vocabulaire expliquent les raisons de cette hostilité grandissante à travers le continent.
Si l’isolationnisme américain est particulièrement exacerbé lorsque qu’un chef d’Etat comme Georges W. Bush est au pouvoir, un tel phénomène ne date pas d’hier. On peut en retracer l’histoire dans la politique du « Rugged Individualism » -soit l’individualisme « pur et dur » du Président Herbert Hoover à la fin des années 20 - . Par conséquent, l’anti-américanisme qui souffle sur le vieux continent n’est pas seulement le fruit de l’influence américaine sur la culture récente. L’isolationnisme américain ne se limite pas à la culture populaire : c’est un état d’esprit qui, par analogie, peut s’étendre à l’administration américaine actuelle, négligeant la volonté des Nations Unies et refusant de ratifier le protocole de Kyoto.
Mariage de convenance
La perception européenne de la culture américaine est paradoxale – nous profitons tous des petits plaisirs qu’elle prodigue, même si une consommation trop poussée de ces produits pourrait nous amener à renier notre histoire ou nos traditions. A l’instar de l’héroïne d’Henry James, l’Europe devrait se libérer de cette relation déséquilibrée. Mais liée par un mariage de convenance, il lui faut néanmoins se soumettre à ce partenaire dominant.
Translated from The 'Coca-colonisation' of European culture