La bataille pour l'europe : ménage à cinq
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Véronique MazetHabituellement, les débats télévisés entre rivaux politiques ont lieu en tête-à-tête. Quelquefois à trois. Mais la semaine dernière, l’Europe est allée encore plus loin. Les cinq candidats à la présidence de la Commission européenne se sont affrontés dans une sorte de grondement politique royal. Notre schéma traditionnel gauche-droite peut-il gérer un tel chaos ?
Pendant des siècles, notre analyse de la politique s’est basée sur le rapport gauche-droite. Ce schéma a pour origine l’Assemblée nationale française de 1789. Les soutiens du roi se tenaient à la droite du Président, et les partisans de la révolution à sa gauche. Cette opposition binaire favorise une sorte de tension conflictuelle qui motive les politiciens. Mais que se passe-t-il quand l’opposition n’est pas binaire ? Quand nous avons cinq factions, comme dans le second débat pour la présidence de la Commission européenne ? Un monstre à cinq ailes va-t-il en sortir ? Ou bien le binôme traditionnel aile gauche - aile droite sera encore de rigueur ?
L’ÉCONOMIE
Les problèmes économiques ont à plusieurs reprises menacé de détruire la zone euro depuis les débuts de la crise en 2007. Aussi ce ne fut pas une surprise que l’économie ait dominé le débat. Une division très traditionnelle entre la gauche et la droite a ouvert la conversation : Alexis Tsipras (Parti de la gauche européenne), Ska Keller (Les Verts européens), et Martin Schulz (Parti des socialistes européens) d'un côté pour la gauche, et Guy Verhofstadt (Démocrates libéraux) et Jean-Claude Juncker (Parti populaire européen) pour la droite.
LA GAUCHE SE DÉCHAÎNE
Les trois de gauche ont tapé sur l’austérité. « Ce qui s’est passé en Grèce n’est pas un succès mais une tragédie sociale qui ne doit pas se répéter en Europe », a rugi Tsipras. Ils ont tous condamné l’austérité, la considérant comme la cause du chômage chez les jeunes. Martin Schulz, le Président sortant socialiste du Parlement européen, a tiré la sonnette d’alarme avec empathie pour les six millions de jeunes européens sans emploi : « ils sont en train de payer pour d’autres qui ont causé la crise, leurs chances dans la vie et leur futur vont en pâtir », a-t-il grondé à travers sa charmante petite barbe à la Karl Marx. Tsipras s’est plaint que l’UE ait fait passer les banques avant les jeunes : « l'UE a trouvé des liquidités pour recapitaliser les banques, mais nous n’avons pas pu trouver d'argent pour donner des emplois aux jeunes ». Les solutions à gauche ? Tsipras réclame un dépréciation des dettes. La verte Ska Keller propose des emplois verts. La panacée de Schulz, c'est de s’attaquer à l’évasion fiscale.
RETOUR DE LA DROITE
Et à droite ? Moite, suant de rage, présentant un signe rare mais bienvenu d’animation et de vitalité comme une performance d’acteur moribond, Juncker grogne : « depuis des années je travaille jour et nuit, plus la nuit que le jour, pour garder la Grèce dans l’euro ». Verhofstadt a aussi agité la main, comme pour chasser Tsipras à la chevelure ondulante. « En Grèce et en Italie, ce n’était pas un problème de banques, mais une mauvaise politique de vos partis », a-t-il poursuivi. Verhofstadt n’utilisera pas le gros mot, mais il fera fortement allusion à l’austérité. « Vous avez besoin d’une discipline fiscale, sinon il n'y a pas de croissance possible… et cela veut dire pas de nouvelles dettes. »
Leurs solutions ? Le libéral Verhofstadt propose sans surprise la libéralisation du marché unique. Juncker place ses espoirs dans le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), qui selon lui donnerait à chaque Européen 545 euros. Keller et Tsipras y sont farouchement opposés parce qu’il a été discuté secrètement et qu’il renforce les droits des multinationales sur les États. Par exemple, les sociétés américaines pourront poursuivre les gouvernements de l’UE s’ils estiment que la concurrence est déloyale et que les sociétés américaines n’ont pas un accès égal au marché.
Les trois candidats de gauche proposent une politique commune pour un salaire minimum européen et la taxe Tobin. Juncker est le seul des candidats à avoir été sceptique sur la taxe Tobin, alors que Verhofstadt, libéral de toujours, a été le seul à se prononcer contre le salaire minimum européen.
Concernant l’économie, nous avons donc une rassurante et traditionnelle opposition gauche-droite.
LA CRISE UKRAINIENNE
Cette question a divisé les candidats de la gauche. Pour Alexis Tsipras, des sanctions conduiraient l’Europe et la Russie vers une nouvelle guerre froide. Ska Keller s’est ralliée à la cause de Juncker et de Verhofstadt, qui ont réclamé des sanctions économiques sévères contre la Russie pour résoudre la crise actuelle en Crimée.
Verhofstadt a lu une lettre du génie des échecs et activiste Gary Kasparov, appelant l’Europe à se mobiliser contre les actions de Poutine dans son pays voisin. Par contre, Juncker veut que l’Europe soit un « soft power », une union pacifiste de diplomates : un flower power de droite donc. Bien que les candidats étaient unis dans la condamnation des agissements de Poutine, ils n’ont pas donné de réponses très concrètes. Mais personne n’attend d’eux qu’ils fassent des miracles simplement parce qu’ils veulent être le nouveau Président de la Commission européenne …
Translated from Eurovision ménage à cinq: left, right, left, right… ?