Indépendance de la Catalogne : la vida locale
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Manon Laffargue[Opinion] Celà fait 4 ans que la Catalogne s’est engagée sur la voie de l’indépendance, mais le Gouvernement fédéral de Madrid s’est montré réticent à négocier. Au lendemain d'un vote symbolique pour lequel 2 millions de Catalans se sont mobilisés, répondons à quelques-unes des questions qui se cachent derrière l’agitation qui règne dans cette région côtière ensoleillée.
En 2010, le Tribunal constitutionnel espagnol a déclaré anticonstitutionnels certains articles de la Constitution catalane (Estatut d'Autonomia), récemment rédigée. Cela a soulevé un élan de protestation partout en Catalogne, une région qui s’est historiquement démarquée sur le plan de la langue, de la politique et des traditions culturelles de l’ancienne Castille, l’actuelle Espagne. Pendant des siècles, ces deux régions ont été animées par de violents conflits. Mais aujourd’hui, dans un climat de non-violence et de désobéissance civile, les catalans ont choisi d'accéder à indépendance par des voies légales et démocratiques. Mais que se passe-t-il quand la loi est en faveur d’une institution que ne voit aucun bénéfice à accorder la partition de la Catalogne ? On passe outre, comme l'a fait Artur Mas, le président catalan qui a décidé d'ignorer deux décisions du tribunal constitutionnel de Madrid pour organiser un vote symbolique auquel ont participé 2 millions de Catalans, dimanche 9 novembre. Près de 80% des votants aurait voté en faveur de l'indépendance selon les résulats provisoires publiés hier.
Les impôts, locos
À la lumière de la crise économique qui a ravagé le paysage espagnol ces dernières années, les Catalans trouvent qu’il y a beaucoup de raisons pour lesquelles leur région devrait se séparer de l’Espagne et gagner son indépendance. De toutes les régions qui se rangent sous la bannière espagnole, la Catalogne est l’une des plus prospères. C’est un poumon économique sur lequel le gouvernement de Madrid compte beaucoup pour ne pas faire défaut sur sa dette. Considérant que la dette espagnole s’élève à 90 % de son PIB, ce n’est pas rien. Selon Jordi Vàzquez, éditeur de l’organisation Help Catalonia, 16 millions d’euros sont versés chaque année dans les caisses de Madrid – c’est bien plus que ce que versent les autres régions – et le bénéfice qu’en retire la Catalogne est moindre.
Et pour beaucoup de catalans en colère, comme lui, cet argent est gâché en dépenses inutiles. Dans certaines zones de l’Espagne, il y a « des autoroutes à six voies pour des villes de 3.000 à 2.000 habitants, et ici nous avons des autoroutes à deux voies pour des villes de 100 000 à 500 000 habitants ». Sans parler des aéroports et des gares. Selon Vàzquez, l’Espagne et le deuxième pays au monde en termes de TGV après la Chine et elle possède dix fois plus d’aéroport que l’Allemagne. La plupart de ces aéroports sont fermés et n’ont même jamais vu un seul avion. Ces aéroports avaient été inaugurés dans le cadre d’une grande initiative du gouvernement espagnol. Les Catalans préféreraient que leurs impôts soient investis dans des projets qui leur profiteraient, tels que l’éducation ou la santé. Pour couronner le tout, les autoroutes en Catalogne sont parmi les seules autoroutes payantes d’Espagne.
Mais ce à quoi les Catalans aspirent par-dessus tout, c’est l’autonomie fiscale, que certaines régions, comme le Pays basque, possèdent déjà. L’autonomie fiscale permettrait à la Catalogne de lever ses propres impôts. Elle en verserait une partie à l’État espagnol mais elle pourrait investir le reste dans des projets dont les Catalans pourraient directement ressentir les effets. Cela leur permettrait de prendre leurs propres décisions, plutôt que de leur donner l’impression que leur argent est gâché. Mais ce n’est qu’une des mesures que le gouvernement de Madrid n’a pas voulu négocier, jetant ainsi de l’huile sur le feu de la partition. Beaucoup de conducteurs ont répondu à ce manque de volonté du gouvernement à négocier en refusant de payer les autoroutes dans une tentative de désobéissance civile.
Parler Catalan, une « action militante »
Les Catalans sont fiers de leur langue. C'est pourquoi la Catalogne a lancé dans les années 1980 une série de réformes éducatives pour faciliter l'assimilation et l'intégration des Catalans qui n'avaient jamais parlé cette langue dans la société catalane. Beaucoup d'écoles ont choisi le catalan comme langue principale des enseignements, en introduisant petit à petit l'espagnol. Il est normal que, faisant partie de l'Espagne, les citoyens catalans soient capables de parler les deux langues. Mais quand le Tribunal consititutionnel a déclaré en 2010 qu'une partie des articles de la nouvelle Estatut d'Autonomia de la Catalogne était non conforme à la Constitution, cela a ouvert la voie à des modifications dans la législation concernant les langues d'enseignement dans les écoles. « Maintenant les parents peuvent exiger que leurs enfants intègrent des écoles publiques qui enseignent uniquement en espagnol », a déclaré la professeure Laia Balcells, d'origine catalane, qui enseigne la science politique à l'Université Duke. « Cela a des conséquences terribles pour l’intégration dans la société catalane », ajoute-t-elle.
Jordi Vàzquez a souligné qu’une de ces conséquences réside dans le changement de perception face à l’utilisation du catalan. « Aujourd’hui, parler catalan est devenue une action militante, parce qu’il y a des personnes qui disent « non, je ne parle pas catalan » Ils pensent ainsi défendre l’unité nationale appelée par les fédéralistes. Mais la langue est un élément indissociable de l’identité catalane. En conséquence, beaucoup de ceux qui considèrent que le catalan est en danger sont devenus indépendantistes.
Un héritage culturel é(n)corné
Pour les défenseurs des droits des animaux, la corrida est un acte totalement inhumain. Pour les Catalans, la corrida est issue de la tradition castillane, et de ce fait elle ne fait pas partie de leur identité culturelle. C’est pourquoi en 2010 le Parlement catalan a interdit la corrida en Catalogne – la loi a pris effet deux ans plus tard. Mais parce que la corrida est considérée comme un élément clé de l’héritage culturel espagnol, les fédéralistes voient dans cette interdiction un affront à l’identité nationale. C’est pourquoi en 2013, les législateurs espagnols ont accepté une pétition qui avait pour but de lever l’interdiction. Depuis, les officiels espagnols ont examiné la légalité de l’interdiction et s’ils parviennent à en démontrer l’illégalité, la corrida fera légalement partie du patrimoine national espagnol. Mais le fait est que l’interdiction de la corrida avait été décidée démocratiquement. Si les Catalans ne sont pas libres de décider pour eux-mêmes sur de telles questions, et s’ils ne peuvent pas décider où vont leurs impôts, ou comment structurer leurs systèmes éducationnels, alors quel espoir reste-t-il pour une démocratie en Catalogne ? Malheureusement, la situation actuelle en Catalogne s’apparente à celle d’un matador castillan narguant un taureau catalan.
Translated from Bull Fight! Madrid vs. Catalonia