Grande-Bretagne : une nation chrétienne ?
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Les hommes politiques britanniques sont souvent réticents quand il s’agit de faire entrer la religion dans le domaine public. Pourtant, les références religieuses se frayent parfois un chemin jusque dans le discours national.
Il y a vingt-huit ans, Margaret Thatcher faisait polémique en justifiant sa politique de libre-échange, guidée par son éducation chrétienne. Tony Blair s’est également penché sur le rôle qu'avait joué sa foi dans sa décision d’envahir l’Irak en 2003. Quant à David Cameron, il profite souvent des jours fériés pour prôner l’union entre Grande-Bretagne et christianisme.
Mais la Grande-Bretagne est-elle une nation chrétienne pour autant ? Il est difficile d’y répondre par un simple oui ou non. Mieux vaut évaluer la présence de la religion dans les différentes sphères de la société.
Quand la foi s’estompe
Le paysage religieux britannique a subi d’énormes transformations : la société chrétienne et assez homogène d’antan a évolué sur un siècle pour finalement devenir plus laïque et multiconfessionnelle (en particulier l’islam et l’hindouisme, ndlr). Pourtant, l’influence historique du christianisme se ressent bel et bien au XXIème siècle.
Malcolm Brown, directeur du département Mission et Affaires publiques de l’Église d’Angleterre (anglicane), justifie cette influence perpétuelle par l’héritage religieux : « Lorsqu’une croyance domine plus de mille ans d’histoire, il est inévitable que les gens prennent pour acquis beaucoup de choses dont les origines se trouvent en fait dans la vision religieuse du monde ».
Pavan Dhaliwal, directrice du département Politique et Affaires publiques de la British Humanist Association (BHA), souligne une contradiction croissante entre les concepts d’une Grande-Bretagne chrétienne et le déclin de la religion sur le long terme. « Pour la majorité des Britanniques, l’attachement culturel est tout ce qui les lie au christianisme », affirme-t-elle. De récentes études montrent qu’en Angleterre et au Pays de Galles, il y a désormais plus de personnes non-religieuses que chrétiennes.
Dans les faits, Dhaliwal sent que le christianisme joue un rôle moins important quant au façonnement de l'opinion du peuple britannique : « Nous vivons dans une société plurielle où un éventail de perspectives s’offre aux citoyens, et cette société est en grande partie non-religieuse. Prétendre constamment le contraire favorise aliénation et division ».
Cette moindre influence se ressent encore plus chez les jeunes. Il a été rapporté que, parmi les 18-24 ans, seulement un sur quatre croit en Dieu. De plus, 41 % s’accordent à dire que la religion est plus souvent une cause du mal dans le monde - et seulement 14 % pensent le contraire. La fréquentation de l’Église anglicane n’a jamais été aussi basse : tandis que les vieux fidèles passent l’arme à gauche, les jeunes générations n’occupent plus ses bancs.
Bien que l’influence chrétienne s’estompe, elle persiste dans les esprits. Un rapport de 2012 publié par le think-tank britannique Theos (ou laboratoire d’idées, ndlr) a révélé que, même chez les non-pratiquants, 28 % croient à la vie après la mort, 21 % aux anges, 22 % en la réincarnation, et 44 % au concept de l’âme. Manque de religion ne signifie pas nécessairement manque de spiritualité.
La base des lois et des valeurs britanniques
Brown convient que les lois et les valeurs britanniques proviennent de la Bible : « Les échos des racines chrétiennes de la législation continueront de façonner les attitudes anglaises, et ce pour un certain temps encore ». Pourtant, en dépit d’être l’une des églises les plus libérales en termes de politique, l’Église d’Angleterre a du mal à suivre les évolutions de la société actuelle : elle est opposée au mariage pour tous, malgré un large soutien de la politique. Ainsi, les lois sur l’avortement, l’adoption, l’homosexualité et le mariage ont changé en dépit de l’opposition ecclésiastique.
« Si nous devons considérer que les valeurs britanniques relèvent de la démocratie, comme l’État de droit, la liberté individuelle, le respect mutuel et la tolérance envers ceux de confession différente, nous pouvons sans aucun doute affirmer que ces valeurs ne sont pas fondées sur la religion », ajoute Dhaliwal. Elle estime que ces usages sont le résultat de l’expérience et de l’héritage communs de l’être humain.
Le rôle de l’église au XXIème siècle
Compte tenu des changements culturels survenus en Grande-Bretagne, quel rôle l’Eglise d’Angleterre doit-elle jouer dans la société actuelle ?
« D’après mes contacts avec d’autres chefs religieux, l’opinion générale est que les croyances se portent mieux dans un pays où la religion est estimée dans les structures politiques, affirme Brown, pas dans une société laïque où les religions sont traitées sur un pied d’égalité… ce qui finalement se révèle impertinent. » Il estime donc que l’église est mieux placée que les politiciens ou les médias pour conduire un dialogue interreligieux, et sensibiliser la communauté islamique.
Allant à l’encontre de cette vision idéale de l’église en tant que force du bien, la BHA préconise la suppression des évêques non-élus à la Chambre des lords, que Dhaliwal considère comme « un exemple manifeste de discrimination, de privilège religieux et de politique anti-démocratique ». Elle soutient que cela ne peut être justifié dans notre société, étant donné qu’il s’agit de « l’enracinement d’une position privilégiée pour une branche particulière d’une religion particulière ».
Compte tenu des conditions des différentes communautés britanniques, qu’elles soient religieuses ou non, le « chrétien » David Cameron met l’Église anglicane sur un piédestal, négligeant ainsi d’autres aspects de la société britannique. Le tissu social du pays a considérablement changé au cours du siècle dernier, mais les vestiges de l’héritage chrétien sont en grande partie intacts. Comme le disait Rowan Williams, ancien archevêque de Canterbury : la Grande-Bretagne est « hantée » par le christianisme.
Translated from Britain: A Christian nation?