Görlitz revenue d'entre les morts
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Sophia AndreottiDe nombreuses villes est-allemandes ont été désertées par leur population après 1989 – à l’image de Görlitz qui prend de plus en plus des allures de cité fantôme. Depuis quelques années pourtant, de jeunes créatifs tentent d’infléchir le destin de la ville saxoise.
Zgorzelec ressemble à la ville polonaise typique avec ses immeubles anciens au charme pittoresque que côtoie une myriade de panneaux publicitaires criards. La rue principale est pavée de bureaux de tabac et débouche sur le pont Jean-Paul II qui enjambe la Nysa – un mélange détonnant de profane et de sacré, comme c’est souvent le cas en Pologne. En traversant le fleuve, on rejoint la ville allemande de Görlitz. La frontière n’est que symbolique mais le changement de décor est bien visible. Le goût très allemand pour l’ordre et les enseignes ornées de l’écriture gothique nous confirment qu’on a bel et bien quitté le territoire polonais. La rue principale de cette petite ville saxoise paraît tout droit sortie d’un décor de western et avec leurs vitrines brisées, les boutiques semblent avoir été dévalisées par une horde de cow-boys...
Pour comprendre les raisons d’un tel déclin, il faut remonter à l’année 1989 et à la chute du Mur de Berlin : “10 000 personnes qui disparaissent d’un seul coup, ça ne passe pas inaperçu”, se souvient Daniel Breutmann, président de l’association goerlitz21. Autrefois, les habitants de République démocratique fuyaient vers l’Ouest pour échapper aux privations du régime communiste. Après l’effondrement du bloc soviétique, le nombre de départs a carrément explosé, faisant perdre à l’Allemagne de l’Est près de 2 millions d’habitants, soit 13 % de sa population. Avec l’effondrement de l’industrie et des infrastructures est-allemandes, de nombreux bâtiments administratifs et usines ont cessé de fonctionner. “Parfois les gens s’introduisent dans ces lieux désaffectés uniquement dans le but de récupérer de vieux encadrements de portes”, raconte Daniel. De son côté, Zgorzelec est restée relativement épargnée. La ville polonaise n’est pas confrontée à l’hémorragie de population qui touche sa voisine allemande.
Espaces vides
Pour en finir avec les cambriolages et les actes de vandalisme qui secouent Görlitz, Daniel et son association ont rejoint le projet participatif “Leerstandsmelder” qui recense des bâtiments et des logements vacants dans toute l’Allemagne. Sur le site du projet, les internautes peuvent signaler ou localiser un lieu laissé à l’abandon ; goerlitz21 assure la position d’intermédiaire et met les locaux à disposition des intéressés. Quelques demandes sont venues de la chaîne de télévision franco-allemande Arte et des célèbres studios de cinéma Babelsberg. L’association reçoit également des propositions de particuliers ou d’entreprises à la recherche d’un entrepôt ou d’un local commercial. “À Görlitz, on connaît surtout la Stadthalle, l’ancienne usine ferroviaire de Schlauroth ou l’usine de condensateurs, mais il subsiste un parc immobilier dont les gens ignorent encore l’existence”, constate Daniel.
L’ancien entrepôt frigorifique de Görlitz, la “Kühlhaus”, est un bel exemple de réhabilitation. Construit dans les années 1950, rénové peu avant la chute du Mur, cet édifice servait autrefois au stockage de denrées périssables. Après le tournant de 1989, il a été laissé à l’abandon, se délitant un peu plus chaque année... Jusqu’à ce qu’en 2008, un groupe de jeunes de la région à la recherche d’un espace événementiel jette son dévolu sur ce lieu atypique. Avec ses dimensions gigantesques, son grand jardin et son emplacement idéal – éloignée du centre mais desservie par les transports en commun –, la Kühlhaus attire une faune d’artistes, de clubbeurs et de hipsters dans une ville où, à l’inverse de Berlin ou Varsovie, les lieux alternatifs se font rares.
À l’époque, l’endroit était en piteux état : vétuste du sol au plafond, envahi par les mauvaises herbes, le toit et les fenêtres à moitié détruits, il a fallu “faire du neuf avec du vieux”, se souvient Nadine Mietk. “En ce moment, je repeins les cadres de fenêtres”, raconte la jeune femme. Ce jour-là, 16 volontaires aident à la rénovation du bâtiment, s’affairant parmi les odeurs de solvants et de peinture. Apposée à un mur, une ancienne étagère d’école surplombe des meubles de style rétro et un vieux poste radio – de quoi ravir les amateurs de vintage.
La jeunesse met la main à la pâte
Paradoxalement, ce sont ces lieux en ruines qui offrent une nouvelle jeunesse à Görlitz. “Ils représentent un potentiel énorme pour les créatifs et les jeunes”, estime Juliane Wedlich l’une des responsables de la Kühlhaus. “Il y a ici assez de locaux libres et bon marché pour héberger des projets culturels et économiques alternatifs.” En 2012, l’équipe de la Kühlhaus a organisé la première édition du MoxxoMOpenair, un festival électro devenu incontournable. Récemment, les organisateurs ont même obtenu le soutien de la fondation Robert Bosch.
Avec son initiative citoyenne “Jugend. Stadt.Labor Rabryka”, l’association Second Attempt contribue elle aussi à redorer l’image de Görlitz en s’efforçant de lutter contre le sentiment d’isolement qui plombe la jeunesse est-allemande. “Nous souhaitons encourager les jeunes à lancer leurs propres projets”, explique Erik Thiel, un bénévole. “Pour prendre le contrôle de son existence et réaliser ses rêves, il faut mettre la main à la pâte !” Le projet a vu le jour lors du festival Fokus qui réunit de jeunes Polonais et Allemands.
Depuis, les membres de Rabryka ont investi l’ancienne usine d’énergie de la ville : si les tanks et les rails évoquent le passé industriel du lieu, les graffitis au mur sont signe de renouveau. Rénovation, jardinage urbain, musique, les volontaires de Rabryka imaginent le Görlitz de demain : “C’est un laboratoire d’idées dont l’objectif est de réinjecter de la vie à Görlitz”, explique Erik. L’association travaille avec le soutiende jeunes, de partenaires financiers et de responsables politiques locaux. Elle collabore aussi avec sa voisine Zgorzelec : “La plupart des événements ont lieu dans les deux langues”, souligne Inga Dreger, l’une des responsables de Second Attempt. “La relation germano-polonaise n’est pas centrale, mais elle va de soi dans ce contexte frontalier.”
Malgré l’enthousiasme à toute épreuve des membres de goerlitz21, de la Kühlhaus ou de Rabryka, réveiller une ville d’entre les morts n’a rien du parcours de santé. Heureusement les barrières bureaucratiques ne sont pas insurmontables. “Ces dernières années, les relations avec la municipalité se sont sensiblement améliorées”, constate Juliane Wedlich de la Kühlhaus. “Les mentalités évoluent, même si c’est parfois trop lent à notre goût. Nous aimerions que nos édiles prennent conscience de l’opportunité que représentent ces bâtiments vacants qui sont une chance pour les jeunes créatifs.” Erik Thiel ajoute : “L’espace ouvre toujours des possibilités. Mais cela comporte aussi ses problèmes : le gros œuvre, l’insonorisation ou la réglementation anti-incendie par exemple.” Rien qui ne suffise à effrayer Erik, Juliane et les autres, qui font tout leur possible pour tirer Görlitz de sa torpeur. Bientôt, la rue principale ne ressemblera plus à une rue perdue en plein far-ouest. D’ailleurs, en tendant bien l’oreille, on pourrait presque entendre battre les portes du saloon de la Kühlhaus.
Cette traduction a été rendue possible grâce au soutien financier de l'Office franco-allemand pour la jeunesse/Deutsch-französisches Jugendwerk (OFAJ/DFJW).
Cet article fait partie d'une série de reportages publiés dans le magazine en ligne "Beyond the Curtain". Pour lire le magazine dans son intégralité, c'est par ici.
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Translated from Görlitz, Come From the Dead