Géorgie : la femme invisible
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frédéric césariDans cette région du Caucase, les femmes mariées ont souvent la vie dure : violences, abus sexuels, maltraitance. En cause : l’alcoolisme, la pauvreté et les stéréotypes culturels.
« Avant j'étais l'esclave de mon mari, maintenant je suis esclave de moi-même ». Cette réflexion échappe à Tamuna Gachokidse, dont le regard las reste rivé au sol. Il y a longtemps qu'elle ne parvient plus à exprimer ni joie ni peine. Impossible pour elle de mettre des mots sur ce qu'elle éprouve. A un moment, elle a juste cessé de pleurer, coupant son esprit de la douleur. Pendant 18 ans, cette Géorgienne a subi le joug de son mari, qui l'a frappée, maltraitée, sequestrée et violée.
Le divorce est un déshonneur
A l'instar de cette femme de 35 ans, plus de la moitié des femmes mariées de la république caucasienne souffrent de violences conjugales, selon Lela Gaprindashvili, sociologue à l'université de Tbilissi. « Elles sont victimes de violences dont les causes sont nombreuses. Les plus courantes : l'alcoolisme, le chômage, la pauvreté et le rôle traditionnel des sexes ».
Tamuna Gachokidse, qui se définit elle-même comme une « femme brisée » reconnaît n'avoir jamais eu confiance dans les institutions officielles. Jusqu'à ces blessures infligées par son mari, qui nécessitèrent son admission à l'hôpital avec des côtes cassées et de nombreuses coupures. Depuis un an, cette mère de deux enfants est divorcée, elle ne sait plus qui elle est et ne parvient pas à trouver un emploi. Pour survivre, elle a dû vendre les rares objets qu'on lui avait permis de conserver après la séparation.
En Géorgie, le divorce des femmes est perçu comme un déshonneur, alors que les hommes peuvent en toute impunité quitter leur épouse et se remarier.
Le viol est un délit mineur
« Il existe suffisamment de lois qui visent à protéger la gente féminine. Mais elles ne sont pas appliquées », critique Eliso Amirejibi. Sur sa carte de visite est indiqué ‘Directrice régionale de l'Association contre la violence faite aux femmes en Géorgie’, canton de Tbilissi. Un titre ronflant qui sous-entend des prérogatives que la directrice est loin de posséder, même si sa seule présence ici pourrait le laisser supposer.
« La police n'intervient pas lorsque des violences sont perpétrées à l'égard de femmes », poursuit cette avocate de 40 ans. « La non immixion dans la vie privée des familles est inscrite dans notre tradition. C'est pourquoi personne ne réfère aux autorités les discriminations dont les femmes peuvent être victimes».
Le viol fait ainsi partie des délits mineurs, et une majorité des Géorgiens pensent que, dans le cadre du mariage, tout mari a le droit de disposer de sa femme.
Aucune aide de l'Etat
L'association de défense des femmes siège dans un vieux gymnase. Le plâtre tombe en lambeaux des murs humides. Le linoléum se décolle du sol et la façade est crevassée. Le tremblement de terre qui a eu lieu trois ans auparavant a laissé ici, comme partout ailleurs dans la ville, des traces visibles. Faute d'argent, aucune rénovation n'est en cours.
Ni la commune, ni l'Etat géorgien ne soutiennent le projet. « Les femmes n'ont rien à attendre de l'Etat par ici », déclare Eliso Amerijibi. Les pères n'ont aucune obligation de prise en charge de leurs enfants nés hors mariage. Et même dans le cadre d'un divorce, une femme ne peut se prévaloir de rien à l'égard de son époux.
Nona Aldamova-Dsphapharidse est l'archétype de la femme qui fait carrière. Elle gagne l'argent qui lui permet de faire vivre enfants et mari. Cette gynécologue de 39 ans est issue d'une famille d'intellectuels. Née à Pankisi-Tal, convertie de l'islam à la foi orthodoxe, elle est partie très tôt à Tblilissi pour y étudier, bien que déjà mère.
Il y a cinq ans, elle a créé une structure d'aide aux femmes. « Après l'effondrement de l'URSS, la situation économique en Géorgie s'est dégradée. De nombreux emplois ont été supprimés, ce qui a entraîné un accroissement de la violence dans les familles les plus pauvres », explique-t-elle. « Nombreux sont les hommes qui ne sont plus à même de gagner suffisamment pour nourrir femmes et enfants. Et c’est par la violence qu’ils expriment leur déception et leur frustration ».
L'Europe vecteur d'espoir
Les pays étrangers ne soutiennent guère le combat pour le droit des femmes. Seuls les Américains se montreraient solidaires. « A l'étranger, on croit encore beaucoup à la propagande communiste, qui louait la femme émancipée, actrice d'une société libérée du joug capitaliste », soulignent respectivement Aldamova-Dsphapharidse et Amirejibi.
Pour Eliso Amirejibi, des subsides européens seraient également les bienvenus. « Nous dirigeons l'unique foyer pour femmes de Géorgie.
Et les coûts de fonctionnement sont élevés », précise-t-elle. Les marches sont en béton brut. Les murs semblent avoir perdu depuis longtemps leur tapisserie. La peinture de la balustrade est écaillée. Dans le bureau adjacent, la ligne téléphonique d'urgence sonne. Une voix de femme entrecoupée de hoquets se fait entendre.
Amirejibi quitte le bureau et se rend dans l'une des pièces à côté. Lela qui refuse de donner son nom, est accroupie sur un matelas. Elle a seize ans, et fait partie des sept pensionnaires qui séjournent actuellement au foyer. Son histoire est tragique. Née hors mariage, méprisée par sa propre mère, elle a toujours eu la vie dure chez elle. Elevée par sa tante, elle n'a eu le droit de vivre auprès de sa mère qu'à partir de douze ans.
Dans quelques semaines, elle devra partir. La durée de séjour maximale au foyer est fixée à trois mois. Depuis sa dernière rencontre, en secret, avec son petit ami quatre mois plus tôt, Lela est enceinte. Pas question de retourner dans sa famille. Quand le gynécologue a constaté qu'il était trop tard pour un avortement, la mère a abandonné sa fille en pleine ville sans un mot, et sans argent.
Après quelques jours passés dans une église du centre de Tbilissi, la police, alertée par le prêtre, l'a conduite auprès d'Eliso Amirejibi. Aux murs de la chambre, des posters de stars américaines. De petites étoiles en couleur ornent le mur morne au dessus de son lit. Lela n'est plus une enfant. Elle a cessé de rêver.
Translated from Das Recht, über eine Frau zu verfügen