Gediminas Urbonas « il n'y a pas eu de véritable idéologie communiste en Lituanie »
Published on
Translation by:
audrey duquenneA 40 ans, cet artiste lituanien, ancien soldat soviétique, a passé la moitié de sa vie à ‘sculpter l’espace public’, incitant le monde occidental à comprendre ce qu'a été la réalité de l’idéologie communiste.
Gediminas Urbonas semble absorbé par une montagne de papier posés sur la table d'un café-librairie de Vilnius. Il est entièrement vêtu dans des tons camouflage, possibles vestiges de son passé de soldat pour l'armée soviétique.
Ancien élève de l'académie des Beaux-Arts de Vilnius, Urbonas n'a obtenu son diplôme qu'en 1994, soit près de dix ans après avoir commencé ses études, « forcé de quitter l'université pour servir dans l'armée Rouge ». Urbonas a ensuite profité de la transition de la société lituanienne et de son indépendance acquise en 1991 pour devenir l'un des sculpteurs contemporains les plus en vue du pays.
Dès son retour en Lituanie, Urbonas décide de mettre en place un réseau d'artiste à travers le monde. C’est peu après la chute du Mur de Berlin qu’il commence à explorer les mutations post-soviétiques de la société lituanienne, accompagné de sa femme Nomeda. Depuis plus de 10 ans, Vilnius est le quartier général d'Urbonas. Largement reconnu par ses pairs, son oeuvre moderne et éclectique a été exposée un peu partout en Europe.
Le soldat de l'art
« Ma conscience de citoyen et d'artiste coïncide avec mes croyances politiques », explique Urbonas en rangeant soigneusement ses papiers dans la pochette en peau de chamois à côté de lui avant de reprendre : « et mon art est inévitablement lié à des considérations politiques. Pendant la ‘perestroika’ [le plan du leader soviétique Gorbachev pour restructurer l'économie en 1987], les autorités étaient complètement frustrées. Et jusqu'à l'indépendance en 1991, tout le monde avait peur du ‘monstre KGB’ [la police secrète russe de 1954 à 1991] ».
A l’époque, Urbonas développe des groupes artistiques et s’intéresse aux modes d'expression publique : « le gouvernement acceptait beaucoup de choses », se souvient t-il. «Mais personne ne pouvait imaginer que le ‘système’ était si fragile. Au final, il est beaucoup plus difficile de nos jours de lancer des tribunes d’opinion par le biais de l'art ».
Sculpter l'espace public
Sa manière de traiter l'art, plutôt «musclée », consiste à utiliser des immeubles comme moyen d'opposition au développement du libéralisme en Lituanie. Le procédé ne suscite guère l’enthousiasme des autorités officielles, ni celle des acteurs économiques. « Le contenu des bâtiments ne les intéressait pas », souligne Urbonas. Mais le message pose souvent problème.
Au printemps 2005, la mairie de Vilnius s'oppose ainsi à la création par Urbonas d’une sorte d’atelier ou espace artistique, le ‘Pro-test Lab’, dans un cinéma indépendant, le ‘Lietuva’. L’initiative fait office de forum et de pétition pour sauver le dernier cinéma indépendant de la ville de la démolition qui lui est promise par les investisseurs.
« Ce projet était pour moi la meilleure façon de représenter les amateurs de cinéma à Vilnius. Mais la mairie a considéré que ces personnes étaient sans importance puis m'ont accusé de ‘mettre en scène’ l'intérêt public pour conserver le bâtiment pour mon propre intérêt ».
En 1995, l’artiste avait créé une autre tribune en 1995, le ‘Geležinis Kablys’ [Crochet de fer], un lieu de rassemblement alternatif pour les jeunes, moins orienté politiquement. « L'étude de ces espaces publics et de la rencontre entre différents intérêts étaient finalement devenues plus importantes pour moi que le travail sur les immeubles », confesse Urbonas
Les pigeons lituaniens
« Je n'ai jamais été un génie solitaire du modernisme, planqué chez moi à créer des choses vouées à rester cachées. En tant que sculpteur et citoyen, je suis heureux de pouvoir répondre à de nouveaux défis en matière de construction. Et j'ai toujours travaillé avec un esprit d'équipe ».
Prochain projet du couple Urbonas : un vol de pigeons blancs de Venise à Rome, à l'occasion d’une course internationale des pigeons. « Nous voulions que l'image occidentale du communisme dans les pays post-soviétiques soit reconsidérée. Nous avons remodelé le communisme pour obtenir du pouvoir, des infrastructures et de l'argent. La plupart d'entre nous n'étaient communistes que dans le but d'aider la Lituanie », détaille t-il.
« En participant à la Biennale d'art contemporain de Venise avec le simple voeu que la ‘Villa Lituania’ [l'ambassade lituanienne d'avant guerre à Venise actuellement occupée par la Russie] soit rendue à ses propriétaires, nous voudrions aussi dire au monde que durant l'occupation russe, il n'y avait pas de véritable idéologie communiste en Liuanie ».
Déjà Urbonas se lève.« Notre projet pourrait permettre au monde occidental de revoir son jugement sur les populations post-soviétiques », explique t-il en remettant sa veste. « Les Lituaniens peuvent apprendre beaucoup à l'Europe sur notre histoire, notamment à travers la scène culturelle ».
Translated from Gediminas Urbonas: 'There were no real Communist ideas in occupied Lithuania'