Garbage : « L'Europe a appris la tolérance par nécessité »
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Elodie VeysseyreÀ l'époque de la sortie du premier album du groupe de rock américano-écossais Garbage, en 1995, un Clinton était président des États-Unis. Aujourd'hui, ils sont en tournée en Europe avec leur dernier album Strange Little Birds, et l'histoire ne se répétera pas. Nous avons parlé politique, album indépendant, et James Bond, juste avant que Trump ne trompe leur destin.
cafébabel : Comment trouvez-vous Paris ?
Steve Marker : On est venus ici plusieurs dizaines de fois, mais c'est toujours notre ville préférée. Rien que s'y balader, c'est impressionnant.
Duke Erikson : Troublant !
cafébabel : Comment trouvez-vous la réaction du public français, par rapport aux publics américains ou d'ailleurs ?
Steve Marker : Je n'ai jamais eu l'impression qu'il y avait de grandes différences entre les publics, ni entre les pays. Parfois, les gens sont un peu plus ou un peu moins en forme que la nuit précédente, mais franchement...Les Français sont géniaux, mais autant que les Hollandais ou les Anglais.
Duke Erikson : Je crois qu'il y a une différence dans l'ambiance. En Allemagne, on vous jauge un peu plus, malgré un grand enthousiasme. En France, l'ambiance est plus fervente, et en Espagne encore plus. Mais je suis d'accord avec Steve, la différence est assez faible. Partout dans le monde, les gens réagissent à la musique, surtout à la musique live, et de la même façon.
cafébabel : Vous avez parlé de Paris, y a-t-il d'autres villes européennes que vous affectionnez particulièrement ?
Duke Erikson : J'aime être en Europe de façon générale. J'aime le sentiment d'être dans ce continent qui a une histoire tellement plus profonde que l'Amérique. L'Amérique est jeune, et ça se ressent. Ici, on a l'impression de faire partie de quelque chose de plus...respectable.
Steve Marker : Je pense que de manières différentes, surtout en ce moment, les gens sont plus tolérants ici.
Duke Erikson : En ce moment, partout sur la planète on trouve des gens plus tolérants que là d'où l'on vient.
Steve Marker : Là d'où l'on vient (les États-Unis, ndlr), c'est vraiment effrayant. Je ne sais pas ce qui se passe... Je pensais que nous étions censés aller de l'avant, pas revenir en arrière (et l'interview a été réalisée avant l'élection de Trump, ndlr)
cafébabel : Justement en parlant des élections américaines. L'État du Wisconsin, dont vous êtes originaires, est un état plutôt républicain ou démocrate ?
Duke Erikson : Notre ville d'origine, Madison, est une enclave très libérale au coeur d'un État plutôt conservateur. Mais cette année, je ne sais pas. Rien n'est vraiment sûr.
Steve Marker : Nous avons eu Scott Walker (gouverneur du Wisconsin élu en 2010, et candidat éphémère à la présidence de 2016, ndlr), ce tyran d'extrême-droite sorti de nulle part qui a accédé au pouvoir il y a quelques années. Un homme épouvantable, un précurseur de Donald Trump. Moi, je vis dans le Colorado, qui est un État typiquement conservateur et républicain, mais qui est en train de gentiment pencher du côté démocrate.
cafébabel : Comment vivez-vous le fait d'être sur la route, avec un océan entre vous et les États-Unis, à l'approche des élections?
Steve Marker : C'est vraiment étrange. J'ai réussi à voter juste avant notre départ, mais la nuit de l'élection, nous serons au Danemark. Il risque d'y avoir de sacrées gueules de bois le lendemain.
Duke Erikson : Je vais tout suivre à la télévision. Je vais rester debout toute la nuit.
cafébabel : Pourquoi avez-vous le sentiment que la tolérance est plus forte en Europe?
Steve Marker : Si on met de côté certains passages de l'histoire, je pense que le fait que beaucoup de gens se soient retrouvés sur un petit continent pendant des centaines d'années les a poussés à apprendre à vivre ensemble. C'est ce que je veux dire par tolérance : respecter ses voisins par nécéssité. On dirait que vous avez vraiment réussi à atteindre un consensus. Les Américains, eux, préfèrent expliquer à leurs voisins ce qu'ils doivent faire.
Duke Erikson : Il y a beaucoup d'idées de ce type qui remontent à la surface en ce moment, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, comme aux États-Unis. N'importe quel politicien peut gagner en notoriété, juste en jouant sur cette peur de tout !
cafébabel : Il y a quelques mois, la chanteuse Lily Allen a subi un harcèlement affreux sur Twitter en réponse à ses positions politiques. Avez-vous déja subi ce type de réactions sur les réseaux sociaux ?
Steve Marker : Shirley (Manson, chanteuse de Garbage, ndlr) a ce genre de choses sur Twitter, oui, et c'est incroyable. À chaque fois qu'elle dit quelque chose contre Trump, il y a une armée d'idiots qui se soulève contre elle. Et nous n'avons pourtant pas la même visibilité !
Duke Erikson : Je suis vraiment surpris de voir que les électeurs de Trump lisent les tweets de Shirley. Qui sont ces gens, qui suivent Garbage, mais votent pour Donald Trump ? Je ne comprends pas!
Garbage - « Empty »
cafébabel : Revenons à votre dernier album Strange Little Birds, et au fait que vous l'avez produit de manière indépendante. Qu'est-ce qui vous a poussé à le produire de cette façon et en quoi cela influe-t-il selon vous sur la démarche de création ?
Duke Erikson : Une des raisons pour lesquelles nous avons fait une longue pause (de 2005 à 2012, ndlr) était notre déception par rapport au monde de la musique. Ce n'était plus sympa. On a ressenti une pression extérieure, qui nous poussait à faire un certain type de musique, et on ne se sentait plus maître de nos carrières ou même de notre musique. Ça nous a vraiment touchés. Faire des choses pour nous a vraiment été efficace. Ça nous a enlevé beaucoup de pression au studio, personne ne venait vérifier notre avancement, ce qui est très désagréable. Cela signifie un peu plus de responsabilité, car on doit gérer des budgets parfois, et on est pas très bons là-dedans, mais c'est une manière complètement différente de travailler.
Steve Marker : Je ne vois aucune raison pour laquelle on voudrait revenir en arrière. Le marché a tellement changé depuis qu'on a commencé. On a été très chanceux de faire ce qu'on a fait à l'époque, quand la musique était un secteur dynamique, mais ça a commencé à dégénérer et les gens sont devenus très pessimistes parce qu'ils ne gagnaient plus assez d'argent. C'était nul. Si nous commencions aujourd'hui, on serait juste comme tout le monde, un groupe difficile à trouver, parmis 10 millions d'autres sur le Net.
cafébabel : Vous avez déclaré que le nouvel album transmettait une émotion très « romantique », mais aussi une bonne dose de « noirceur ». Ces deux émotions ne sont-elles pas difficiles à concilier ?
Duke Erikson : Je ne pense pas que nous fassions quelque chose de différent que ce que nous avons toujours fait : faire quelque chose de profond, quelque chose qui n'a pas peur de mélanger différents styles de musiques et différentes ambiances. Nous voyons cela comme une expérience humaine, en fait. Je crois que nous avons mieux réussi sur cet album car quand nous l'avons commencé, nous avions tous le sentiment d'aller dans la même direction. Par chance, ce sentiment s'est conforté tout au long de l'enregistrement. Cela a renforcé l'album, et ça l'a rendu encore plus agréable à réaliser.
cafébabel : Vous êtes maintenant partis pour une tournée qui court jusqu'à la fin de l'année. Que se passera-t-il après ?
Steve Marker : Nous parlions l'autre jour du fait qu'il était très important qu'on ne fasse pas de pause après. On est fatigués à la fin d'une tournée, mais on a encore de l'énergie, et prendre six mois pour aller s'allonger sur une plage ou autre chose ne serait pas efficace. On est déja en train de parler d'un nouvel enregistrement, et d'une tournée pour l'année prochaine.
Duke Erikson : L'avantage avec ce cycle, c'est qu'au moment où on finit l'enregistrement, on est impatient de partir en tournée, et au moment où on termine la tournée, on a hâte de revenir au studio. L'un ne va pas sans l'autre.
Le morceau de Garbage pour le film Le Monde Ne Suffit Pas (1999)
cafébabel : Une dernière question...On ne peut pas rencontrer Garbage sans évoquer James Bond. Que pensez-vous des chansons qui ont succédé au film, Le Monde Ne Suffit Pas ?
Duke Erikson : Elles n'ont jamais rattrapé le niveau (rires).
Steve Marker : Je trouve qu'Adele a fait un très bon travail sur Skyfall.
Duke Erikson : Ouais, ils ont réussi à revenir aux James Bond classiques, tout en apportant une vraie modernité.
Steve Marker : On parlait de l'industrie de la musique comme un monde de requins, mais l'industrie du cinéma est mille fois pire. Je me rappelle du nombre de fois où on s'est battus pour notre chanson, où ils ont modifié la composition etc. Il y a tellement de règles. Mais je trouve qu'Adele a fait un super boulot. J'ai l'impression qu'elle l'a fait comme elle avait envie de le faire.
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Écouter : 'Strange Little Birds de Garbage (PIAS/2016)
Translated from Garbage: "Europe has learnt tolerance out of necessity"