Fuir l'extrémisme : comment quitter un groupuscule néo-nazi ?
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Marie EyquemLe thème de l'immigration provoque actuellement des réactions chargées d'émotion chez les Allemands. Tandis que le sujet crée le débat dans la société, les néo-nazis profitent de ce terrain fertile pour répandre leur idéologie. Cependant, certains membres de ces organisations tentent de faire exactement le contraire. Comment parvient-on à rester en vie quand on quitte un groupuscule néo-nazi ?
« À l'époque, je croyais que si tout le monde pensait comme moi, le monde tournerait mieux. Je croyais que c'était la condition sine qua non », nous dit Steven Hartung, 28 ans, ex-néo-nazi, à propos de son ancienne idéologie. Originaire d'un village de Thuringe en Allemagne, Steven s'engage dans un mouvement d'extrême droite à 13 ans.
« J'ai grandi dans un petit village qui compte beaucoup de gens aigris qui adhèrent aux idées de la droite », explique-t-il. À l'âge de 15 ans, simplement partager ces idées ne lui suffit plus. Il décide alors de rejoindre un groupuscule officiel, dont il prend la tête dès ses 16 ans.
D'après l'Office fédéral de protection de la constitution, environ 21 000 personnes en Allemagne sont d'obédience extrémiste et se situent à l'extrême droite du paysage politique. Grâce à EXIT-Allemagne (EXIT-Deutschland en allemand), Steven est l'un des 500 individus qui ont réussi à s'extraire du mouvement néo-nazi.
Une bombe dans un colis
En tant que leader de ce groupuscule, Steven était chargé d'organiser des réunions, de rédiger des courriers et de travailler en réseau avec d'autres groupuscules néo-nazis de part et d'autre de l'Allemagne et du reste de l'Europe. Mais le jeune homme s'est mis à vouloir changer le fonctionnement du groupe, souhaitant que les membres utilisent davantage leur cerveau que leurs poings. Après discussion avec d'autres figures de proue du mouvement, il s'est rendu compte de l'ampleur du problème. Cela l'a finalement conduit à contacter EXIT.
L'organisation allemande aide les personnes aux prises avec un tel extrémisme à trouver une porte de sortie. Elle a été fondée en 2000. Ingo Hasselbach était à la tête d'un célèbre groupuscule néo-nazi lorsque Tom Reiss, journaliste, lui a proposé d'écrire un livre sur sa vie. Ingo a accepté afin de montrer au monde comment il se battait pour son pays. Mais au fur et à mesure de cette entreprise, son point de vue a évolué et il a décidé de quitter le groupe. Le livre ainsi que le film ont de ce fait relaté son départ du mouvement néo-nazi.
Ses partisans n'ont pas beaucoup apprécié sa décision, et lui ont expédié un livre contenant une bombe. Par chance, la batterie était programmée pour durer trois jours, en pleine période de Noël, les services postaux allemands mettront cinq jours à livrer le colis. Quand sa mère a ouvert le paquet, la bombe n'a pas explosé - mais Ingo s'est malgré tout rendu compte des risques liés à la volonté de quitter le mouvement néo-nazi.
Ingo et Bernard Wagner, ancien policier, ont décidé de créer une organisation afin d'assurer la sécurité de ceux qui cherchent à se dé-radicaliser et de leur proposer une aide. Ensemble, ils ont fondé EXIT-Allemagne avec la coopération du magazine Der Stern.
« Ils ont besoin d'une nouvelle guerre »
Le premier pas doit être fait par l'individu, explique Fabian Wichmann, 35 ans, conseiller au sein de l'organisation. Après le premier contact établi par mail ou par téléphone, un programme sur-mesure est mis en place - et l'accent est mis sur la sécurité.
En 2010, Steven a contacté l'organisation et a entamé un processus de retrait du groupuscule, avec Fabian comme conseiller. Changer de numéro de téléphone et d'adresse ont été les premières précautions qu'il a prises. Dans certains cas, une nouvelle identité est indispensable, car les personnes qui demeurent loyales à l'idéologie néo-nazie sont susceptibles de nuire à celles considérées comme des traîtres.
Steven a fait l'objet de nombreuses menaces, y compris de menaces de mort. Mais après son départ, tout le groupe s'est effondré. EXIT-Allemagne se concentre en général sur l'aide aux leaders des groupuscules d'extrême droite, car souvent, une fois qu'un leader décide de quitter un groupe, la structure disparaît. Et avec elle, l'idéologie qu'elle pronaît. « Les gens avaient un lien avec le leader... Ils doivent réfléchir à ce qui est en jeu », déclare Fabian.
« Pourquoi cette personne a-t-elle quitté le mouvement ? » Outre la sécurité, EXIT favorise également la discussion. L'organisation guide ces échanges à l'aide d'exemples qui vont à l'encontre du point de vue des extrémistes et propose une autre façon de voir la situation sociale en Allemagne. Fabian explique à quel point le type de groupuscule d'extrême droite peut varier d'un endroit à l'autre du pays. Certains s'apparentent à des sectes, tandis que d'autres sont plus ouverts à tout citoyen ordinaire.
Steven ajoute que la plupart d'entre eux pensent qu'ils doivent déclarer une nouvelle guerre contre un « ennemi » afin de le vaincre, bien que la nature de cet ennemi soit très diverse : « Un groupuscule pense que c'est le système démocratique, un autre le capitalisme, d'autres les juifs... Mais ils ont tous un ennemi et sont convaincus que, pour le vaincre, ils ont besoin d'une nouvelle guerre ».
Une intolérance grandissante en Allemagne
Si l'idéologie néo-nazie n'est pas représentative de la majorité de la société allemande, de plus en plus de gens commencent à partager les idées de formations politiques telles que le Parti national-démocrate (NPD), Alternative pour l'Allemagne (AfD) et le mouvement d'extrême droite PEGIDA (Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident).
Cette situation offre les conditions idéales pour permettre à l'idéologie néo-nazie de se propager à l'échelle de la société. « Il y a dix ans, cette situation m'aurait ravi, car beaucoup de gens d'obédience centriste peuvent être racistes et l'extrême droite peut alors en profiter », nous dit Steven.
Christiane Beckmann, de l'organisation Moabit hilft, qui aide les réfugiés après leur arrivée en Allemagne, m'a fait part des menaces graves que ses bénévoles reçoivent pour avoir donné un coup de main. « Quand on travaille avec des étrangers ou des réfugiés, on court toujours le risque d'être la cible de menaces de la part d'un parti de droite ou d'un soi-disant "citoyen inquiet" », affirme-t-elle.
La fondatrice de l'organisation, Diana Henniges, 38 ans, a eu une expérience malheureuse avec l'un des « citoyens inquiets » qui a découvert son adresse. Des coups de téléphone intempestifs, des oiseaux morts devant sa porte et des menaces du type : « on va récupérer ton fils à la crèche ».
Ces menaces peuvent aller des sermons - « vous êtes stupides de faire ça » - aux vraies intimidations - « tu devrais être violée pour avoir aidé des hommes musulmans ». Certains vont jusqu'à infiltrer l'organisation bénévole pour recueillir des informations confidentielles. « Nous avons reçu des mails indiquant qu'ils voulaient vérifier nos dossiers. Le weekend d'après, cet homme [du parti de droite] était là, et nos bureaux ont été cambriolés », se souvient Christiane.
Les attaques les plus graves contre des réfugiés incluent les incendies criminels qui touchent les centres de demandeurs d'asile. Fabian explique que certains groupuscules néo-nazis fabriquent des plans de ces centres et indiquent ce qui peut être fait contre eux. Bien qu'il n'y ait pas de preuve contre eux, des maisons représentées sur ces plans figurent parmi celles qui ont été incendiées.
Fabian ne fait pas de pronostic sur une éventuelle augmentation du nombre de néo-nazis due aux conditions actuelles en Allemagne. Mais la réelle préoccupation est de s'assurer que le citoyen lambda soit moins enclin à partager cette idéologie. Quitte même à la combattre avec véhémence.
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Cet article fait partie de notre série de reportages « EUtoo » un projet qui tente de raconter la désillusion des jeunes européens, financé par la Commission européenne.
Translated from Escaping extremism: How does one leave a neo-Nazi group?