Francis Antonie, économiste spirituel
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Prune AntoineFrancis Antonie, économiste sud-africain réputé et ancien activiste anti-apartheid évoque les besoins politiques et académiques du continent africain.
Alors que j’annonçais mon intention de faire une interview avec un professeur renommé, des collègues m’ont prévenu. En tant que journaliste débutant, vous êtes souvent confronté à des scénarios improbables. Ou votre interviewé vous perçoit comme un petit jeune frais émoulu de son école et de ce fait parfaitement incompétent : il vous répondra donc de manière totalement superficielle, en refusant d’évoquer le moindre détail croustillant. Ou alors votre invité vous voit comme « l’un des nôtres », membre ‘de facto’ de la grande famille universitaire- : en conséquence, il vous abreuvera de phrase sophistiquées et de théories pointues.
Quelque soit le profil de votre académique interlocuteur, il est fort à parier que vous n’écrirez pas un bon papier.
Je n’ai rencontré aucun des travers mentionnés ci-dessus lors de mon entrevue avec le professeur Francis Antonie. Ce natif de Cape Town s’est exprimé d’une manière fort courtoise et sympathique, n’hésitant pas à me demander mon avis sur des sujets à propos desquels je doutais de ma compétence –comme les traditions de l’Eglise maronite ou la structure de l’économie sud africaine.
Directeur d’une école africaine pilote en matière de gouvernance, la School of Public and Development Management dépendant de l’Université de Witwatersrand de Johannesburg, Antonie peut être considéré comme l’un des plus éminent universitaires du pays. Il est également à la tête du collège Saint-Augustine, la première faculté catholique d’Afrique du Sud. L’institution n’a que récemment émergé dans le paysage académique national puisqu’il a ouvert ses portes en juillet 1999.
Alors qu’il était âgé d’une quarantaine d’années, Antonie a rejoint la Standard Bank d’Afrique du sud, la plus grande banque commerciale nationale. Il y travaille en tant qu’économiste avant de devenir l’un des consultants de référence de l’établissement. A son crédit : la constitution d’un Business Trust et la formulation d’une stratégie publique pour le gouvernement. « J’ai vraiment apprécié de mettre en place ce business trust en partenariat avec le directeur de la Standard Bank, Conrad Strauss. Ce fonds réunit les ressources provenant de l’Etat et des entreprises dont les activités relèvent de l’intérêt national. De la même façon, il est très stimulant de travailler en collaboration avec le gouvernement afin de tenter de résorber les forts taux de chômage du pays » , dit aujourd’hui Antonie.
Danger moral
Antonie a longtemps mené une carrière cosmopolite. Durant 5 ans, il est membre du Comité directeur de la région Afrique pour le Forum économique mondial (FEM). En 2000, il aide à la coordination des célébrations du Jubilée, organisées par la Vatican, en s’intéressant spécifiquement aux politiques menées pour soulager la dette. « L’une des problématiques épineuse de ce thème concerne le danger moral : car si nous décidons d’effacer complètement la dette des pays pauvres, alors les politiciens locaux vont être enclins à se comporter de manière irresponsable en recourrant à d’autres emprunts. » Antonie a depuis décidé de s’en tenir à un principe : « pas d’annulation de la dette. » Qu’il s’empresse de tempérer : « mais nous tolérons 100% d’exceptions à cette règle. »
A l’égard des jeunes générations auxquelles il est confronté par son travail d’enseignant, Antonie nourrit de nombreux espoirs. « Vous les jeunes avez de nombreux challenges à relever, » lance t-il. « Ils doivent trouver une identité par eux-mêmes. Dans le monde du 21ème siècle, il est essentiel de trouver des valeurs stables pour son travail et sa vie privée. Une vie basée sur des valeurs représente d’ailleurs un défi constant dans un environnement séculaire. »
Equilibre au Moyen Orient
Antonie a été élevé dans la religion maronite, une communauté chrétienne appartenant au rite oriental et qui conserve une hiérarchie et une liturgie qui lui est propre. Bien que fortement liés à Rome, les Maronites cultivent leurs racines arabes et jouent de ce fait un rôle d’interlocuteur privilégié dans le dialogue avec le Proche-Orient. « Je crois que nous pouvons jouer un rôle important dans l’établissement d’un certain équilibre au Moyen-Orient », confie Antonie. « La culture spécifique du catholicisme version Maronite implique de nombreux points communs avec les nations arabes. »
Dans les années 70 et 80, Antonie s’est fortement impliqué dans la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud et s’est retrouvé en prison en raison de ses convictions. « Dans les moments de crise, vous êtes réellement confrontés à vous-mêmes », analyse t-il aujourd’hui. « Tandis que vous êtes privés du support sur lequel vous pourriez vous appuyer en temps normal, le pouvoir de la prière et de la réflexion vous apparaît comme évident. Dans le même temps, une situation difficile reste une épreuve et de doutes pour notre foi. »
« L’important », soutient Antonie « est de garder l’espoir même si ce n’est pas facile. On peut ressentir tant de frustrations, face à son échec ou à celui des autres. Cela fait partie de la condition humaine. »
Bien qu’il soit retourné donner des cours magistraux à l’université, Antonie reste très attaché à son travail quotidien dans la banque et l’économie. « Le but principal du gouvernement en Afrique du Sud est d’éradiquer le taux élevé de chômage, qui touche près de 40% de la population. Si l’interventionnisme étatique devrait être le plus large possible, il doit aussi être durable. »
Homme à 5%
Antonie qui se définit lui-même comme un « économiste modéré », préconise un taux de croissance de 5%. « Je suis essentiellement en faveur du marché, » explique t-il. «Mais j’en connais les limites quant il s’agit d’aider les personnes défavorisées. Je suis convaincu de la nécessité d’alterner des mesures calquées sur l’offre et la demande. Les Etats-Unis ou l’UE n’ont jamais laissé les marchés fonctionner en autonomie. Or, l’Afrique n’a pas seulement besoin de recevoir de l’aide mais doit en outre se lancer dans le commerce. »
Pour autant, l’économiste de renom ne semble guère convaincu de l’efficacité de solutions purement matérielles. « L’Eglise joue un très grand rôle dans l’économie », aime t-il à souligner. « Elle devrait nous rappeler qu’un individu est aussi une personne, créée à l’image de Dieu –et pas seulement un consommateur. Une telle optique aide à renforcer la cohésion sociale, un défi important dans des sociétés de plus en plus inégalitaires. »
En tant que croyant, Antonie est bien conscient de l’émergence des croyances extrémistes. « Il y a un essor du fondamentalisme à travers toutes les grandes religions monothéistes, » reconnaît-il avant d’ajouter : « Pour moi, le doute est inhérent à la croyance. Mais je ne m’étendrai pas sur ce thème : ce discours est suffisant pour que certains théologiens m’envoient déjà leurs lettres de récriminations. »
Translated from Professor Antonie, spiritual economist