Féminisme, #MeToo : le tube des festivals d'été ?
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Marie EyquemComme aux Oscars, à La Berlinale ou à Cannes, la vague #MeToo se répand actuellement comme une traînée de poudre sur les festivals musicaux d'Europe. Les femmes sont toujours sous-représentées parmi les artistes à l'affiche. Rencontre avec les acteurs et actrices engagés du dernier Primavera Sound à Barcelone.
« Que pensez-vous de l'actuelle campagne #MeToo ? », demande d'emblée l'un des journalistes, alors que la porte s'ouvre sur l'incarnation française du pouvoir féminin : le duo Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin. Pour la première fois elles participent ensemble au festival à Barcelone. La 17ème édition du Primavera Sound, établi dans la capitale catalane depuis 2001, a cette année décidé de mettre les femmes à l'honneur.
« Vous êtes sûr de vouloir commencer par ça ? », rétorque Charlotte Gainsbourg. La mère et la fille déclarent à l'unisson qu'elles préfèrent parler de leur musique et de leur art, malgré la pertinence du thème. Ce dernier, choisi pour cette édition, soulève forcément un débat plus profond. Mais tout se passe comme si les arguments qui le soutiennent se transformaient souvent en discussion gênante. Après quelques phrases murmurées du bout des lèvres, on passe donc à la question suivante : #MeToo mais pas trop.
Un véritable combat
En 2018, les événements culturels ne se sont pas focalisés autour du débat sur le sexisme. Mais le spectre du féminisme a refait surface depuis l'affaire Weinstein. On s'aperçoit alors qu'il est primordial de pouvoir être vues et entendues. On a tout d'abord pu suivre les nombreuses manifestations telles que le festival de Cannes ou celui de Berlin. Les femmes et les hommes de l'industrie du cinéma ont encore une fois attiré l'attention sur la condition de la femme à travers leurs actions, leurs tenues vestimentaires ou encore leurs discours. Désormais, c'est au tour des festivals de musique de part et d'autre de l'Europe d'être habités par la campagne #MeToo. Le Primavera Sound est un festival jeune, qui depuis ses débuts crée un pont entre les générations. On le remarque aussi bien chez les artistes que dans le public. L'importance de l'égalité femmes-hommes dans le monde ne pouvait être ignorée. Pas cette année.
Et le festival Primavera n'est pas le seul à se faire le porte-parole des droits des femmes dans le milieu de la musique. Les partisans d'un quota de femmes dans le domaine de la culture se font de plus en plus entendre. À titre d'exemple, la campagne britannique Keychange vise une parité totale dans la programmation d'ici 2022, avec 50% d'artistes femmes à l'affiche (toutes représentations confondues). Plus de 100 festivals en Europe, aux États-Unis et au Canada ont répondu favorablement à cet appel. Lily Allen, quant à elle, a mis en exergue l'importance du débat dans un tweet. La chanteuse britannique avait souligné sur un poster le monopole des hommes à l'affiche lors du Wireless Festival de Londres, et avait exprimé sa frustration en quelques mots : « C'est un véritable combat ».
« J'ai tout juste la vingtaine, et je pense que ma génération est déjà très différente des précédentes. Il y a une véritable révolte en faveur de l'égalité des sexes. »
La cause est noble, pourrait-on se dire. Mais ce sont précisément les festivals les plus célèbres qui ont ignoré l'initiative londonienne. Pour quelques femmes artistes, le phénomène est extrêmement présent dans les médias. C'est ce que pense notamment la chanteuse irlando-catalane Nuria Graham, qui a participé au festival Primavera Sound cette année. « J'ai tout juste la vingtaine, et je pense que ma génération est déjà très différente des précédentes. Il y a une véritable révolte en faveur de l'égalité des sexes. Quoi qu'il en soit, je trouve qu'il est toujours indispensable d'être féministe. La question de l'égalité a nécessité un vrai dialogue, fondamental, dans tous les domaines. On avait besoin de passer par le débat actuel, mais il ne faut pas laisser le battage médiatique nuire à cette cause. »
Barcelone, seule en scène ?
« Nous ne nous tairons pas », précisent les membres du groupe catalan No callem, une initiative récente de la ville de Barcelone, fondée sur la prévention du harcèlement sexuel, notamment dans les boîtes de nuit et les festivals. Cette initiative est soutenue entre autres par Ada Colau, maire de Barcelone et ancienne militante du mouvement des Indignés, l'équivalent de l'Occupy movement. Outre le Primavera Sound, deux autres grands festivals de la ville travaillent main dans la main avec No callem : Sónar et Cruilla. Un certain nombre de boîtes de nuit connues comme Sala Apolo ou Razzmatazz font également partie de cette équipe. Des scènes qui sont précisément la raison d'être de cette campagne apparaissent régulièrement sur les écrans géants qui filmaient les concerts lors du festival Primavera.
Malgré la grande visibilité du mouvement, il est encore difficile de déterminer à quel point les gens ont conscience du problème. À l'entrée du festival, se tenait un stand, afin d'informer le public sur l'action menée ici et dans le cadre du festival, mais également d'apporter une aide concrète. À la question « À quelle fréquence les membres du groupe sont-ils intervenus pour donner des conseils ? », la réponse reste floue. Il y a eu des choses à régler, mais pas tant que ça. « Il n'y a pas eu d'incident grave jusqu'à présent. » Même pas quelques propos déplacés ? « Non, pas de paroles agressives ou grossières. » Le fait que les membres d'un programme contre le harcèlement sexuel et les abus physiques considèrent eux-mêmes ces incidents comme des broutilles montre bien qu'un débat sur la prise de conscience du phénomène n'a que trop tardé à émerger. Nous ne nous tairons pas restera une initiative utile tant que des femmes seront victimes de harcèlement sexuel.
Tous les partenaires du festival ont été informés de la campagne, et on leur a demandé, de la même façon qu'aux visiteurs, de ne pas ignorer les potentiels incidents, et de les faire remonter. « Les femmes ont du pouvoir » est par conséquent devenu le crédo du Primavera Award 2018, qui récompense depuis quatre ans les personnes actives dans le monde de la musique. Cette année, le prix a été décerné au MIM, acronyme de Mujeres de la Industria de la Música (les femmes de l'industrie de la musique). L'organisation espagnole a été fondée en 2016, à la veille de la vague #MeToo. À la suite de plusieurs réunions rassemblant les professionnels du monde de la musique, il est devenu indispensable de créer une plateforme féminine pour équilibrer un milieu outrageusement dominé par les hommes.
« Le travail de MIM ne consiste pas uniquement à constater les inégalités, mais à les dénoncer. »
MIM propose des formations, réalise des études, des présentations, et donne vie à des actions communautaires. Ne nous méprenons pas, les femmes dans la musique ne sont pas seulement objets de désir ou de paroles machistes. Comme dans la plupart des domaines de notre société aujourd'hui, peu de femmes ont des postes importants. On en trouve encore moins parmi les producteurs. « Le travail de MIM ne consiste pas uniquement à constater les inégalités, mais à les dénoncer. On se consacre à un travail actif, on essaie de mettre en oeuvre des projets guidés par les femmes. »
MIM œuvre à une meilleure intégration des femmes dans le monde de la musique, pas uniquement sur scène, mais dans tous les domaines. « Cela concerne surtout des secteurs qui pour le moment sont peu accessibles aux femmes, tels que la technique ou la programmation », précise Almudena Heredero, directrice de l'interface professionnelle du festival (Primavera Pro). MIM continuera à être active jusqu'à ce que les femmes bénéficient d'une égalité des chances, d'accès, de traitement et de salaire, promet-on. « Nous voyons le Primavera Award comme un hommage à toutes ces années de travail pour que plus de femmes fassent partie de l'industrie de la musique. Des femmes qui souvent se sentent isolées dans un monde d'hommes, qui pendant longtemps se sont battues pour l'égalité des droits et doivent encore le faire », a déclaré la présidente de l'association MIM, Carmen Zapata, lors de la cérémonie de remise des prix.
Un long chemin reste à parcourir pour que les femmes aient toute leur place dans des festivals tels que le Primavera Sound. Un bref coup d'oeil sur les artistes du festival laissait au départ présager un partage équitable de la scène entre hommes et femmes. Mais si l'on regarde de plus près, les hommes ont bénéficié de davantage de place pour s'exprimer : grandes scènes, horaires accommodants...
Il n'empêche. Même en infériorité numérique, les artistes féminines ont profité d'une exposition plus importante que d'ordinaire. Björk et Lorde étaient les têtes d'affiche du Primavera, Jane Birkin et Charlotte Gainsbourg invitées d'honneur non-officielles. Et les groupes féminins comme Warpaint ou Haim ont montré que les femmes n'avaient rien à envier aux hommes à la basse ou à la batterie. Les trois sœurs californiennes du groupe Haim ont offert l'une des représentations les plus appréciées du Primavera Sound. Leur musique et leur interprétation se trouvait exactement à l'image de l'édition de cette année en mettant à l'honneur la solidarité et la force féminines.
Dans la programmation, on trouve aussi paradoxalement des artistes confondants. Derrière le groupe baptisé Mujeres (femmes, en espagnol, ndlr) se cache un trio masculin de Barcelone. Le mâle est partout.
Translated from Festivals im #metoo-Modus: Zwischen Muss und Mogelpackung