Faire la fête en Europe : la langue à l'envers
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Anaïs DE VITALe langage est un organisme vivant qui reflète la personnalité de chaque société. Pour tous les jeunes, la nuit est propice à un rituel traditionnel : s'éclater, peu importe la manière. Et pourtant, dans les différents pays européens, jamais les mots que nous employons n'ont été si éloignés de nos traditions.
Sortir faire la fête ( « salir de fiesta ») est un langage universel. C'est en tout cas ce que les jeunes essaient de croire lorsqu'ils sont hors d'Espagne. Nous mélangeons les langues, nous inventons des mots et surtout, nous nous attelons à l'apprentissage des symboles les plus utiles de la vie quotidienne : les insultes et les grossièretés. Tout ce qu'il faut pour sociabiliser un peu, parler de choses et d'autres et sentir que nous faisons partie d'un projet commun. Il est possible que les discothèques aient fait bien plus pour la cohésion en Europe que tous les parlementaires européens réunis.
Cependant, le concept même de la teuf n'est pas toujours si simple à comprendre. Les célébrations en disent beaucoup sur une communauté, chaque langue ayant sa propre manière de se référer aux grosses soirées. Ces expressions et jeux de mots permettent au langage, comme être vivant, de ne pas seulement être un mécanisme de communication, mais d'être aussi un outil culturel, un scanner de la société.
Colore le monde
Le Royaume-Uni peint bien le phénomène. L'expression « to paint the town red » (Peindre la ville en rouge) augure de grosses nights dans le pays. À première vue, il n'y a aucun lien entre la démesure, la nuit et la trahison. Tout ce qui peut au mieux attirer notre attention, c'est le choix de la couleur rouge, qui n'indique rien de bon.
La légende la plus connue date de 1837, lorsque le Marquis de Waterford et quelques amis passèrent une nuit dans le comté de Melton Mowbray, à ne pas savoir quoi faire de leurs mains. Ils finirent par peindre différents bâtiments de la ville en rouge. Rien de plus normal un samedi soir. Malgré l'existence de documents attestant cette histoire, celle-ci continue à faire l'objet de débats et autres refus de la part d'universitaires. Le fameux Morris dictionnary of Word and Phrase Origins indique que l'origine de cette expression est liée à la ville indienne de Jaipur, mais sans certitude.
Il existe aussi l'expression espagnole « irse de picos pardos » (littérallement « aller de piques brunes » mais qui signifie en vérité aller faire la bringue). L'origine de cette occurrence est plus facile à trouver : au milieu du XVIIIe siècle, pendant le règne de Carlos III, les jupes à quatre pointes étaient un habit très en vogue parmi la gente féminine. Puis, la cour pénale a exigé que les prostituées ne se vêtissent que de couleurs sombres pour que les hommes puissent les différencier des autres femmes. Heureusement, cette loi a disparu des textes juridiques espagnols. Plus aucune loi n'encadre la tenue des femmes et encore moins pour cette raison. Pourtant, l'expression perdure et se retrouve employée pour signifier le fait de sortir la nuit, même si elle a perdu une grande partie de son sens sexuel et qu'elle concerne les hommes comme les femmes.
Ça sent le patin
On ne sait pas si les Polonais prennent la phrase Boire ou conduire, il faut choisir au sérieux, mais ce qui est sûr, c'est qu'ils n'aiment pas faire du patin à roulettes quand la nuit devient un peu folle. « Odpinamy wrotki », signifie littéralement avoir les patins en l'air, mais on ne parle pas de n'importe quels patins. Wrotki signifie de manière univoque les patins à roulettes classiques, ceux dont les roues sont deux par deux. Une fois qu'on le sait, il ne faut donc pas faire n'importe quoi pendant les soirées polonaises.
Ce qui mérite aussi d'être étudié, c'est la capacité étonnante des Allemands à s'inspirer des animaux dans leurs expressions. Par exemple « Hier steppt der Bär », qui veut littéralement dire Ici se tient l'ours. À l'instar de tant d'autres expressions, l'origine de cet exemple n'est pas claire. Cela n'implique pas pour autant qu'un étranger ressente de l'inquiétude en associant le concept de fête à l'image imposante, mais toutefois attachante, de cet animal.
Sacrée bamboula
Le verlan, argot officiel des jeunes français, n'échappe pas non plus à la vie nocturne. Pour faire la fête, on fait aussi la « teuf », inversion phonétique de fête. En revanche, on peut aussi « faire la chouille », surtout dans le sud. Tous ces mots ne sont pas courants et les enfants de l'an 2000 ne les ont pas forcément popularisés. Les générations précédentes ont aussi su profiter de la nuit et diffuser leurs propres mots, qui ont vieilli avec elles. Une personne âgée française se souviendra avec nostalgie de la « nouba » ou de « cette sacrée bamboula ».
Il existe aussi un mot d'origine française en espagnol, « bureo », issu de bureau. Très peu utilisé de nos jours, désigner une fête avec ce mot semble encore curieux pour les Ibériques. Mais celui qui évoque le plus de nostalgie, peut-être celui qui évoque une fête où beaucoup de couples ont commencé leur vie amoureuse, c'est le « guateque » (la boum). Très populaire dans les années 1960-1970, les jeunes s'y rencontraient avec des boissons fraîches, de l'alcool et des petits fours faits-maison.
Le mot italien « baldoria » est traditionnellement utilisé pour dire faire la fête. Mais si nous devions choisir une expression qui s'est récemment démocratisée, c'est « si sboccia » (synonyme de floraison). Sa diffusion est en grande partie due au YouTuber italien Gordon et à sa chanson « Si sboccia poveri ».
Translated from Osos, patines y faldas: así decimos fiesta en Europa