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Espagne : le fantôme de Franco au pouvoir ?

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Anaïs DE VITA

Société

L'im­placable loi contre l'avor­te­ment est pas­sée mal­gré 81% d'opi­nions dé­fa­vo­rables. Les scan­dales et af­faires de cor­rup­tion se mul­ti­plient, les sui­cides aussi. Le chô­mage des jeunes at­teint 56,1%, trois mil­lions de gens vivent sous le seuil de pau­vreté... Au­tant d'as­pects qui rap­pellent la dic­ta­ture en place jus­qu'en 1975.

Bien as­sise au fond du ca­napé de mon père à Noël der­nier, je pra­ti­quais le zap­ping, chose que je n'ai pas l'ha­bi­tude de faire. Comme je ne sou­haite pas avoir de té­lé­vi­sion chez moi, ces pe­tits mo­ments de répit en fa­mille sont les seuls mo­ments où j'ac­cède aux mé­dias grand pu­blic. Mon père vit à Ma­drid, je parle donc de la té­lé­vi­sion es­pa­gnole. 

La té­lé­vi­sion es­pa­gnole n'a ja­mais été re­con­nue pour la qua­lité de ses jour­naux té­lé­vi­sés, mais alors que je re­cher­chais un pro­gramme va­gue­ment di­ver­tis­sant ou ins­truc­tif, ce ne sont pas les jupes courtes des pré­sen­ta­trices télé ni les af­freux néons fluo­res­cents des stu­dios qui ont re­tenu mon at­ten­tion. Toutes les chaînes, qu'il s'agis­se des jour­naux ou d'un des nom­breux talk shows na­tio­naux, par­laient des dif­fi­cul­tés qu'éprouve la plu­part des Es­pa­gnols. De la jeune de 18 ans qui n'ar­rive pas à payer sa fac­ture d'élec­tri­cité à la cen­taine de gens qui font la queue à la soupe po­pu­laire pour avoir de quoi man­ger à Noël , la si­tua­tion m'ap­pa­rais­sait de plus en plus glauque.

Mais quand tout le monde sait que l'éco­no­mie es­pa­gnole est en train de connaître une grave crise, de l'Ira­quien avec qui j'ai par­tagé un taxi à Tbi­lissi au cou­sin pré­-ado d'un ami de Flo­ride, on est en droit de se de­man­der ce qui a bien pu ar­ri­ver à l'Es­pagne.

2013 : année noire pour l'Es­pagne

Si en 2006 vous m'aviez dit que la crise al­lait avoir un effet aussi dé­lé­tère sur l'Es­pagne, je ne vous au­rais pas cru. À ce mo­ment-là, les plages étaient bon­dées de tou­ristes an­glais, fran­çais et al­le­mands qui se mê­laient aux fa­milles es­pa­gnoles, tous dé­con­trac­tés. Pen­dant qu'on pré­di­sait que la bulle im­mo­bi­lière es­pa­gnole al­lait écla­ter, per­sonne n'avait prévu le degré de mi­sère qu'al­lait ap­por­ter la fin des construc­tions. La crise de la zone euro  lais­sant de nom­breux ci­toyens sans le sou pour rem­bour­ser leur prêt im­mo­bi­lier ou leur fac­ture d'élec­tri­cité, le taux de sui­cide est de­venu la deuxième cause de mor­ta­lité après la mort na­tu­relle.

2013 fut une année par­ti­cu­liè­re­ment dou­lou­reuse pour les ci­toyens es­pa­gnols. Le pays a perdu 10 points sur l'in­dice de per­cep­tion de la cor­rup­tion de Trans­pa­rency In­ter­na­tio­nal, no­tam­ment lorsque des membres du parti au pou­voir (le Parti Po­pu­laire, ndt) et la fa­mille royale se sont re­trou­vés mêlés à de nom­breux pots-de-vin, me­nant à la mise en exa­men de la Prin­cesse Cris­tina elle-même. Puis le gou­ver­ne­ment a fait pas­ser quelques-unes des lois les plus re­prés­sives de­puis la mort de Franco en 1975. Et quand trois mil­lions de per­sonnes vivent en des­sous du seuil de pau­vreté, le gou­ver­ne­ment a acheté des nou­velles voi­tures pour des mi­nistres sans coeur dont le seul ob­jec­tif est d'ar­ri­ver le plus vite pos­sible à la plage pour un week-end bien mé­rité. Le pays com­mence à res­sem­bler de ma­nière trou­blante à ce qu'il était sous la dic­ta­ture de Fran­cisco Franco, et cer­tains com­mencent à chu­cho­ter que le fas­cisme est de re­tour au 21ème siècle.

L'éco­no­mie s'en­fonce

Le Parti Po­pu­laire, fondé par d'an­ciens membres du gou­ver­ne­ment Franco, est ar­rivé au pou­voir en 2011 dans un mé­con­ten­te­ment gran­dis­sant perçu comme consé­quence d'une mau­vaise ges­tion de la crise fi­nan­cière par le Parti So­cia­liste en place. Mal­gré une vic­toire écra­sante, le PP n'est pas par­venu à contrer cette plaie fi­nan­cière qui ra­vage l'Es­pagne. Ayant ob­tenu la ma­jo­rité ab­solue à l'As­sem­blée et donc tous les pou­voir pour faire pas­ser toutes les lois, le PP a passé son temps à sau­ver les banques. Celles-là mêmes qui ont volé des mil­liers de ci­toyens, per­sonnes âgées pour la plu­part, en leur sou­ti­rant leurs épargnes si dure­ment ga­gnées et en fai­sant fi des droits du tra­vail. De­puis mars 2011, les ma­ni­fes­ta­tions sont de­ve­nues quo­ti­diennes en Es­pagne, mais les de­mandes de ré­si­gna­tion du gou­ver­ne­ment n'ont ja­mais été écou­tées, et les ap­pels à l'aide des chô­meurs ont fi­ni en dia­logue de sourd.

Cet été, le gou­ver­ne­ment a en­core re­poussé les li­mites de l'aus­té­rité, ce qui a pro­vo­qué un re­cord in­égalé de 56,1 % de chô­mage parmi les jeunes. On com­prend mieux pour­quoi les gens ma­ni­festent dans tout le pays. Mais dé­sor­mais, les ma­ni­fes­ta­tions les plus pa­ci­fiques ne se­ront plus. Le vote sur l'acte de sé­cu­rité ci­toyenne remet en cause les prin­cipes fon­da­men­taux de la dé­mo­cra­tie es­pa­gnole, en don­nant des amendes très éle­vées aux ma­ni­fes­tants. Le per­mis de ma­ni­fes­ter sera en­core plus dur à ob­te­nir. 

Un pays en ré­gres­sion so­ciale

Si vous pen­siez que le Parti Po­pu­laire avait ou­blié ses pro­messes élec­to­rales, vous vous trom­piez. Le mois der­nier, le PP est par­venu à ac­com­plir une par­tie de son pro­gramme de cam­pagne pour la pre­mière fois de­puis trois ans, en pas­sant l'im­pla­cable loi anti-avor­te­ment in­ter­di­sant aux femmes d'avoir accès à une IVG bien en­ca­drée et en toute lé­ga­lité. Non seule­ment cette loi al­tère les droits des femmes, mais elle a sur­tout été votée mal­gré l'op­po­si­tion de 81% des Es­pa­gnols. La nou­velle lé­gis­la­tion ra­mène l'Es­pagne avant 1985, quand l'avor­te­ment était en­core un délit. Do­ré­na­vant, les doc­teurs qui le pra­ti­que­ront en­cou­rront une peine de trois ans de pri­son.

Sans com­mune me­sure avec l'Es­pagne qui a lé­ga­lisé le ma­riage ho­mo­sexuel en 2005 et voté la loi sur la mé­moire his­to­rique en 2007 (qui a per­mis l'iden­ti­fi­ca­tion des vic­times de l'oppres­sion de Franco dis­sé­mi­nées dans les fosses com­munes), l'Es­pagne en crise ré­gresse ra­pi­de­ment vers la ré­pres­sion et un conser­va­tisme in­tran­si­geant. La jeu­nesse qua­li­fiée fuit le pays tan­dis que ceux qui res­tent sont en co­lère et pri­vés de leurs droits, et at­tendent un chan­ge­ment uto­pique.

Translated from Spain today recalls Franco's dysfunct dictatorship