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Espagne, bruit et tapas : un joyeux bordel

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Anaïs DE VITA

Politique

Dimanche dernier, l'Espagne a voté pour les élections municipales et régionales. Conclusion : il se pourrait bien qu'elle ait dit adieu à son système bipartiste. De nouveaux partis locaux ont porté un sale coup au Parti Populaire et au PSOE, montrant la volonté des Espagnols de voter pour l'espoir. Tant qu'il y en a. 

Si vous vous trouvez en Espagne au moment d'une élection, vous n'avez pas besoin d'un réveil. De très bonne heure, des voitures de campagne sortent de nulle part et scandent des slogans vous incitant à voter pour l'un ou l'autre parti. D'autres voitures du camp adverse suivent de peu, et font office de bouton snooze sans pour autant pouvoir être éteint. Une autre, sûrement usée de crier le même message de propagande toute la journée, profite d'une pause pour vous rappeler que jeudi soir, c'est soirée tapas.

À moins que vous n'ayez fui vers les montagnes, ces voitures truffées de hauts-parleurs ne passent pas inaperçues. Pour être bien sûr que les gens ont entendu le message, les agents électoraux remplissent les boîtes aux lettres de flyers. Un parti dénommé Democratas Unidos fait un travail remarquable. Ils organisent des événements quand leurs militants sont encore occupés à envoyer des invitations, et les gens n'ont pas le temps de les lire pour participer. Ainsi, un autre mètre carré de la forêt tropicale vient d'être abbatu pour rien.

Faire des économie en ramenant son sandwich

Le paysage politique de l'Espagne a longtemps été dominé par deux partis, le Partido Popular (PP), conservateur, et le PSOE, parti socialiste. Les autres partis avaient donc du mal à rivaliser financièrement.  Heureusement, ces partis plus petits n'ont pas été découragés par leur manque de moyens et grâce à leur Yes We Can attitude, ils marchent dans les pas de leurs rivaux aux caisses bien remplies. La Izquierda Unida, par exemple, déambule dans les rues pour dire à tous qu'ils organisent un repas, la tradition du PP. Sauf qu'au lieu d'organiser un repas fastueux financé par d'inombrables dons, le parti de gauche demande à tous les participants d'apporter leurs propres sandwichs et boissons pour l'occasion. Il est bon de voir qu'un parc public, lieu choisi pour l'événement, est toujours un lieu de libre réunion.

Le meilleur moment des élections en Espagne, c'est la veille, appelée « jornada de reflexion » (jour de réflexion), pendant lequel les partis politiques n'ont plus le droit de faire campagne. Après des jours entiers de cacophonie, la paix et le calme du jour de réflexion permettent aux gens d'apprécier à nouveau le silence et de retrouver leur discernement. Je suis quasiment sûr que personne n'utilise le jour de réflexion pour ce pourquoi il est instauré, c'est-à-dire réfléchir à tout ce qui a été entendu et se faire une idée de quel bulletin de vote ira dans l'urne. La plupart des gens auront déjà choisi longtemps avant que ce cirque ne se mettent en branle et utiliseront ce jour pour se remettre des fêtes qui célèbrent la fin de la campagne ou pour se poser des questions existentielles plutôt que de penser politique.

Pas de journaux de gauche ?

Je rencontre un ami pour cette soirée tapas qu'on ne pouvait pas manquer et nous parcourons les journaux. Je lui demande les journaux de gauche et il me répond qu'il n'y en a pas. El Mundo semble particulièrement obsédé par Podemos, en placardant « Les prisonniers ETA veulent Podemos au pouvoir » en grosses lettres majuscules et en une. Cela a provoqué une tempête médiatico-sociale, où des articles d'un El Mundo fictif faisaient apparaître Voldemort ou Dr D'Enfer encourageant Podemos. C'est sans doute la meilleure manière de répondre aux médias par des absurdités, mais derrière les rires se cache la cruelle vérité énoncée par mes acolytes : « Tout ce qui est de gauche et qui appelle au changement sociétal vient de ETA dans ce pays. »

Le manque de pluralité d'opinions dans les journaux est particulièrement perturbant dans un pays où, il y a seulement quarante ans, un général dictateur s'est attelé à rendre le peuple espagnol l'un des plus pluralistes d'Europe. C'est sans surprise que je vois une Espagne radicalement différente de celle que décrivent les médias espagnols. Les centristes, incarnés par le PP, Ciudadanos et la presse, sont comme les harangueurs des voitures aux mégaphones, desquels ont n'entend que la voix. Loin de vouloir unir leur pays, ces voix veulent le transformer en une chose qui n'a jamais été et ne sera jamais : un État uniforme. Vous devrez amener vos propres sandwiches aux meetings de gauche et des partis régionaux, mais au moins avec eux les problèmes des gens ne tombent pas dans l'oreille des sourds.

Peut-être que les gens en ont assez de ce penchant inguérissable du PP pour les scandales de corruption, peut-être que les nouveaux partis tels que Podemos leur ont donné un nouvel espoir, mais on sent comme une vague de changement. Le PP a eu l'air misérable lors du scrutin et les gens sentaient le sang. Les conservateurs ont peut-être gagné la plupart des votes aux niveau national, mais ils n'ont conservé leur place que dans trois régions. De plus, excepté Malaga, le PP a perdu le contrôle de toutes les métropoles, telles que Madrid, Valence, où il était en place depuis 20 et 24 ans respectivement. Tandis que Barcelone élisait une activiste anti-pauvreté, Ada Colau, comme nouvelle maire, les trois plus grandes villes d'Espagne sont en passe d'avoir une mairie de gauche. Ce pourrait être un tournant majeur pour les élections générales qui auront lieu en novembre prochain, desquelles jailliront encore plus d'espoir, de bruit et de tapas.

Translated from Hope, noise and tapas: Spain's election circus