Erika Lust, réalisatrice : « de l’amour, pas du porno »
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Luce BoisselDans son Stockholm natal, Erika «Lust» Hallqvist étudiait les sciences politiques et se demandait pourquoi l’industrie du porno n’était pas plus féministe.
Aujourd’hui âgée de 34 ans et mère de deux enfants, cette écrivain, réalisatrice et productrice ayant remporté de nombreux prix est basée à Barcelone et se rebelle avec succès contre les clichés sexistes avec ses « nouveaux films indépendants pour adultes », en créant « de l’amour, pas du porno. »
On sonne à la porte. La fille sort de la douche, s’enroule dans une serviette et court ouvrir au livreur de pizza. Il pourrait s’agir du début d’un film porno traditionnel, mais ce n’est pas le cas. Les protagonistes de The Good Girl (2004) ont une personnalité, et les scènes sexuelles explicites sont l'aboutissement d'une intrigue cohérente. « Le porno, c'est un mot fort, explique Erika Lust. Si vous parlez de pornographie aux gens, il leur vient immédiatement à l'esprit des images violentes, machistes, presque inhumaines. A cause de ces connotations, le porno est devenu un terme tellement sale que je voudrais pouvoir l’attraper, le coller dans la machine à laver et lancer un cycle long à 90°C. »
Porno traditionnel contre porno féministe
En écoutant Erika, j’ai l’impression d’avoir été moi-même mis dans le tambour de la machine avec le mot porno. Cette mère de deux petites filles âgées de 1 et 4 ans parle de pornographie, de sexualité féminine et masculine et de féminisme avec une passion telle que l’air autour d’elle semble entrer en vibration. C’est une jeune femme décontractée vêtue de jeans et de Converses rouges, ressemblant davantage à une universitaire étudiant la sociologie des différences sexuelles qu’à une réalisatrice de films pornos. Avant de quitter la Suède pour Barcelone en 2000, Erika étudiait les sciences politiques et le féminisme à l’université de Lund. Un jour, son petit ami lui fit une surprise : un film porno. « Je me suis sentie mal à l’aise, comme toutes les femmes lorsqu’elles regardent du porno, explique-t-elle. Physiquement, ça m’excitait, mais je n’aimais pas ça. C’est là que je me suis demandé pour la première fois : pourquoi est-ce que le porno doit ressembler à ça ? »
Quelle différence y a-t-il entre le porno traditionnel et ce que fait Erika ? Pour répondre à cette question, elle se précipite hors de la pièce et revient avec un DVD de son dernier film, Cabaret Desire, et un exemplaire de son livre Good Porn (2009). Elle me les tend avec un grand sourire et me dit : « J’espère que tu vas aimer. » Elle prend un verre d’eau et boit une grande gorgée. « J’ai toujours tendance à beaucoup parler », dit-elle en riant et en réajustant son gilet gris. « Le porno féministe a pour but de modifier les rôles que jouent habituellement les femmes dans la pornographie traditionnelle, des rôles d’objets au service du plaisir sexuel masculin. Ces films sont faits par des hommes et pour des hommes Leurs protagonistes sont toujours des hommes riches et puissants, tandis que les femmes jouent des rôles de prostituées ou de dominatrices. Dans mes films, les filles ne sont pas des accessoires, elles ont des personnalités complexes comme dans la réalité, et elles ont une sexualité épanouie. »
Des Nations unies à Barcelone
Mais Erika avait encore un long chemin à parcourir avant son premier tournage. A la base, elle souhaitait travailler pour les Nations unies, raison pour laquelle elle se mit à l'espagnol. Partie étudier à Barcelone, elle eut le coup de foudre pour cette ville et décida de rester et de travailler comme assistante dans l'industrie du film. Elle s'inscrivit à un cours du soir de réalisation, et tourna pour son projet de fin d'études The Good Girl, qui remporta le prix du meilleur court métrage lors de l'édition 2005 du Festival International du Film Érotique. « Ma mère préférerait certainement que je travaille pour une organisation internationale, mais elle me soutient. Le plus difficile doit être quand elle essaie d'expliquer aux gens quel métier exerce sa fille. Nous vivons dans une société radicalement sexiste. Lorsqu'une femme aborde publiquement la question de la sexualité, elle s'expose au fait d'être considérée comme une salope. »
Depuis le succès de ce premier film, Lust Films, l’agence de production d’Erika et de son mari Pablo, a produit cinq films, deux livres et gagné de nombreux prix internationaux. Le siège de la société ressemblerait presque à des bureaux tout à fait ordinaires, sans la présence d'une chaise tantrique utilisée dans Cabaret Desire (2011) et de deux pièces remplies de films et de livres de nouveau porno. Une étagère est dédiée aux sex toys disponibles sur leur site de vente en ligne. Depuis le vibromasseur lilas aux lignes épurées jusqu’à la corde de bondage rose faite main, ce sont tous des gadgets bien conçus et au design soigné. Erika affiche un visage radieux en me présentant l’entreprise familiale et en m’expliquant qu’elle adore son métier. « Je suis quelqu’un d’extrêmement positif », dit-elle, comme pour souligner ce point.
Un engagement courageux
Erika est non seulement une personne positive, mais aussi très courageuse. Le porno est un milieu professionnel féroce au sein duquel les femmes ne sont pas les bienvenues, à moins d’être actrices ou maquilleuses. Elle estime qu'il n'y a probablement pas plus de 2% de femmes dans l’industrie du porno, si l’on exclut celles occupant les fonctions que l’on vient de citer. Ses homologues masculins n’aiment pas ce qu’elle fait et ne distribuent pas ses films : ils la surnomment « féminazi », et certains lui demandent même pourquoi elle n’est pas de l’autre côté de la caméra.
« Si les femmes ne s’expriment pas sur ce sujet, ça donne l’impression que ça ne les intéresse pas. »
Malgré tout cela, Lust Films est une société plutôt rentable. Erika finit son verre d’eau et se renfonce dans son fauteuil en cuir de cadre dirigeant. La pièce est baignée de soleil, et depuis la fenêtre, on peut contempler les toits rouges de Barcelone. Avec un peu moins d’assurance, elle explique qu’elle ne se considère pas comme une réalisatrice au sommet de sa carrière, mais comme une femme souhaitant exposer au monde son propre point de vue. Quelques jours plus tard, elle ira présenter son travail au Museum of Sex de New York et lors de l’édition 2012 des Feminist Porn Awards à Toronto où elle remportera le prix du film de l'année pour la troisième fois. « C’est quelque chose de très important pour moi, et j’aime en parler, ajoute encore Erika. La pornographie est selon moi un sujet que l’on ne peut pas passer sous silence. Elle fait partie de notre culture, et si les femmes ne s’expriment pas sur ce sujet, ça donne l’impression que ça ne les intéresse pas. Mais ça nous intéresse, et nous avons beaucoup de choses à dire là-dessus. C’est pour cela qu’il faudrait qu’il y ait davantage de réalisatrices qu’il n’y en a actuellement. » Il y en aura certainement. Si ça ne dépendait que d’Erika Lust, la pornographie féministe serait bientôt une matière obligatoire dans les universités.
Photos : ©Mireya de Segarra; erikastube/ youtube, ©Lust Films
Translated from Porn director Erika Lust: 'I felt uncomfortable like all women when they're watching porn'