Enfants de Sarajevo : critique en trois temps
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Camille SprietUne Bosnienne, un Polonais et une Allemande partagent leur point de vue sur le film d'ouverture d'Aida Begic, Enfants de Sarajevo, qui ouvre le festival cette année.
Le synopsis officiel : Rahima (23 ans) et Nedim (14 ans) sont des orphelins de la guerre de Bosnie (1992-1995). Ils vivent à Sarajevo, une ville en transition qui a certainement perdu tout sens moral à en croire le sort réservé aux enfants de ceux morts pour la liberté de la ville. Après une adolescence encline à la violence, Rahima trouve un nouveau confort auprès de l’Islam et espère que son frère suivra ses traces.
L'atmosphère excessivement sinistre du film, dépourvue de cet humour si caractéristique aux habitants va certainement frapper n'importe quel Bosnien ou Herzégovien. Sachant à quel point il est rare pour les médias étrangers de relater de bonnes nouvelles venant de Bosnie-Herzégovine, on ne peut que regretter l’intention du metteur en scène de ne capturer que la sinistrose au détriment du positif des années d’après-guerre, pourtant plus représentatif de la réalité.Il est vrai, cependant, que le film d'Aida Begic vise avant tout à provoquer et à faire réfléchir sur un problème trop souvent négligé. À travers l’histoire de deux orphelins, Rahima et Nedim, elle dessine le portrait d'une génération entière d’enfants grandissant dans une ville en transition, marquée par une perte de valeurs et un déclin du sens de la communauté. Ici, Enfants de Sarajevo pose une question à la fois simple et provocante : quel héritage laisse-t-on à cette nouvelle génération, incarnant notre futur, qui n'a connu que la guerre, l'aversion et un lavage de cerveau nationaliste ? Utiliser le cinéma pour poser cette question confère au film une forme d'activisme artistique. D'une certaine façon, Enfant de Sarajevo est une contribution exceptionnelle et nécessaire au dialogue citoyen, qui peut apporter une nouvelle connaissance et ainsi, peut-on espérer, faire la différence.
Jasmina Hodzic, Bosnie-Herzégovine
Enfants de Sarajevo est donc un film sur la lutte quotidienne de deux orphelins dans un contexte d'après-guerre, la vie à Sarajevo. Si j'avais regardé le film avant de venir en Bosnie, il y a à peu près un an, il aurait seulement été pour moi un énième long-métrage consacré au sang et aux larmes. Toutefois, ma présence à Sarajevo m’a fait prendre conscience de deux choses : d’une part le titre bosnien « Djeca » (« enfants ») sonne mieux que l’anglais (« kids »), d’autre part Aida Begic s’attache à décrire de petits détails, éminemment révélateurs de la culture et de la mentalité du pays. En mêlant images de guerre et intrigue actuelle, la réalisatrice démontre un élément aussi troublant que réel : la guerre est toujours présente dans l’esprit des gens. Sur le pan esthétique, la musique donne une autre dimension au film et se marie parfaitement avec le ton utilisé. Elle est constamment mixée avec des sons évoquant la guerre à tel point qu’elle en vient parfois à tromper la réalité. Cependant, le film capte quelque chose que l'on n’entend pas dans les cafés de la capitale. Un tabou que l’on pourrait dépeindre comme étant le résultat d’un véritable traumatisme pour une population qui doit (encore) apprendre à s’adapter à la « vie normale ». Aida Begic emploie enfin un humour elliptique, difficile à saisir pour ceux qui ne sont pas familiers des us et coutumes bosniens. Reste cette fin « hoolywoodienne » qui ruine l'impression plutôt positive sur le film. Une fin qui témoigne aussi de la grande difficulté qu’ont les réalisateurs, aussi talentueux soient-ils, à mettre un point final sur des histoires malheureusement inachevées.
Arthur Krzykowiak, Pologne
« Et encore un autre film de guerre », est-on tenté de dire après avoir vu le film d'Aida Begic, Enfants de Sarajevo. Son film, qui suit les épreuves quotidiennes privilégie les teintes froides, les sons frissonnants et les images d'archives. Soit autant d’éléments qui donnent la chair de poule. Si le jeune frère Nedim n'avait pas cassé l'iPhone de son riche camarade de classe, il aurait été difficile de distinguer le présent du passé. Dans un style proche du Projet Blair Witch, l'effet « caméra de poche », accolée aux protagonistes, renforce la précipitation dans laquelle vivent les habitants de Sarajevo. Tout ceci place le spectateur dans un sentiment d’impatience face à l’incroyable qui pourrait se produire. Mais l'incroyable n’existe pas à Sarajevo : personne ne se bat, personne ne se tire dessus, personne ne tombe amoureux. Les brèches de bonheur n'existent que dans les sociétés où les gens supportent leur vie de tous les jours. À Sarajevo on achète des œufs et du jus, on met et enlève son foulard, on va à l'école, on boit du thé et on va travailler. Pas d'histoire personnelle, seulement un fardeau : celui de « la guerre », qui finalement se révèle être le véritable acteur des Enfants de Sarajevo. Qu’importe l'heure à laquelle Rahima part de chez elle pour se rendre au travail (dans un restaurant huppé dirigé par un lèche-botte corrompu) les balles semblent tomber du ciel. Bref, le contraste avec les 32 degrés ressentis à l'extérieur du théâtre national de Sarajevo, est trop important. Le théâtre devant lequel la ville entière s’apprête à vivre deux semaines de fiesta continue. À travers la rue, seules quelques façades montrent des impacts de balles, synonymes de la lente cicatrisation de Sarajevo.
Katharina Kloss, Allemagne
Photos : Une © SFF2012, tapis rouge © Artur Krzykowiak; ITW Aida Begic: (cc) SFF2012/ YouTube
Translated from Children of Sarajevo: Opening movie of the SFF 2012