Dubliners contre le traité de Lisbonne
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Arnaud BaignotAu lendemain d'un référendum national, les Irlandais ont choisi de mettre un coup d'arrêt à la ratification du traité de Lisbonne en Europe. Les premières estimations donnent 53,5% de votes négatifs. Reportage à Dublin.
Quelques camions poubelles passent bruyamment dans les rues mais le centre ville est silencieux. Les habitants se réveillent doucement dans des appartements modernes construits à l’identique. La brise matinale fait flotter doucement les drapeaux européens au dessus de la rivière Liffey. Nous sommes à Dublin le 23 mai, lendemain de la demi-finale de l’Eurovision. Des camions de livraison parcourent lentement les ceintures périphériques de la ville, livrant leurs piles de journaux du jour à la lumière des néons des stations services. « Élimination de Dustin », peut-on lire en gros titre de l’Irish Times, après que le gallinacé en peluche, ambassadeur de l’Irlande à l’Eurovision, ait été chassé de la compétition.
La honte Dustin la dinde
Certains glorifient la marionnette pour s’être ainsi immiscé dans la grande farce de l’Eurovision : un concours sans intérêt qui coûte beaucoup trop d’argent pour peu de chose sinon confirmer des clichés culturels et afficher ostensiblement un certain chauvinisme. D’autres sont embarrassés de voir leur nation ridiculisée sur la scène européenne, en faisant d’un concours qui nous avait autrefois réussis, un sujet de moquerie. Mais beaucoup sont indifférents : « Qu’est-ce que ça peut bien faire ? », pensent-ils en frappant sur le réveil pour se rendormir.
Le 12 juin 2008, le pays va se lever pour un concours autrement plus important. Les Irlandais vont exprimer leur opinion sur le traité de Lisbonne, un document qui modifiera les bases légales sur lesquelles l’Union européenne a été fondée. Parmi les nombreuses réformes : donner davantage de pouvoir de contrôle au parlement national, modifier le mode de scrutin au conseil des ministres, réduire la taille de la Commission européenne et nommer un haut représentant aux affaires étrangères. Engagée au Portugal par les dirigeants européens en décembre 2007, la procédure de ratification suit son cours à travers les 27 Etats membres de l’Union européenne. Le 29 mai, le Luxembourg a été le quinzième Etat à se prononcer.
L’Europe : oui ou non ?
Beaucoup d’électeurs irlandais sont les enfants des années 90 et 2000 ; les adolescents de l’ère du tigre celtique n’ont pas connu le chômage de masse des années 80 ni le travail pénible des années 70. Confiants et quelque peu effrontés, beaucoup d’entre eux ont le sentiment que nous n’avons plus besoin de l’Europe. Le flambeau de l’étoile montante peut être transmis à l’Est, aux nouveaux Etats membres qui prennent encore au sérieux des choses comme l’Eurovision.
D’autres Irlandais pensent que c’est justement pour cette raison que nous devrions voter « oui ». C’est l’Union européenne qui a fait de l’Irlande ce qu’elle est aujourd’hui. Voter « non » reviendrait simplement à se moquer des millions d’euros qui ont été versés au pays. Sans parler des milliers de Polonais qui ont contribué à notre essor économique. Beaucoup d’autres, y compris des jeunes, n’en ont tout simplement rien à faire, malgré des campagnes sexy comme celle de rockthevote.ie et les affiches torrides des jeunes militants du Fine Gael, l’un des partis politiques les plus importants.
Sur les bancs de la fac de Dublin
De retour à Dublin, Grace O’Malley est plongée dans d’ultimes révisions avant ses examens de fin d’année à l’University College, l’une des deux universités majeurs de la capitale irlandaise. « Ma compréhension du traité de Lisbonne est assez limitée, admet-elle, en levant les yeux de son manuel scolaire. Si nous votons oui, nous donnerons davantage de pouvoir à l’Europe mais ça en donnera moins à l’Irlande. » Derrière elle, un rayon de soleil éclaire une affiche des « partisans du non » où l’on peut y lire : « La nouvelle Union européenne ne fera pas attention à vous, ne vous écoutera pas, ne parlera pas pour vous : VOTEZ NON. »
« L’Irlande reste un petit poisson dans le grand bassin européen »
« Je comprends le traité. Je voterai oui, affirme tout sourire Claire Davis en route pour son travail. Les changements spectaculaires de l’Irlande de ces dix à quinze dernières années nous ont fait gagner la reconnaissance au niveau mondial. Ils nous ont permis de créer une économie compétitive et dynamique et de consolider la paix. Les dirigeants politiques, les intellectuels et les grands chefs d’entreprises irlandais ont un rôle vital à jouer en créant de meilleures politiques et de meilleurs projets pour l’Union européenne. » Son collègue Jeff Donohoe n’est pas aussi convaincu. « Même avec le boum économique, l’Irlande reste un petit poisson dans le grand bassin européen. Ne nous méprenons pas sur la place de l’Irlande dans l’Europe. »
Mary Laffey, une étudiante de deuxième année, est en train d’examiner un tract à propos du traité quand je lui demande ce que l’Irlande peut apporter à l’Union européenne. « Mon Dieu, je n’en sais rien – des patates ?! », plaisante-t-elle, en admettant que les chances pour qu’elle lise le tract sont « très minces ». Elle prévoit de ne pas voter. « J’ai bien peur de ne rien savoir sur le sujet », dit-elle avec franchise. Beaucoup de gens ne répondent rien. On a l’impression qu’ils sont embarrassés et ont peur d’avoir l’air bête. L’Irlandaise Anja Friedrich qui travaille à la Commission européenne à Bruxelles est mieux informée que la plupart. « Je ne pourrai pas rentrer en Irlande, mais je serai attentive à ce qui va se passer », dit-elle en souriant. « À l’Eurovision nous avons pu apprécier les huées des autres pays à cause du mauvais goût de Dustin la dinde. Espérons que cela ne nous arrivera pas encore ! »
Translated from Dustin to Lisbon: Eurovision turkeys and European treaties