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Des voisins séparés par des fils barbelés

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H. Viseur

BerlinBeyond the Curtain

Nous nous promenons dans des champs. L'Autriche est juste à quelques centaines de mètres. Il y a 25 ans, c'était une zone interdite. Les habitants de Jarovce, une ville à la périphérie de Bratislava, étaient séparés de leurs voisins autrichiens de la ville de Kittsee par des fils barbelés. Petite histoire du rideau de fer qui a séparé la Slovaquie et l'Autriche pendant 40 ans.

« Seuls les travailleurs agricoles pouvaient entrer dans cette zone avec un permis spécial, » m'explique mon guide Viliam Karácsony. Sa maison se trouve à une centaine de mètres de la frontière. Il se souvient de ses balades en vélo avec ses amis quand il avait sept ou huit ans. Sans le savoir, il traversait la frontière. Il était alors arrêté par les soldats qui le ramenaient chez ses parents.

« Je pouvais voir l'Autriche, mais je n'y suis allé que quand j'avais dix-sept ans, » dit-il. Ses parents ont dû attendre quarante ans pour se rendre dans le pays voisin. Les habitants étaient autorisés à entrer dans la zone frontière uniquement lors des célébrations annuelles du Soulèvement national slovène dans les casernes militaires.

Des frontières en mouvement

Jarovce a une histoire très tourmentée. Nous avons rencontré Jan Wolf âgé de quatre-vingt-dix ans qui a vécu plusieurs époques. À sa naissance, Jarovce appartenait à la Hongrie. À cette époque, la ville s'appelait alors Horvátjarfalu. En 1947, elle a été annexée par à la Tchécoslovaquie. La barrière a été construire peu de temps après la prise de pouvoir du Parti communiste en 1948.

« Avant, nous allions régulièrement en Autriche. Nous avions des passeports annuels et nous pouvions traverser la frontière facilement, » explique Jan en évoquant les vieux jours. Au début, la barrière ne s'étendait pas sur toute la frontière. Il n'est pas surprenant que certains habitants en aient profité pour s'échapper, surtout lorsqu'ils travaillaient dans les champs. C'est ainsi que le beau-frère de Ján Wolf a fui au Canada.

J'ai essayé de savoir si certains ont tenté leur chance de l'autre côté de la frontière. Les parents de Viliam m'expliquent que les habitants savaient que c'était presque impossible : « Mais il y avait des personnes issues d'autres régions ou pays, comme la Pologne, qui sont venus ici avec l'espoir de pouvoir aller en Occident. » Personne ne sait vraiment combien ont réussi et ce qui est arrivé aux moins chanceux. Il était presque impossible de creuser des tunnels sous la barrière comme à Berlin. Même si quelqu'un était parvenu à se creuser un passage, il serait arrivé en Tchécoslovaquie et se serait probablement fait attraper par les gardes-frontières.

Bien que l'histoire du rideau de fer est tragique, elle est aussi parsemée d'anecdotes amusantes. Un cordonnier a un jour réussi à entrer en Autriche. Il est revenu chez lui une semaine plus tard. En fait, il ne voulait pas s'échapper, mais il était tout simplement ivre et a, Dieu sait comment, réussi à aller de l'autre côté. Malheureusement, il ne se souvenait plus de comment il avait fait et n'a donc pas pu partager son astuce.

Ne dites pas bonjour aux Autrichiens

Viliam senior a travaillé sous surveillance militaire. Pendant un moment, il a travaillé dans la forêt qui faisait déjà partie de la zone frontière. Même ceux qui travaillaient dans les champs ne pouvaient pas interagir avec les fermiers autrichiens de l'autre côté. « Si vous leur faisiez signe, les soldats nous menaçaient en nous disant que nous ne pourrons plus jamais aller là-bas, » explique Viliam Karácsony senior.

Ján Wolf qui a connu différents stades d'interdictions à la frontière admet qu'à une certaine époque, des personnes étaient autorisées à se lancer des sacs de nourriture par-dessus la barrière. Par contre, il était très risqué d'engager une conversation.

Même aller jusqu'à Jarovce n'était pas évident. Les gardes-frontières arrêtaient les bus qui provenaient de Bratislava et ils vérifiaient les papiers de tous les passagers. Il fallait soit avoir une autorisation de résidence permanente à Jarovce, soit un permis spécial pour être autorisé à poursuivre le voyage.

« Nous étions comme des singes en cage. Et en quoi cela était-il bien? Nous savions comment était la vie là-bas et ils savaient ce qui se passait ici. Cela n'apportait rien de bon. Ceux qui voulaient introduire clandestinement des produits le faisaient de toute façon, »

Des voitures à tous les coins de rue

La vie des habitants de Jarovce a profondément changé à la fin de l'année 1989. La révolution de velours a balayé le régime communiste en Tchécoslovaquie. La route vers nulle part est alors devenue une porte vers le paradis. Des milliers de personnes voulaient voir l'Autriche.

« C'était complètement fou. Nous savions à peine regagner nos maisons. Le village était rempli de voitures. Elles commençaient à arriver à quatre ou cinq heures du matin. Le premier mois de l'ouverture des frontières était terrible, » raconte Viliam Karácsony senior. Au début, les frontières n'étaient pas ouvertes toute la journée, donc tout le monde voulait se dépêcher d'aller en Autriche pour pouvoir en revenir à temps.

Pendant ma visite à Jarovce, la route n'était pas trop encombrée. Aujourd'hui, la plupart des conducteurs préfèrent utiliser l'autoroute construite plus tard dans les années quatre-vingt-dix. Il ne reste plus rien de la barrière en fils barbelés. Lorsque je me promenais près de la frontière avec Viliam, les seules choses qui nous ramenaient en arrière ce sont deux vieilles maisons où les militaires vivaient et les anciennes casernes. Les maisons ont été complètement réaménagées et ressemblent à n'importe quelle autre maison dans le village, tandis que les casernes ont été abandonnées. Il y avait un restaurant auparavant dans ce bâtiment, mais maintenant il est vide. La plupart des vitres sont cassées et la nature reprend petit à petit ses droits. Les mauvaises herbes envahissent tout. Ce lieu constitue un véritable monument de la stupidité humaine qui a séparé les populations pendant quarante ans. 

Beyond the Curtain : et le rideau sur l'Europe est tombé

Il y a vingt-cinq ans, le rideau de fer tombait. Il y a dix ans, huit États post-communistes devenaient membres de l'Union européenne. Mais que savons-nous de nos voisins ? Contactez-nous à berlin[at]cafebabel.com pour rejoindre notre équipe de journalistes.

Translated from Neighbours Separated by Barbed Wire