Dépression, suicide et bougeotte : autopsie de la jeunesse grecque
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Véronique MazetEn Grèce, la crise a touché toute la population d’une manière ou d’une autre. Les parents cherchent un deuxième emploi pour payer les études de leurs enfants. Les jeunes partent à l’étranger. Baisse des salaires, loisirs trop chers, étudiants sommés de travailler. La crise est synonyme de colère, de déception et d’impuissance. Reportage.
« Obtenir un travail correct en Grèce, c’est comme pouvoir gagner au loto », dit Eva en riant. C’est une jeune femme qui travaillait à Paris, mais qui est retournée à Athènes à cause du mal du pays. On lui a offert un emploi, mais au moment de signer le contrat, ses futurs employeurs ont baissé son salaire espéré à 700 euros. Une de ses amies a travaillé gratuitement pour une entreprise pendant 6 mois alors qu’on lui avait promis un bon job dans la foulée. « Elle était furieuse quand elle a constaté qu’on voulait la payer seulement 600 euros par mois », dit Eva. C’est le salaire moyen en Grèce aujourd’hui, peu importe le niveau d’étude.
Nikos est bénévole pour GloVo, une start-up qui gère des bénévoles. Récemment, on lui a proposé un emploi. « C’est plus difficile pour les diplômés depuis que la crise a frappé la Grèce », nous explique- t-il. « Ils pensent encore qu’après leur diplôme ils pourront facilement avoir un emploi. Ils ne réalisent pas l’importance des réseaux et de l’expérience. »
« Hey, au moins nous sommes en forme ! »
La dépression se répand de plus en plus en Grèce, et avec elle, le suicide. « J’ai remarqué de plus en plus de personnes qui font du sport pour s’occuper, et combattre la dépression », explique Eva. Sofia, est organisatrice d’évènements et à 25 ans elle cherche un emploi. Elle parle des tensions personnelles que la crise a apportées aux Grecs. « Quand un jeune diplômé retourne chez ses parents après avoir vécu seul pendant longtemps, cela peut créer des tensions », affirme-t-elle. « Ou dans une relation, la femme trouve du travail, alors que l’homme n’en a pas encore. »
Depuis la crise, de nombreux jeunes grecs ont décidé de prendre les choses en main et de créer leur entreprise. The Cube et l’Impact Hub sont deux initiatives récentes qui offrent aux jeunes entrepreneurs un soutien et un financement, principalement d’investisseurs étrangers. The Cube offre des bureaux bon marché, des ateliers et des évènements de réseautage pour des start-ups nationales et internationales. Un exemple d’une entreprise qui marche au Cube est Incrediblue, une application et un site web pour les propriétaires de yacht qui veulent louer leur bateau.
Alors que The Cube est flashy et cool, l’Impact Hub est tranquille et chic. Le Hub rassemble des entrepreneurs sociaux. « Nous voulons créer un environnement qui les fait avancer », nous dit Dimitris Kokkinakis, un des fondateurs de l’Impact Hub. Un exemple de projet qui a émergé du Hub est Felicia, un programme musical pour aider les enfants autistes.
Pourtant, le taux de réussite est faible. « Il vaut mieux avoir essayé et échoué que de n’avoir rien tenté. C’est l’expérience qui compte », affirme Stavros Messini, le fondateur du Cube. Dimitris Kokkinakis gagne actuellement 200 euros par mois malgré son engagement important dans le Hub, mais il y croit.
L'impossible retour
Depuis 2010, 120 000 professionnels grecs ont quitté le pays. Ce nombre va continuer d’augmenter dans un futur proche. Les jeunes prévoient de partir à l’étranger après leur diplôme. Angelo, 19 ans, veut être créateur de jeux au Royaume-Uni. Voula et Claudia étudient le journalisme et voudraient devenir correspondantes de guerre pour des agences de presse internationales. Elles ne pensent pas pouvoir obtenir des offres intéressantes en Grèce.
Athina vit et travaille actuellement à Amsterdam, mais elle souhaite retourner en Grèce. « Mon plan initial était de vivre à l’étranger entre 3 à 5 ans et de rentrer en Grèce avec plus d’expérience. Il a changé. Je ne sais pas quand je pourrais rentrer. »
Sofia et George aimeraient vivre en Grèce mais recherchent des emplois à l’étranger par manque d’opportunités dans leur pays. Pourtant, ils découvriront rapidement que trouver du travail à l’étranger est aussi difficile. « Les Grecs pensent en général que c’est plus facile de trouver du travail à l’étranger. Mais je suis allé à Londres et c’est la jungle. Ils préfèrent des personnes de langue maternelle anglaise et avec de l’expérience, plutôt qu’un diplôme. Une maîtrise ne pèse pas lourd là-bas. »
« La corruption est partout »
Les mesures d’austérité imposées par le gouvernement grec ont régulièrement provoqués des manifestations à Athènes. Mais lorsqu’on interroge les jeunes, ils haussent les épaules et disent que les gens devraient manifester davantage. En colère contre le gouvernement ? Angelo a juste 19 ans. Il précise qu’il n’est « pas seulement en colère mais déçu, ce qui est encore pire ». Il n’a même pas pris la peine d’aller voter. Les bénévoles de GloVo, Nikos, Tina et Vasilis affirment que voter « c'est choisir la solution la moins mauvaise ».
Les jeunes grecs croient que les changements viendront seulement si leur génération est responsable. « Tout partira de zéro », affirme Athina. « Toutes ces mesures d’austérité font juste souffrir les gens. Les classes moyennes et inférieures vont de mal en pis et ne peuvent plus joindre les deux bouts. » Irena, une jeune femme en doctorat de génie chimique, pense que la politique du gouvernement actuel « rend les pauvres plus pauvres et les riches plus riches. »
Ils estiment que la corruption est ancrée dans le système grec. « La corruption est partout », nous disent Voula et Claudia. « Même dans les rangs inférieurs. » « En 2012, les politiciens ont promis de baisser les prix et les impôts et d’augmenter les salaires, mais rien de cela n’est arrivé. C’était seulement des mensonges éhontés », se plaint Nikos. La jeunesse en Grèce dénonce la complicité des médias, qui contrôlent PASOK (socialistes, ndlr) et Nouvelle Démocratie (conservateur, ndlr), les deux partis qui se partagent le pouvoir depuis les années 1980. « Nous utilisons les réseaux sociaux pour découvrir de nouvelles sources d’information alternatives », explique Vasilis.
Certains jeunes sont moins sévères envers leur gouvernement. Dimitri de The Hub pointe simplement du doigt la lourdeur de la bureaucratie. George pense que les réformes en cours sont nécessaires, mais que le gouvernement a trop hésité à les appliquer.
La jeunesse grecque envisage-t-elle son avenir sans l’Union européenne ? Les opinions varient entre « Oh non ! » et « Eh bien, euh. » La plupart des jeunes désirent l’UE, mais avec un nouveau visage. Ils critiquent l’UE pour les mesures d’austérité et le manque de compétitivité de la Grèce. Ils soulignent les inégalités entre les pays de l'Union et l’augmentation de l’euroscepticisme. Ils veulent moins de bureaucratie, plus de solidarité et moins de xénophobie.
Cet article fait partie d'une édition spéciale dédiée à Naples et réalisée dans le cadre du projet Eu In Motion lancé par cafébabel avec le soutien du parlement européen et la fondation hippocrène. Retrouvez bientôt, tous les articles en couverture du magazine.
Translated from When the Going Gets Tough: Youth in Athens