De la bière pour Gaudí
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Fernando GarciaLa nouvelle réglementation sur les incivilités suscite la controverse. Il est illégal de dormir sur les bancs publics ou de boire sur la voie publique. Et les artistes de rues ne sont pas non plus en odeur de sainteté.
Drôle de vision : Che Guevara, cigare aux lèvres, salue de la main un clown en train d’exécuter un numéro un peu plus bas sur le boulevard. Sur la célèbre avenur des Ramblas, les artistes de rues font partie du décor. Mais Robi le clown est brusquement interrompu par un officier de police venu le déloger, sous les caméras effarées de touristes étrangers massés autour des deux protagonistes. Un genre d’intervention qui est aujourd’hui monnaie courante dans la capitale catalane.
Pour autant, il ne s’agit pas d’une nouvelle attraction touristique. Depuis janvier 2006, les spectacles de rues sont sévèrement réglementés et tombent sous le coup de la loi. Robi a beau tenter d’expliquer à l’agent qu’il voulait simplement faire un petit numéro. En vain. Car les artistes comme Robi vont à l’encontre de la politique de « coexistence paisible » que souhaite promouvoir la municipalité.
Lutte contre l’incivisme
Mais ces « règles de civilité » ne se limitent pas aux seuls artistes. « Elles s’attaquent également aux libertés individuelles », critique Albert Padros, un jeune diplômé catalan. L'arrêté interdit désormais de boire dans la rue, de dormir sur un banc ou encore d’uriner dans un espace public. Une prohibition qui vaut aussi bien pour les Barcelonais que pour les touristes. Les contraventions peuvent aller de 750 euros pour une infraction mineure, comme tapage sur la voie publique, à 3 000 euros pour des graffitis sur un bâtiment public.
Pour Ramon Nicolau i Nos, conseiller municipal, ces amendes ne sont pas trop sévères. « Il ne suffit pas seulement d’encourager les actes de civisme », explique ce socialiste. Mais il devenait urgent de prendre des mesures pour réguler les milliers de touristes déversés quotidiennement à Barcelone par les compagnies aériennes low-cost. D’autant que les visiteurs en question, désireux de boire et faire la fête plus que de se cultiver, auraient plutôt tendance à nuire à la tranquilité publique.
« Les autochtones préfèrerent autant éviter ce type de tourisme chez eux », reprend Ramon Nicolau i Nos, qui tord aussitôt le cou à la rumeur selon ces mesures auraient été prises afin d’attirer dans la capitale catalane des touristes plus aisés. « Notre seul et unique objectif est d’œuvrer pour une coexistence paisible. Barcelone est une ville surpeuplée. Il y a un temps pour tout. Les gens doivent pouvoir s’amuser, mais également savourer des instants de tranquillité. »
La police barcelonaise semble pour l’instant satisfaite d’avoir à sa disposition davantage de moyens pour contrôler la vie animée des rues. Tout en manoeuvrant d’une main de maître sa voiture de patrouille à travers les ruelles étroites du quartier populaire du Raval, l’officier Laurens surveille dealers et prostituées.
Il m’explique que la majeure partie de son travail consiste à faire respecter la loi sur les incivilités. « Sur trente incidents constatés au cours d’une patrouille de routine, seuls cinq concernent des vols ou des bagarres. Les vingt-cinq restants sont liés au non-respect de la loi sur la coexistence paisible », affirme Laurens.
En cette nuit de janvier, le froid mordant qui s’est abattu sur la ville semble avoir découragé les éventuels contrevenants. L’officier conseille aux quelques SDF restés dehors d’aller se mettre au chaud à l’asile de nuit. Il donne néanmoins une contravention à l’un d’entre eux pour avoir consommé de l’alcool sur la voie publique. Mais comme toujours, la police dispose d’une certaine marge de manœuvre : arrêter ou non les fautifs.
Bruyante, sale et méditerranéenne !
Dans le quartier de Gracia, quelques groupes de jeune venus célébrer la saint Antoine se réchauffent les mains à la chaleur des barbecues en se déhanchant sur des gigues majorquines endiablées.
La nouvelle loi ne semble pas beaucoup les perturber. Les bouteilles de vin et les canettes de bière s’entassent un peu partout, attendant d’être partagées avec les amis autant qu’avec les étrangers de passage. Une fête improvisée typique de l’esprit barcelonais.
La plupart des passants qui assisteront ce soir à la scène admettront qu’il devenait urgent de prendre des mesures efficaces pour lutter contre ce genre de nuisance. Pourtant, peu avant que la loi sur les incivilités ne soit adoptée en janvier 2006, des voix se sont empressées de dénoncer la radicalité et la sévérité de la meusure. Et de l’avis de beaucoup, la nouvelle loi va trop loin.
Miriam Rodriguez travaille pour l’association de quartier qui a organisé ce festival nocturne en plein air. Elle reconnaît l’importance des règles de civisme mais estime en revanche qu’« elles manquent de réalisme et s’attachent à des broutilles pour oublier l’essentiel ». Son opinion semble partagée par nombre de ses concitoyens, lesquels préfèreraient que la municipalité s’implique davantage dans la lutte contre la drogue et la violence, au lieu de faire la chasse aux skatteurs et aux consommateurs d’alcool.
Albert Salarich, un journaliste catalan va lui plus loin et dénonce « une véritable perte de temps ». « Il suffit de se promener dans les rues, de jour comme de nuit, pour découvrir la vraie Barcelone. Elle est sale et bruyante, comme savent l’être les villes méditerranéennes », s’exclame-t-il.
Un an après...
Voilà un an déjà que le texte sur la 'coexistence paisible' a fait une entrée fracassante dans la vie des Barcelonais. Le conseil municipal la défend avec ferveur et la police s’efforce avec discrétion de la faire respecter, surveillés de loin par une population quelque peu suspicieuse. Mais il faut bien avouer que la capitale catalane semble aujourd’hui plus propre, plus tranquille et, bizarrement, plus gaie. Le goût de l’interdit probablement...
De retour sur les Ramblas, Robi le clown reprend son numéro là où il l’avait interrompu, devant un flot incessant de touristes. Peu disposé à passer les menottes au clown rebelle, c’est dans un autre quartier de la ville que l’officier de police est parti défendre la tranquillité de ses concitoyens. Les comportements incivils auront beau être sanctionnés, la désobéissance, cette marque de fabrique des Barcelonais, ne disparaîtra pas du jour au lendemain.
Bientôt, la municipalité catalane devra relever un nouveau défi. Elena Salgado, ministre espagnole de la Santé, vient de présenter son projet de loi visant à réglementer la consommation d’alcool. Les jeunes âgés de moins de 18 ans n’auront désormais plus le droit de participer aux fameuses «botellon », ces rassemblements populaires de jeunes qui se retrouvent le samedi soir dans la rue pour boire de l’alcool.
Les Barcelonais protestent contre la loi sur les incivilités
Translated from Beer over Gaudi