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Clowns Sans Frontières : le pied de nez rouge à la crise

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Société#OPENEUROPE

Les mauvaises nouvelles sont partout : catastrophes naturelles, guerres civiles, zones de conflits... Les besoins en aide humanitaire, nourriture ou médicaments sont toujours plus importants. Alors, comment guérir les âmes ? Cafébabel a rencontré Kevin Brooking, co-fondateur de Clowns et Magiciens Sans Frontières Belgique.

cafébabel : Qui sont les Clowns et Magiciens Sans Frontières ?

Kevin Brooking : Quand nous avons fondé Clowns Sans Frontières en Belgique, il existait déjà les Clowns Sans Frontières français, américains et espagnols. Nous étions donc les quatrièmes à rejoindre l'organisation. Il y avait un magicien qui nous a rejoints dès le début - c'est pour cela que nous nous nommons Clowns et Magiciens Sans Frontières - et un autre clown, qui était également marionnettiste. Nous avons commencé tous les trois lorsque nous sommes revenus de Gaza, où nous avions fait un atelier d'une semaine. Nous avions été très touchés par l'échange d'idées sur l'enseignement du théâtre et du cirque à travers l'art et la culture afin de communiquer et de donner une voix aux gens. 

cafébabel : Que faites-vous exactement ?

Kevin Brooking : Cela dépend du projet concret. Chaque projet est différent parce que nous avons un public différent et une raison d'y aller différente - nous appelons cela des « tournées ». Nous avons joué dans des camps de réfugiés où nous avions des publics de plus de 2000 personnes. Nous devions donc nous assurer que les images et les performances étaient suffisamment grandes pour toucher un public aussi nombreux. Nous réfléchissons aussi aux raisons qui nous ont amenés là, au contexte. Par exemple, nous avons tourné dernièrement au Népal, après le tremblement de terre. Les artistes devaient créer un spectacle très léger qui leur permettrait de tout transporter avec un sac à dos car ils devaient voyager jusqu'à des villages minuscules complètement détruits qui n'étaient accessibles que par une longue piste. Ils marchaient donc parfois quatre heures dans la montagne. Et devaient préparer un spectacle qui soit à la fois léger et qui puisse être joué pour 300 à 500 personnes.

Pas une partie de rigolade

cafébabel : Quelles sont les étapes de la préparation d'une tournée ?

Kevin Brooking : Nous avons toujours des partenaires locaux dans les ONG internationales, avec qui nous travaillons main dans la main sur le terrain. Dans le pays dans lequel nous voulons aller, nous communiquons avec eux et nous leur laissons le soin d'organiser les tournées car ils savent exactement où il faut aller. Par exemple, il y avait au Népal des zones qui accueillaient les enfants car les parents étaient en train de reconstruire leurs maisons, leurs villages, leurs écoles qui avaient été détruits. Ils avaient donc besoin de ces secteurs où les enfants étaient en sécurité et dans lesquels ils pouvaient aussi se remettre du traumatisme. Nos partenaires savaient que ces zones étaient l'endroit parfait pour que les Clowns Sans Frontières viennent et jouent leur spectacle !

cafébabel : Quels sont les plus grands défis auxquels vous êtes confrontés ?

Kevin Brooking : Ce peut être aussi simple que répéter un numéro de cordes et s'entraîner à sauter, ici, en Belgique, dans une pièce froide et sans chauffage, pour ensuite jouer au Burundi. Bien entendu, quand nous répétions dans une pièce froide, nous pouvions sauter toute la journée, c'était génial et ça nous tenait chaud. Mais quand nous avons donné notre premier spectacle au Burundi, où le climat est tropical, nous étions effondrés au sol, complètement épuisés, et nous avons réalisé que nous ne pouvions pas sauter à la corde comme chez nous ! Nous avons donc dû couper la moitié de la partie du show avec du saut à la corde. Ce sont des choses auxquelles on ne pense pas quand on est en train de répéter, mais on apprend de ces erreurs. Il y a souvent une moitié du spectacle qui change.

Nous faisons aussi de merveilleuses trouvailles qui enrichissent le spectacle. Pour le spectacle au Népal, ils avaient une marionnette de petit garçon qui marchait sur une corde : ça a créé une attention incroyable, les gens ont adoré ! La femme qui faisait ça était une très bonne marionnettiste, elle a porté ce petit garçon à la vie et il marchait sur la corde. Quelque chose de cette fragilité a créé une image avec laquelle les gens se sont identifiés.

Comment prendre un clown au sérieux ?

cafébabel : Qu'en est-il de l'aspect administratif d'une tournée ? Avez-vous déjà eu des problèmes avec les autorités locales ?

Kevin Brooking : Il y a beaucoup de situations différentes. L'une d'entre elle est d'avoir une autorisation formelle pour venir dans le village. Si vous venez et que vous n'avez pas les bons papiers ou que vous n'êtes pas accueillis, cela peut poser un gros problème au niveau hiérarchique. C'est pour cela que certaines visites de courtoisie sont importantes. Nous nous sommes vu refuser l'accès dans l'une des zones du Burundi où le chef de la région était absent. La personne de rang inférieur dans la hiérarchie était là mais elle ne pouvait pas prendre le risque de nous autoriser à entrer. Nous avons dû appeler l'ambassade belge, qui connaissait le chef de cette région et l'a contacté, pour enfin être autorisés à entrer et à jouer. D'ailleurs, les autorités belges ont plusieurs fois soutenu nos projets. La ville de Bruxelles nous a, par exemple, accordés des fonds afin de financer deux de nos tours : l'un au Liban, en Irak et en Bulgarie pour venir en aide aux réfugiés syriens, et l'autre au Népal pour aider les victimes du tremblement de terre. 

Lors d'un autre incident, nous étions au Tchad pour jouer dans des camps de réfugiés. Nous devions donc d'abord rendre une visite de courtoisie au maire du village où était situé le camp, ensuite une au chef du camp de réfugiés et enfin une autre au chef de la police ou de l'armée. Nous devions bien sûr avoir les autorisations adéquates, mais ils ne savaient même pas ce qu'était un clown. En français, clown se prononce « cloun ». Les premières questions qu'un militaire nous a posées quand nous avons dit que nous étions Clowns Sans Frontières a été : « Qu'est-ce qu'un clou ? » (les deux mots sont presque homophones), « Êtes-vous des clous ? ». Nous avons répondu : « Non, nous ne sommes pas des clous, nous sommes des clowns ! » Et nous avons ensuite fait un tour de magie pour lui montrer et tout le monde a simplement commencé à rire. Le ton de la conversation a changé d'un seul coup. C'était si drôle !

cafébabel : L'aide humanitaire est souvent envisagée sous son aspect matériel. Votre activité est-elle parfois considérée avec scepticisme ?

Kevin Brooking : Ce que nous faisons suscite de nombreuses réactions très différentes. Nous apportons de l'aide, mais pas sous la forme d'un objet. Dans l'une des écoles où nous avons joué au Burundi, ils ont demandé : « D'accord, vous avez fait votre spectacle. Maintenant, qu'est-ce que vous nous donnez ? Où sont les jouets ? » Et nous avons répondu : « C'est nous, les jouets ! ». Les enfants comprennent, cependant. Ils assistent au spectacle, ils l'aiment et quand nous revenons, ils s'en souviennent. Parfois, il arrive que des clowns retournent au même endroit et découvrent que les chansons que nous avions chantées le sont toujours des mois après le spectacle, etc. Il y a des avantages dans ce que nous faisons mais ils sont subtils. De nombreux défis et frustrations viennent du fait que nous avons le sentiment de ne pas pouvoir en faire assez. Vous ne pouvez jamais en faire assez. Vous voyez les enfants jouer au football avec des sacs plastique attachés ensemble et vous vous dites : « Qu'est-ce que ça coûterait d'amener une boîte de ballons de football dégonflés, de les gonfler et de les distribuer ? » Et c'est là que vous réalisez que vous pouvez apporter du matériel, vous pouvez faire votre spectacle, vous pouvez faire tout ce que vous pouvez et ça n'est toujours pas assez. Ça, c'est le vrai défi.

« L'intégration est l'objectif »

cafébabel : Vous tournez beaucoup à l'étranger. Où les Belges peuvent-ils voir des spectacles des Clowns et Magiciens Sans Frontières en Belgique ?

Kevin Brooking : Nous avons aussi un programme belge qui se concrétise de différentes manières. Nous avons eu un projet formidable, « Clowns en prison », où les clowns venaient pendant les jours de visite. Quand une mère et son enfant visitent un père en prison, ça peut être une situation très délicate, alors nous avons créé un petit spectacle que les enfants pouvaient venir voir avec leurs pères et ça détendait l'atmosphère. Nous réalisons aussi des spectacles pour les familles sans abri - nous jouons dans des centres pour sans-abris - ou encore nous avons joué dans des centres de réfugiés. Nous jouons aussi au Petit-Château (centre d'accueil pour demandeurs d'asile à Bruxelles, ndt) une fois par an. Souvent, les réfugiés se réfugient dans des églises en Belgique, donc nous avons également joué dans ces églises - ce qui constitue une expérience incroyable ! Nous travaillons partout, pas uniquement à l'étranger.

cafébabel : Comment tentez-vous de briser les barrières et d'atténuer les cicatrices ?

Kevin Brooking : Il y a plus de réfugiés dans le monde aujourd'hui qu'à aucune autre époque de l'Histoire, y compris la Seconde Guerre mondiale. Soixante millions de réfugiés (source : UNHCR), cela représente un incroyable volume de déplacements, de traumatismes et d'instabilité. L'intégration est l'un des objectifs que nous souhaitons atteindre, en créant des spectacles où les enfants locaux et les enfants réfugiés jouent ensemble. Quand nous avons joué en Indonésie après un tremblement de terre qui a provoqué un nombre incroyable de handicaps, paralysies et amputations à cause des bâtiments qui s'étaient effondrés, l'UNICEF a suggéré que nous fassions un spectacle avec les enfants handicapés tout en impliquant les écoles locales. C'est là que j'ai compris combien cette interaction constituait pour nos spectacles un levier fort et précieux pour rassembler les gens et les faire véritablement se rencontrer. On brise les barrières, nous sommes sans frontières !

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Si vous croyez en l'action des Clowns sans frontières, vous pouvez visiter leur site et leur page Facebook.

Translated from Spreading laughter: clowns without borders