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Chypre : le deal de Pyla 

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Société

Depuis l’invasion turque de 1974 à Chypre, la « ligne verte » sépare les chypriotes grecs et chypriotes turcs. Les deux populations vivent isolées l’une de l’autre depuis 43 ans. Mais en attendant la réunification de l’île, le village mixte de Pyla situé dans la zone tampon révèle qu’une coexistence entre les deux communautés est pourtant possible. Reportage. 

Sous un soleil de plomb, la place centrale du village de Pyla n’accueille pas grand monde. Et pas grand-chose. Entre les paraboles satellites et les quelques voitures garées à l’ombre, seuls les cafés des deux communautés – turque et grecque – se dressent côte à côte. Sur l’enseigne du premier, fief des Chypriotes turcs, on peut lire « Pyla, la café turc ». Le QG de la communauté chypriote grecque a lui adopté un ton plus nationaliste. Sur le panneau orné d’un drapeau grec, les lettres « Association nationaliste de Pyla » brillent en plein jour. Habituellement fréquentés par les anciens du village, les deux établissements sont déserts à l’heure de la sieste. Les seules silhouettes que l’on observe sur la place sont finalement celles qui se meuvent lentement devant le poste d’observation des Nations unies. Au centre-ville, ce sont les Serbes que l’on a chargés du maintien de la paix. Les quelques Land Rover des Casques bleus qui circulent témoignent d’une certaine vigilance, comme si le danger de la guerre maintenait encore tout le monde en alerte. Pourtant, Pyla est bel et bien le seul village mixte de Chypre, située en pleine zone tampon, la fameuse zone démilitarisée contrôlée par l’ONU depuis 43 ans.

« Ici, personne n’est mort »

À Pyla, 1200 chypriotes grecs et 500 chypriotes turcs cohabitent pacifiquement. Chaque communauté a son lieu de culte. Le village abrite une église orthodoxe et la communauté turque possède une mosquée sise au milieu de quelques pins. Chaque communauté a son école, son coiffeur, son propre cimetière et son maire. « Nous n’avons jamais eu de problèmes ni avant ni après la guerre. Ici, il n’y a jamais eu d’incidents entre les deux communautés. Personne n’est mort. Certes tout n’est pas parfait, il règne encore un caractère suspicieux. Il y avait par exemple une certaine distance entre les jeunes mais les choses s’améliorent. Nous organisons désormais des événements ensemble », explique le maire chypriote grec, Simos Mitides. « Les Chypriotes turcs de Pyla sont des citoyens européens et chypriotes », ajoute-t-il. 

En pénétrant un peu plus dans le village, on peut apercevoir sur une colline un poste de garde où flotte, à côte du drapeau chypriote turc, celui de la « mère patrie », la Turquie. Juste derrière, se trouve la République turque de Chypre du Nord, autoproclamée en 1983, qui n’est reconnue ni par la partie grecque ni par la communauté internationale. Le territoire qui borde les frontières de Pyla rappelle aux habitants la triste réalité de l’occupation turque mais aussi quatre décennies d’histoire lourdes à porter. En 1974, la junte grecque commet un coup d’État avec l’appui des forces sa communauté chypriote contre le président Makarios dans le but de rattacher Chypre à la Grèce. En tant que pays garant, la Turquie intervient militairement invoquant une « opération de la paix ». Elle fera 3 500 victimes dont 3 000 grecs et 500 turcs. 200 000 Chypriotes grecs se déplacent alors vers le sud et 22 000 Chypriotes turcs sont expulsés de leurs enclaves. L’invasion turque conduit à l’occupation de 38% du territoire chypriote et laisse derrière elle 35 000 militaires en faction. Une zone tampon démilitarisée est instituée dès 1963. Depuis 1974, ce qu’on appelle désormais « la ligne verte » coupe l’île en deux dont la capitale Nicosie, faisant d’elle la dernière capitale de l’UE divisée.

Un nid heureux

Au Nid heureux, un pub fréquenté par les habitants du village et par quelques touristes curieux, Andronikos Zapitis, 40 ans, Chypriote grec et contrôleur financier de l’État, sirote son café en discutant avec un ami. Il est né à Pyla, fréquente des Chypriotes turcs au village et confirme lui aussi qu’il n’y pas de problèmes entre les deux communautés. « Par exemple à Noël, les enfants Chypriotes turcs sont toujours contents de voir le Père Noël », raconte-t-il. Un rituel qui ne fait pas vraiment partie de leurs coutumes mais qui prouve toutefois que la communauté chypriote turque est bien intégrée dans la vie du village. Pourtant, Andronikos est de ces Chypriotes grecs qui refusent de montrer leur passeport quand ils partent visiter le côté occupé. En 2003 et en 2008, l’ouverture de sept check points sur la ligne verte a permis aux Chypriotes grecs et Chypriotes turcs de circuler librement. Ces passages ont rapproché les deux populations qui jusqu’alors vivaient quasiment isolées l’une de l’autre. Elles ont aussi permis aux réfugiés chypriotes grecs de visiter pour la première fois leurs maisons qu’ils avaient dû abandonner pendant la guerre.

La situation à Pyla ne préoccupe pas vraiment Andronikos. Le quarantenaire se sent en revanche très concerné par le problème chypriote. En 2015, l’élection du leader chypriote turc Mustafa Akinci et la sortie progressive de Chypre de la crise économique de 2012-2013 ont apporté une nouvelle dynamique au pays. Les négociations ont pu être relancées et reprendront à Genève le 28 juin prochain entre Akinci et le président de la République de Chypre Nikos Anastasiades. Le tout, sous les auspices de l’ONU et des trois pays garants, la Grèce, la Turquie et le Royaume-Uni. Le projet de réunification porte sur la création d’une fédération « bi-zonale et bi-communautaire ». Les deux dernières années de grands progrès ont pu être accomplis concernant l’aspect interne du problème chypriote à savoir les quatre chapitres concernant la restitution des propriétés, l’économie, la gouvernance et l’UE. Un premier sommet qui a eu lieu à Genève en janvier a même été qualifié d’« historique ». Cependant de nombreux points restent encore en suspens comme ceux des ajustements territoriaux ainsi que les questions cruciales telles que les garanties, la sécurité, et la forme que prendront la gouvernance et l’exécutif.

« Pourquoi faudrait-il se battre ? »

« Avant la guerre les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs vivaient pacifiquement, rappelle Andronikos. Je suis pour une solution entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs, je ne veux pas que la Grèce ou la Turquie se portent garantes. Je préfère que l’Union européenne le soit », souligne-t-il. L’UE participe aux négociations en tant qu’observateur. Mais la Turquie s’oppose à ce que l’UE endosse un rôle plus important. Au Nid heureux, assis quelques tables plus loin, Huseyin Yahi, 23 ans et Chypriote turc, est né du côté occupé, à Famagouste. Le jeune homme scrute quelques statistiques sportives pour compléter l’enseignement qu’il suit en eSport dans une université du nord de l’île. Ses parents viennent de Pyla et lui-même a décidé de rester dans son village natal. Huseyin se rend au café chypriote grec tous les jours. « À Pyla j’ai des amis Chypriotes grecs, on écoute de la musique grecque ensemble, on boit ensemble. Je souhaite une solution pour qu’on puisse vivre tous ensemble », souligne-t-il.

Aujourd’hui, les Chypriotes turcs de la partie nord restent minoritaires face aux colons turcs venus en masse dès 1974 pour combler le vide. On compte entre 80 000 et 89 000 Chypriotes turcs pour environ 115 000 colons. Les Chypriotes turcs n’ont pas la même culture que les colons. Mais Huseyin, lui, ne cache pas ses sentiments d’appartenance. « Je me sens européen, pour moi l’Europe signifie liberté, affirme-t-il. Nous sommes nés ensemble sur le même territoire alors pourquoi faut-il se battre ? ».

Le maire de Pyla, de son côté, ne voit pas les négociations d’un bon œil. « Je suis pessimiste nous avons perdu l’occasion d’une réunification en 2004, pour moi il n’y a plus de solution elle est déjà réglée », tonne-t-il. La position politique du maire renvoie au fameux plan Annan. En 2004, l'ONU tente de parvenir à une solution fédérale « à la Suisse ». Mais un référendum organisé la même année douche les intentions de l’organisation internationale. Les Chypriotes grecs rejettent massivement le plan, avec 75,8% des voix contre, alors que les Chypriotes turcs l’acceptent avec 64,9% des voix.  

13 ans après, Pyla pourrait constituer l’exemple vivant de ce que peut être la coexistence entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs. Et pourrait servir de vitrine si un jour l’île venait à se réunifier. Cependant, si un accord découle des négociations il devra être approuvé par les deux populations, à l’issue d’un référendum. Encore un.


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