Chemin de croix de Jérusalem à la Mecque
Published on
Translation by:
Elsa BracadabraAu Royaume-Uni, les associations multiconfessionnelles réunissant musulmans et juifs se sont multipliées comme les pains de la Bible, en parallèle de l'escalade des conflits internationaux.
« C'est un phénomène naturel que nos sociétés deviennent culturellement plus mélangées », explique Harriet Crabtree, directeur adjoint du Inter Faith Network for the UK [le Réseau interconfessionnel pour le Royaume-Uni]. C'est pourquoi ces dernières années, de nombreuses associations multiconfessionnelles ont vu le jour. Mais selon Crabtree, la création de forums réunissant chrétiens, juifs et musulmans est plus une réaction aux attentats de Londres et au 11 septembre ainsi qu'aux subventions croissantes du gouvernement.
Aujour'dhui, les projecteurs sont braqués sur les dirigeants religieux et leurs communautés, et les manifestations de bonne volonté et de coopération entre elles sont plus attendues que jamais. Le nombre d'associations multiconfessionnelles existant au Royaume Uni est passé de 12, en 1985 à quelques 235 actuellement. Cependant, en 2006, Moulana M Shahid Raza, l'imam de la Mosquée centrale de Leicester, a émis de vives critiques sur ces forums interconfessionnels, les taxant d'une trop grande superficialité : « On se rassemble, on sourit, on s'embrasse, on se serre la main, on discute de nos problèmes. Soit. Mais nous avons besoin de proposer des solutions tangibles à ces problèmes. » Et dans quelle mesure les forums interconfessionnels sont-ils utiles à l'approfondissement du dialogue et à la compréhension entre confessions?
L'islamophobie ressemble à l'antisémitisme
« Comprenez-vous l'arabe littéraire? », demande le rabbin David Hulbert, alors que nous jetons un oeil à l'intérieur de la ‘musalla’, la salle de prière. Je fais non de la tête. «Hé bien, c'est exactement comme l'hébreu », me lance ce membre du ‘Threefaiths Forum’ [Forum des Trois Foi], une association qui promeut le dialogue entre musulmans, chrétiens et juifs.
Dans une mezzanine normalement réservée aux femmes, le rabbin Hulbert fait les cent pas avec une aisance et une familiarité surprenantes. Au-dessous, les fidèles musulmans du district d'Ilford, dans l'Est de Londres, se livrent à leur prière de treize heures trente. L'imam, Qari Shir Mohammed -originaire d'Afrique de l'Est- nous tourne le dos et chante, tourné vers la Mecque. Portant des chapeaux différents en fonction de leurs origines, les croyants, aux racines majoritairement pakistanaises, célèbrent la fin du Ramadan. La salle est remplie de chaleur et de lumière, mais la partie supérieure, réservée aux femmes, est vide.
A l'intérieur de la mosquée Ilford
Après la prière, nous rencontrons Jhazanfer Ali, le président du Centre Iilamique d'Ilford. Les deux hommes se serrent la main et se saluent chaleureusement. Dans une ville ou 13% et 6% de la population se déclarent respectivement musulmane et juive, l'influence de ces deux leaders est évidente. Après une séance de remerciements protocolaires et de conviviaux voeux de bienvenue, Jhazanfer Ali, un homme enrobé au rire facile, se lance dans un exposé de leurs difficultés actuelles. « Aujourd'hui les musulmans sont confrontés à une islamophobie grandissante ». Le président admet cependant qu'il y a « des extrémistes parmi eux ». Second intervenant, le rabbin Hulbert fait état du fait que les juifs éprouvent une grande empathie envers les musulmans arrivés durant les dernières décennies. « L'islamopobie ressemble à l'antisémitisme. Les juifs sont une communauté installée ici de plus longue date, et au tournant du siècle, nous avons aussi vécu ce que les musulmans sont actuellement en train de vivre aujourd'hui en Grande-Bretagne », explique-t-il.
Unis contre les attaques religieuses
L’imam Ali et le rabbin Hulbert se montrent tous les deux sceptiques quant à l'action du gouvernement et reprochent au ministre d'Etat Jack Straw de faire pression sur les femmes pour qu'elles enlèvent leur Niqab [voile intégral] ou leur voile. « Nous vivons dans une société qui autorise les gens à se balader pratiquement nus, nous devrions les autoriser à porter le Niqab », glisse Jhazanfer Ali. Et tous les musulmans ne veulent pas le porter.
« Certains portent le hijab, d'autres non... regardez à Bollywood, ils ne le portent certainement pas », ajoute le rabbin Hulbert. Lorsque Jack Straw a critiqué le hijab en octobre 2006, les juifs n’ont pas hésité à envoyer une lettre de soutien à la mosquée, affirmant le droit des femmes musulmanes à le porter. Parallèlement, le neveu de M. Ali, Mohammed Azam, l’un des membres dirigeants du Centre islamique d'Ilford, rappelle que la mosquée a envoyé une délégation à la rencontre des juifs, lors de l'attaque d'un groupe de juifs par trois jeunes Asiatiques à Ilford.
Ici, juifs et musulmans font souvent front commun contre les initiatives gouvernementales, souvent perçues comme maladroites et à trop forte connotation politique. Quand on lui demande si le conflit israélo palestinien influence leurs relations, le rabbin Hulbert acquiesce : « bien sûr, mais je ne suis pas Israélien, et mon voisin n'est pas Palestinien, alors on doit faire avec », lâche t-il.
Des relations obscurcies par le conflit israélo palestinien
Mais dans quelle mesure ces dirigeants religieux représentent-ils leurs communautés? « Tous les juifs ne font pas partie du Forum des trois foi : certains refusent pour des motifs religieux, d'autres par manque d'intérêt », explique le rabbin Hulbert. Ce sont les juifs, moins libéraux, qui sont le moins enclins à rejoindre le Forum. Il est vrai que certains membres musulmans s’affichent ouvertement anti-sionistes et les désaccords sur le statut de la Palestine et la reconnaissance d'Israël ont une influence négative sur leurs relations.
Mohammed Azam rappelle ainsi que l'un des membres juifs orthodoxes a décidé de quitter le forum, après avoir « improprement accusé un autre membre musulman du comité exécutif d'être antisémite ». Les manifestations organisées à Ilford en 2001, en soutien à la Palestine, ont également tendu les relations entre membres.
Pour le rabbin Hulbert, « Israël est un Etat de tolérance religieuse ». Selon lui, les Palestiniens vivent « hors d'Israël ». Comme le signale Edward Kessler, directeur du Centre pour les relations judéo-chrétiennes de Cambridge, le dialogue entre juifs et musulmans est « assombri par l'échec des deux communautés de prendre sur elles-mêmes les contrecoups du conflit au Moyen Orient ».
Ces désaccords sur la Palestine et Israël révèlent les limites de la coopération multiconfessionnelle dans le district d'Ilford. Les événements internationaux sont paradoxalement la raison d'être et la limite fondamentale des associations inter-confessionnelles.
Alors que David Hulbert se prépare pour une circoncision ayant lieu l'après midi et que Jhazanfer Ali se dépêche pour superviser une troisième ou quatrième prière, Mohammed réfléchit. A ses yeux, la génération des aînés n'est pas prête à affronter les défis que ces conflits impliquent. Le travail des immigrants musulmans de la première génération a été suffisamment difficile, la responsabilité en incombe désormais aux jeunes juifs et musulmans.
Ecoutez cet article sur la radio Europa 21
Crédit photos : Cléa Caulcutt
Translated from Rocky ride from Jerusalem to Mecca